Anne Gouyon, cofondatrice de BeCitizen. Spécialiste de la forêt, elle a parcouru l’Asie et l’Afrique pendant 20 ans comme chercheur, puis expert auprès de l’Union Européenne, du Forest Stewardship Council, du WWF et de nombreuses entreprises et ONG environnementales.
Quelle est l’origine de la création de Becitizen ?
Notre histoire a suivi les besoins dans le domaine du développement durable. On départ, nous étions plutôt partis pour faire de la communication, de la sensibilisation via Internet. Ensuite, nous nous sommes orientés vers le conseil aux entreprises et aux collectivités régionales, et actuellement, nous passons de plus en plus d’un rôle de conseiller à un rôle d’acteur.
Nous travaillons en association avec des partenaires financiers, et en aidant par exemple des entreprises qui proposent des innovations auxquelles nous croyons dans le domaine que nous appelons « l’Economie Positive ». Nous les aidons à se développer, à trouver de nouveaux marchés, à chercher des fonds pour les accompagner dans leur développement.
Nous faisons toujours du conseil puisque cela nous permet de rester en contact avec nos clients, de comprendre les enjeux de l’entreprise, mais de plus en plus, nous assurons aussi un accompagnement actif auprès des entreprises. L’exemple typique pourrait être l’accompagnement d’une start-up, qui a déjà une innovation qui a fait ses preuves sur de petits exemples, et qui souhaite développer son produit à l’échelle industrielle ou à l’international. Dans ce cas, nous l’aidons dans un premier temps à rédiger un business plan solide, et dans un second temps à faire une levée de fonds qui tienne compte de la personnalité de l’entreprise. Pour cela, nous travaillons avec des partenaires financiers. Mais nous travaillons aussi pour des sociétés du CAC 40 à qui nous offrons des solutions en « plug-in », c’est-à-dire des innovations qui vont leur permettre d’améliorer leur bilan énergétique, par exemple.
Existe-t-il une réelle prise de conscience environnementale dans les entreprises ?
La prise de conscience est là, maintenant il faut passer à l’action. Je me souviens qu’en 2000 lorsque nous avions créé Becitizen, nous nous disions déjà que le développement durable allait vite être un concept dépassé, et qu’il allait falloir trouver un nouveau concept. Nous l’avons trouvé : c’est l’Economie Positive.
L’idée du développement durable est partie d’organisations publiques comme les Nations Unies, elle a été beaucoup portée par des ONG, des collectivités… Beaucoup d’entreprises la voient comme une contrainte de plus, une norme supplémentaire qui leur est imposée. Elles n’y voient pas un fort potentiel ou un intérêt. Pour elles, le développement durable ne représente qu’une charge de plus.
C’est pourquoi, à part quelques rares entreprises qui ont une vision dans ce domaine, le développement durable reste marginal dans la stratégie des entreprises. Dans certains cas il sera porté par les directions générales, mais souvent le responsable du développement durable est un jeune salarié fraîchement sorti de l’école.
Notre idée c’est donc de changer de concept, nous passons du développement durable à la notion d’Economie Positive : il s’agit alors de faire de la restauration de l’environnement le moteur de la croissance, et de créer ainsi un réseau de nouvelles opportunités pour les entreprises de façon à ce qu’elles considèrent qu’il s’agit là de leurs métiers et de leurs marchés de demain.
C’est dans cette optique que vous aviez publié en mars 2007 votre premier ouvrage en collaboration avec Maximilien Rouer, « Le Livre blanc de l’Economie Positive » ?
Exactement, l’Economie Positive est un concept que notre président, Maximilien Rouer a commencé à formuler il y a plus de deux ans. Il l’a introduit au public à l’occasion de conférences, et nous avons alors décidé de le formaliser dans un ouvrage. Nous avons eu des retours très positifs après la publication de ce livre blanc en particulier de la part des entreprises. Notre objectif est avant tout de motiver les chefs d’entreprise afin qu’ils voient l’intérêt pour eux de changer, que l’Economie Positive devienne une volonté stratégique.
En matière de développement durable, comment se situent les entreprises françaises ?
Par rapport aux pays d’Europe du nord, la France compte un certain retard. Ceci dit, nous avons une excellente base industrielle, il ne tient donc qu’à nous de le rattraper. En ce qui concerne les Etats-Unis, ils sont vraiment en train de prendre le virage de l’Economie Positive, là-bas le nouveau slogan des investisseurs c’est « Go Green, Get Rich ». Par ailleurs, si on ne se dépêche pas, j’ai bien peur que l’on se fasse doubler par des pays émergents comme le Brésil, l’Inde ou encore la Chine. C’est une énorme erreur de penser que les Chinois ou les Indiens ne font rien pour l’environnement. Ils ont parfaitement compris les opportunités économiques du secteur et quand ils vont vraiment s’y mettre, ils vont aller beaucoup plus vite que nous.
Quelle est l’idée dominante de votre dernier ouvrage, « Réparer la planète, la révolution de l’Economie Positive » ?
L’idée principale est de diffuser nos idées pour mieux sensibiliser le public et les entreprises aux enjeux de l’environnement, et surtout aux solutions. L’ouvrage nous a permis aussi de formaliser nos concepts, notre méthode, notre « boîte à outils ». Nous sommes en phase de croissance rapide et nous intégrons beaucoup de nouvelles recrues, donc il s’agissait pour nous de constituer la « bible » de l’entreprise. Et bien sûr, de faire connaitre notre savoir-faire aux entreprises.
Idéalement, avec cet ouvrage nous souhaitons toucher tous les publics, et il reste à la portée de tous. Et surtout, je pense que les professionnels, les responsables d’entreprise y trouveront particulièrement leur compte.
En résumé, ce livre traite de …
Des enjeux de l’économie positive, mais surtout des solutions. Nous tenons à faire passer le message que « les solutions existent ». Nous rappelons d’abord les enjeux de l’économie positive : climat, énergie, ressources (matières premières, eau, sols), santé/ toxicité, biodiversité. Dans chacun des secteurs clés, industrie, bâtiment, agriculture, transport, il s’agit aussi de montrer qu’il est possible de mettre en place une croissance qui restaure l’environnement, et qui crée ainsi des emplois et des richesses. Nous donnons de nombreux exemples d’entreprises qui le font, et qui montrent la voie. C’est un livre destiné à donner de l’espoir !
Ayant beaucoup voyagé, je suis frappée par un certain penchant français pour le pessimisme. Cela ne doit pas être très drôle d’avoir 25 ans aujourd’hui et de s’entendre dire que tout va toujours de plus en plus mal, alors que cela n’est absolument pas certain. L’avenir sera ce que l’on en fera, il n’est jamais trop tard. Nous avons beaucoup de jeunes dans notre équipe et souvent, quand ils arrivent, ils semblent étonnés de découvrir toutes les solutions qui existent pour restaurer la planète, comme par exemple la dépollution des sols grâce aux plantes ou encore les nouvelles générations de biocarburants et de panneaux solaires. A la fin de l’ouvrage, nous avons d’ailleurs placé une citation d’un des plus jeunes membres de notre équipe qui constatait que « le siècle à venir va être passionnant ». On est donc loin du pessimisme. Sans nier la gravité des enjeux, notre vision est résolument positive, tournée vers l’action.
Quand nous avons créé Becitizen en 2000, j’ai eu une discussion avec un chauffeur de taxi qui me demandait de lui expliquer les problèmes de changements climatiques. Après que je lui ai brièvement expliqué les choses, il a eu cette réflexion qui m’a marqué, «c’est vraiment horrible, et si on ne peut rien faire, je préfère ne pas savoir ». Alarmer les gens en disant que « tout est fini », cela peut créer une réaction inverse à celle attendue, cela peut conduire à une réaction de déni. Il faut donc offrir des portes de sortie, des solutions afin que les personnes, les entreprises, et finalement les politiques s’impliquent.
Votre formation d’ingénieur agronome vous a-t-elle servie dans cette démarche ?
Tout à fait. Les membres fondateurs de Becitizen comptent trois ingénieurs agro. C’est pourquoi nous insistons sur le fait que beaucoup de solutions vont venir de technologies liées au vivant, technologies trop méconnues dans les entreprises.
Aujourd’hui la plupart des personnes qui parlent de solutions liées au changement climatique proposent dans le meilleur des cas des solutions afin de limiter les émissions. Nous estimons qu’il faut aller plus loin que le simple arrêt des émissions, et éliminer le carbone présent dans l’atmosphère. Pour cela, nous préconisons d’avoir recours à la photosynthèse, seul moyen dont nous disposons aujourd’hui pour ôter le carbone diffus dans l’atmosphère. L’objectif est donc pour nous de reforester, reboiser, reverdir : par exemple, créer des plantations de biocarburants sur des zones désertifiées, incultes, qui vont à la fois stocker du carbone pendant leur croissance, produire de l’énergie, restaurer les sols et le cycle de l’eau…. tout en créant des emplois.
C’est en cela que nous proposons d’aller plus loin que le développement durable. Pour nous l’enjeu n’est pas seulement de « faire moins mal », de « protéger l’environnement » ou de « sauver la planète ». Nous proposons une méthode, des solutions concrètes pour « faire mieux », « restaurer l’environnement », « réparer la planète ». Aujourd’hui, on sait construire des bâtiments positifs, qui stockent du carbone dans leurs matériaux, produisent de l’énergie en quantité supérieure à leurs besoins, dépolluent l’air, restaurent leurs propres ressources en eau… BeCitizen propose la même démarche pour créer des usines positives, des fermes positives, des réseaux de transport positifs. Autant de chantiers pour l’avenir, autant de richesses à créer, de marchés et d’emplois – des emplois durables, non délocalisables, car ils valorisent les ressources locales propres à chaque territoire.
> Pour en savoir + : BeCitizen – « Réparer la Planète, La Révolution de l’Economie Positive« , par Maximilien Rouer et Anne Gouyon, Editions JC Lattes-BeCitizen, sortie le 24/10/07 .
Anne Gouyon et Maximilien Rouer seront les invités de Jacques Pradel le 24 octobre prochain sur Europe 1
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