Virginie Vergnaud, docteur en hydrogéologie, est la créatrice et la directrice du LADES (Laboratoire de Datation des Eaux Souterraines).
Pouvez-vous expliquer en quoi consiste l’activité de votre laboratoire ?
Notre laboratoire, le LADES (laboratoire de datation des eaux souterraines), réalise des analyses de CFC (chlorofluorocarbones) et de SF6 (hexafluorure de soufre). Les CFC, plus connus sous le nom de fréons, sont des gaz destructeurs de la couche d’ozone interdits par le protocole de Montréal. Le SF6 est utilisé comme isolant électrique. Ces gaz ont vu leur concentration atmosphérique augmenter depuis le début des années 70 tout en restant extrêmement faibles.
Lorsque l’eau tombe et qu’elle rejoint la nappe phréatique, les eaux souterraines enregistrent la signature de l’atmosphère et lorsqu’elles se déplacent dans le milieu souterrain, elles gardent cette signature. Le fait d’analyser ces gaz permet de remonter à la signature atmosphérique et donc à la date à laquelle l’eau a rejoint la nappe. C’est pourquoi notre laboratoire analyse leurs concentrations dans les eaux souterraines.
Qu’entendez-vous par eaux souterraines ?
Il s’agit principalement des nappes phréatiques. Les rivières souterraines n’existent qu’en milieu karstique, comme en méditerranée. Ces rivières souterraines sont très localisées. Dans les milieux karstiques, on peut faire de la datation des eaux, mais c’est un peu plus compliqué.
Pourquoi est-il important de dater les eaux ?
La raison purement fondamentale, est que si on connaît l’âge de l’eau, on connaît le taux de renouvellement de la nappe phréatique. Ainsi, si on pompe l’eau et que l’on vide la nappe, on va savoir combien de temps il va falloir pour reconstituer la ressource.
Le deuxième intérêt est la datation des composés présents dans l’eau. Ainsi, si on connaît l’âge de l’eau, on connaît l’âge des composés présents dans cette eau. On pourra donc savoir si les nitrates qui sont pompés dans un captage sont ceux qui ont été épandus il y a 40 ans, avant le remembrement, ou si ce sont le nitrates qui ont été mis il y a 10 ans. Cela va permettre d’estimer comment va évoluer la qualité de l’eau en un point : les taux de nitrates vont-ils continuer à augmenter parce que l’eau est ancienne et que les eaux plus récentes ne sont pas arrivées, ou au contraire on est en présence d’une eau qui a 10 ans et depuis 5 ans on a mis en place une agriculture raisonnée et l’on peut donc penser que dans 5 ans, les concentrations en nitrates vont diminuer.
On peut estimer la qualité de l’eau si on sait comment ont évolué les activités en surface. Tout dépend si on est dans un bassin versant où il y a toujours une agriculture de type intensive ou si on est dans un endroit où il y a une agriculture raisonnée qui a été mise en place.
Pourquoi utiliser les CFC et le SF6 ?
En fait, nous utilisons quatre traceurs : trois CFC (CFC-12, CFC-11 et CFC-113) et le SF6. Ces gaz sont des gaz purement anthropiques, c’est-à-dire qu’ils n’existent pas naturellement dans l’écosystème. Ils ont été créés dans les années 60. Avant les années 60, il ne peut pas y en avoir dans les eaux car il n’y en avait pas dans l’atmosphère. Leur avantage, c’est qu’ils ont été de plus en plus utilisés, donc leur concentration augmente avec le temps : des années 70 jusqu’aux années 90 pour les CFC, et des années 70 jusqu’à aujourd’hui pour le SF6. Le problème des CFC est qu’à partir des années 90, la courbe ralentie. On va rentrer dans une période où on va avoir une double interprétation. On va pouvoir donner deux dates. Le SF6 permet de trancher entre ces deux dates.
Les CFC ont été beaucoup utilisés car ce sont des gaz inodores, incolores, non dangereux pour la santé, à tel point qu’ils ont été interdits par le protocole de Montréal sauf dans les sprays pour les asthmatiques. Ce sont des gaz propulseurs. Ils n’ont rien trouvé d’aussi inoffensif que les CFC pour l’homme. Pour la nature, ce sont des gaz à effet de serre, qui détruisent la couche d’ozone. Il n’y a pas de limites. La concentration de ces gaz dans l’atmosphère est de l’ordre du mm3 dans 1m3. Et dans l’eau, on descend encore plus bas.
Les CFC sont stables dans l’atmosphère et leurs concentrations sont bien connues puisque ce sont des gaz à effet de serre. Les CFC sont suivis par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration), qui est l’équivalent américain de Météo France. Leur avantage est lorsqu’ils sont dans la nappe phréatique, leur concentration reste identique : les CFC ne sont ni dégradés, ni absorbés.
On a découvert l’utilité des CFC pour le suivi des masses océaniques dans les années 70. Depuis, les années 90, l’USGS (U.S. Geological Survey), qui est l’équivalent du BRGM (Bureau de Recherches Géologiques et Minières) aux Etats-Unis, les utilisent pour dater les eaux souterraines.
Si on trouve des CFC dans une eau, cela signifie que c’est une eau qui a moins de 50 ans, que c’est une eau qui a été dans le sol au moment de l’intensification des pratiques agricoles et de l’activité humaine. Donc c’est une eau potentiellement polluée, mais ce n’est pas certain. C’est ce qu’on appelle les indicateurs de vulnérabilité des nappes à la pollution, c’est-à-dire que toute pollution de surface mettra moins de 50 ans à arriver dans la nappe phréatique. Cela a son importance, par rapport au bassin parisien où on a des eaux qui ont 10 000 ou 20 000 ans. Les eaux de 50 ans, ça peut nous paraître vieux, mais au niveau du cycle hydrologique, ce sont des eaux récentes, sensibles et vulnérables.
L’autre intérêt des CFC est de montrer les possibles interconnexions entre les systèmes. Même dans une nappe où l’eau est supposée ancienne, si on trouve des CFC, une partie de cette eau est récente.
Offrez-vous des solutions pour lutter contre la pollution de l’eau ?
Le Lades est un laboratoire d’analyse. Il donne les concentrations des traceurs et donne un âge aux eaux souterraines. Après, c’est le rôle des bureaux d’études en environnement, par rapport à ces analyses, de dire ce qu’il faut mettre en place.
Intervenez-vous dans toute la France ? à l’étranger également ?
Le Lades est le seul laboratoire en France à avoir cette activité. Nous intervenons dans toute la France. A l’étranger, pourquoi pas. Pour l’instant si c’est la Belgique ou la Suisse, ça va. Après, s’il y a un déplacement en avion, il y a un problème de coût. Si on a un client qui accepte de prendre en charge le coût du déplacement.
En France, on a commencé à dater les eaux souterraines en 2003, pour le démarrage de ma thèse. L’Université de Rennes 1 s’est équipée de cette machine qui permet d’analyser de si faibles quantités (on dose à la picomole/litre). C’est une machine qui n’est pas en vente industriellement, on l’a montée. En France, l’université de Rennes 1 est la seule qui ait une machine qui permette d’analyser ces composés dans les eaux souterraines. L’université n’a pas vocation à faire des prestations, on a donc lancé un laboratoire privé. Mais, les analyses sont toujours faites sur cette machine qui appartient à l’université. J’ai un partenariat avec l’université de Rennes 1.
En tout, dans le monde, il y a 16 machines capables d’analyser ce type de composés, dont 12 ou 13 qui appartiennent à des universités et qui font peu voir pas du tout de prestations privées. En tout, nous avons donc 2 ou 3 concurrents dans le monde.
En moyenne, quel est l’âge des eaux souterraines en France ?
On ne peut pas faire une cartographie régionale. Les âges des eaux varient d’un site à un autre. Cela dépend de plusieurs paramètres. Durant ma thèse, on a essayé de faire une cartographie pour que les syndicats des eaux n’aient pas à analyser tous leurs points, mais ce n’est pas possible. C’est vraiment site par site. C’est l’hétérogénéité du milieu naturel, et particulièrement en Bretagne ou dans le Massif Central (zones où sont présentes les roches de socle), où l’eau circule dans les fractures. On a des fractures où l’eau circule très vite, et un mètre plus loin l’eau ne circule plus.
En Bretagne, l’âge de la nappe phréatique de surface, située entre 0 et 20 mètres, varie entre 5 et 40 ans suivant les bassins versants. La moyenne se situe aux alentours de 15 ans, ce qui n’est pas déjà rien. Cela signifie que même si on arrêtait maintenant de mettre tous ces pesticides, il faudrait au minimum 15 ans pour que l’on commence à ressentir les effets. Tout en sachant que sur certains bassins versants ça va aller plus vite comme ceux qui ont un temps de résidence de 5 ans, et sur d’autres ça va être beaucoup plus long. Mais, il va toujours avoir des effets notoires. Il y a plusieurs circuits d’eau. Cela signifie que le gros changement ne pourra se faire que dans 40 ans pour les sites avec l’eau la plus âgée.
Si on prend l’exemple des captages qui ont été fermés, c’est important de savoir pour combien de temps ils sont fermés. Si cela se trouve, dans 5 ans, la qualité de l’eau sera de nouveau bonne. Pour la gestion des eaux, c’est important. Cela permet de savoir s’il faut rechercher une nouvelle ressource en eau parce qu’il faudra attendre au moins 30 ans pour avoir une eau de bonne qualité, ou s’il faut seulement mettre en place une interconnexion avec les communes voisines pendant les 5 années durant lesquelles cela va être encore un peu tendu avant que la teneur en nitrates de l’eau de consommation soit inférieure à la norme française de 50 mg/l.
Quelle est la réglementation en vigueur concernant les eaux souterraines ?
Les eaux souterraines sont gérées par la loi sur l’eau. Dès que l’on exploite une eau souterraine, il y a une demande d’autorisation à faire. Il faut savoir qu’en France, 60% de l’eau du robinet provient des eaux souterraines et 40% des eaux de rivières. En Bretagne, c’est l’inverse. C’est lié à la nature du sous-sol. Les nappes souterraines en Bretagne ont été découvertes très récemment. On pensait que le sous-sol était imperméable, ce qui n’est pas le cas. C’est pour cela que l’on utilisait principalement les rivières.
D’autres régions sont aussi contaminées en nitrates que la Bretagne. La seule différence c’est que dans ces autres régions, les eaux souterraines, exemptes de nitrates, sont utilisées depuis longtemps. La pollution pose donc moins de problème pour l’eau potable, contrairement à la Bretagne où on utilise beaucoup d’eaux de surfaces contaminées.
A qui le service est-il destiné ?
Les Conseils Généraux, les DDAF (Directions Départementales de l’Agriculture et la Forêt) sont intéressés par nos prestations, mais les utilisateurs finaux vont être les collectivités locales. Cela peut également intéresser des industriels parce que notre service sert à dater les eaux et les pollutions. S’il y a une pollution repérée sur un site et qu’il y a un changement de propriétaire, on va réussir à savoir de quand date la pollution et à quel propriétaire l’attribuer. Cela peut donc intéresser les industriels lorsqu’il y a un problème de type contentieux.
Commentaires récents