Françoise-Hélène Jourda, architecte, l’une des spécialistes françaises de la construction « écologique ».
Tout d’abord, architecture « durable » ou « responsable » ?
Je n’aime pas trop le terme durable pour la construction. Il y a des constructions éphémères qui répondent parfaitement aux critères de développement durable. C’est un terme qui ne convient pas à l’architecture. Je parle beaucoup de prise de responsabilité et d’être responsable vis à vis des générations futures. Je préfère donc le terme de construction « responsable » à celui de « durable ».
A quoi serait du le retard de la France en matière de construction et d’architecture « responsable » ?
La France souffre avant tout d’un retard culturel global. C’est une prise de conscience qui n’a pas eu lieu jusqu’à présent. C’est en train de changer et le Grenelle de l’environnement en est le témoin.
Cette prise de conscience n’existait donc pas avant, il n’y avait donc pas les règlementations, ni les compétences, ni encore les expériences. Le problème à la base est donc bien un problème de culture française, relativement sudiste et où la relation à l’environnement est autre que celle que l’on retrouve dans les pays nordiques. Les pays du sud sont globalement moins engagés que les pays du nord, et la France a du retard même parmi les pays du sud. La situation est donc relativement grave. C’est au minimum 15 ans de retard.
Et l’apport du label HQE peut-il faire évoluer les choses ?
Pour être « labellisé » il ne faut malheureusement pas grand chose. Pour obtenir ce label « Haute Qualité Environnementale », il suffit de cocher quatre cibles parmi quatorze. Vous pouvez par exemple être bons sur l’acoustique et à la limite vous ne faites rien sur l’énergie et tout va bien.
En revanche, il est vrai qu’au début des années 90 c’était très innovant comme démarche. Il est aussi vrai que les cibles visées couvrent globalement le problème du développement durable, qui n’est pas uniquement le problème de l’énergie. Mais, c’est un label beaucoup trop facile à obtenir et cela a un effet très pervers puisqu’on laisse croire qu’il ne faut pas grand-chose pour répondre au problème. Il demeure néanmoins le premier et le seul label qui parle du développement durable en France.
Vous avez rencontré Jean-Louis Borloo la semaine dernière, quelle a été votre message auprès du ministre de l?Ecologie ?
On se focalise trop sur l’énergie, non pas que l’on doive pas le faire, mais ce n’est pas le seul sujet. Il ne faut pas seulement économiser la ressource énergie, il faut économiser toutes les ressources. C’est le message que j’ai tenté de faire passé à Jean-Louis Borloo lors de notre entretien.
De la même façon que les énergies, les matériaux fossiles seront épuisés dans un certain nombre d’années. Tout dépend des matériaux, le cuivre par exemple est en train de devenir un matériaux rare. On sait également qu’il existe des matériaux dont l?impact est très négatif sur l’environnement.
Mais, il n’y a pas que les matériaux, Il y a également le problème de l’eau. On connaît actuellement un stress hydraulique grave. L’urbanisation de toute l’Europe au détriment des espaces naturels va conduire à un problème de sol. Il y a également un problème avec la ressource air. Et tous ces sujets sont bien évidemment transversaux.
Concernant l’eau par exemple, il faudrait déjà essayer de retrouver une perméabilité de nos sols, ensuite avoir des sols absorbants, cela peut être les toitures par exemple afin d’absorber les eaux de pluie. D’autre part, concernant les eaux de pluie il faudrait pouvoir les stocker afin de ne pas les relâcher dans nos réseaux et dans nos rivières tout d’un coup mais progressivement de façon à éviter les risques d’inondations.
Ce qu’il faut avant tout c’est minimiser la consommation d’eau mais sur ce point, la France se situe pas mal par rapport aux autres pays d’Europe. Mais on pourrait encore économiser 20 à 30% de notre consommation grâce à des équipements adaptés et en réutilisant les eaux de pluie. On pourrait économiser et de l’énergie et des produits chimiques en ne tentant pas de rendre l’eau potable mais en utilisant des eaux non potables pour certains usages.
Concernant l’ancien, préconisez-vous plutôt la reconstruction ou la réhabilitation ?
Je propose avant tout d’avoir une attitude responsable par rapport à ça. Quelques fois, il est nécessaire de détruire. Cela peut être parce que le bâtiment plonge ses habitants dans un état d’insécurité ou d’insalubrité, cela peut être pour des raisons sanitaires comme c’est le cas lors de la présence d’amiante.
Mais il faut faire très attention à faire systématiquement des bilans. Il faut bien mesurer quelle est, entre la démolition et la réhabilitation, la meilleure stratégie par rapport à cette économie de ressources qu’il nous faut faire aujourd’hui. Je crois que c’est indispensable de mesurer à chaque fois l’impact sur l’environnement d’une solution ou d’une autre.
Il faut savoir que si on démolit, on génère des déchets et des nuisances relativement importantes. De plus on n’utilise pas les déchets comme nouvelles ressources. Ils ne sont que très rarement recyclés.
Quant au prix de cette construction « responsable » ?
Il est évident que cela va coûter plus cher qu’une construction classique, de la même façon que tout ce que l’on consomme aujourd’hui et qui a vocation à s’inscrire dans une politique de développement durable.
D’un point de vue financier on s’y retrouvera toujours, mais dans un temps que l’on ne peut pas identifier immédiatement. Il suffit que le prix du pétrole triple et la rentabilité se fera sur trois ans !
Mais là, il ne s’agit que de la question financière, il y a également la question des ressources. Il ne s’agit plus de réfléchir à l’échelle du particulier, ni de son bureau, mais plutôt à l’échelle de la planète. En mettant un peu plus d’argent pour préserver ses ressources, et bien on préserve un peu les générations futures.
Des aides incitatives plus importantes seraient-elles alors à prévoir ?
Bien sur cela peut se faire, notamment par la fiscalité, mais cela peut également se faire via d’autres canaux. Par exemple, le développement de telles constructions pourrait se faire par la déréglementation.
Quand vous avez aujourd’hui des obligations de faire des parkings en sous-sols dans les centre-villes sachant la quantité de ressources nécessaires pour creuser un sous-sol, que l’on détruit la nappe phréatique, la nécessité d’utiliser beaucoup d’énergie pour ventiler ses parkings, on plombe déjà le bilan développement durable de l’opération.
Si on ne donnait pas cette obligation, au moins pour les zones qui sont parfaitement accessibles par des transports en commun, beaucoup d’opérations pourraient n’avoir aucun surcoût à devenir des opérations exemplaires. Ca ne serait pas très compliqué, il s’agit juste de règlementations d’urbanisme.
Il y a certainement aussi des mesures fiscales à prendre, ainsi que des mesures de prêts aidés, de taux bonifiés. Il y a des mesures de défiscalisation ou de durée de prêt plus importantes, il y a plein de chose à faire. Mais il y a avant tout un gros effort à faire en matière de pédagogie et d’information.
D’une façon générale, estimez-vous que la grande majorité des architectes se sente concernée par ce type de considérations écologiques ?
Beaucoup d’architectes très connus ne sont pas intéressés par cela, parce que ce sont avant tout des créateurs, et souvent de grand talent, et ils restent dans ce sujet là. Mais quand je regarde l’ensemble de la profession, je trouve incroyable l’engouement qu’il y a autour de ce sujet. Le problème vient de la formation ne suit pas. Il y a un manque crucial de formation. Et cela est tout aussi valable pour les ingénieurs, les maîtres d’ouvrages, les bâtisseurs…
A titre personnel, vous avez un grand projet en cours à Saint-Denis…
Oui, le projet Energie Zéro, une première en France, est un bâtiment pensé pour consommer très peu d énergie, et le peu d’énergie qu’il devrait consommer est couvert par les cellules photovoltaïques intégrées à l’enveloppe du bâtiment.
Et la réalisation dont vous êtes la plus fière à ce jour ?
C’est un bâtiment que j’ai réalisé il y a quinze ans de cela en Allemagne. Il s’agissait de la contribution de l’Allemagne au sommet de Kyoto. C’est un bâtiment qui produit 1 mégawatt d’électricité, 10.000 m2 de cellules photovoltaïques, totalement construit en bois avec des moquettes en coton, qui récupère l’eau de pluie, qui récupère aussi le gaz méthane de la mine sur laquelle il est implanté. C’est un bâtiment qui est encore aujourd’hui démonstratif et manifeste.
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