Jean Jouzel, géochimiste, climatologue, membre du Groupement intergouvernemental d’experts sur le réchauffement climatique (Giec), co-lauréat du prix Nobel de la Paix 2007 avec Al Gore. Directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, Jean Jouzel a présidé le groupe de travail n°1 sur le climat, lors du Grenelle de l’environnement.
Un prix Nobel de la paix pour le Giec, vous attendiez-vous à obtenir une telle récompense un jour ?
Certainement pas, nous avons bien évidemment été surpris. Deux ou trois jours avant la décision finale, nous avions été prévenus que le Giec faisait figure de candidat au prix Nobel ainsi qu’Al Gore. Mais vous savez, il y avait 180 candidats ! Nous avons donc été surpris mais quand nous avons été honorés, cela a vraiment été une grande joie. Il ne faut pas bouder son plaisir.
Et qu’un organisme comme le Giec obtienne un tel prix, voyez-vous cela comme un symbole ?
Le symbole de cette récompense, c’est sans doute la reconnaissance de la qualité de l’expertise dans un des premiers domaines où devrait se mettre en place une véritable gouvernance mondiale. C’est véritablement la première fois qu’un problème mondial est expertisé d’une façon si efficace.
Mais surtout, c’est reconnaître le fait que si ce problème de réchauffement climatique n’est pas pris en compte, si on le traite pas, cela peut être une cause de frictions. On parle même de réfugiés climatiques.
Evaluer l’importance du réchauffement climatique, c’est aussi accepter l’idée d’une collaboration plus forte entre le nord et le sud, d’échanges technologiques plus importants. Prendre en compte le problème peut donc être une source de développements plus harmonieux de nos civilisations.
Ce prix vous donne-t-il plus de responsabilités, ou une mission supplémentaire ?
Non, dans tous les cas le Giec ne veut pas changer de nature et aller au-delà des missions qu’il s’est fixé. Il souhaite rester à son niveau qui est de faire un diagnostic, c’est ce qui fait sa force.
Il n’est pas question que le Giec s’érige tout à coup en donneur de leçons. Ce serait selon moi une grave erreur. Cette idée que le Giec doit établir des états des lieux, donner les éléments aux politiques ou aux citoyens, afin qu’ils puissent prendre des décisions en connaissance de cause, est celle qui doit primer.
Cette récompense peut néanmoins servir à valider définitivement votre rôle…
C’est clair, et nous voyons déjà que d’autres problèmes environnementaux, la biodiversité par exemple, souhaitent se doter d’une organisation comme le Giec et ils vont y arriver (un accord a été trouvé mi-novembre à Montpellier sur le projet IMoSEB destiné à apporter une expertise scientifique et internationale sur la biodiversité – NDLR). Ce type d’expertises va probablement se généraliser afin de s’étendre à d’autres problèmes.
Déjà avant ce prix, les communautés qui ne s’intéressaient pas au climat mais à d’autres problèmes étaient « jalouses » de notre groupement et souhaitaient mettre en place quelque chose d’équivalent au Giec. Je pense que désormais, la tâche leur sera facilitée.
Stavros Dimas a particulièrement bien accueilli votre dernier rapport, c’est très positif pour votre action ?
Tout à fait. De même, José Manuel Barroso qui était présent lors du discours de conclusion du Grenelle de Nicolas Sarkozy est très réceptif à notre discours. Le Giec a une très bonne écoute en Europe.
Et dans le reste du monde ?
La donne n’est pas partout la même. Même si les africains sont très présents dans les commissions, on comprend bien qu’un africain dont la priorité est de sortir de la pauvreté, ne peut pas faire preuve de la même écoute du problème et c’est tout à fait logique.
Concernant les chinois, au niveau de l’élite notamment, ils commencent à avoir une écoute très forte. Ils ne nient pas le problème et ils savent pertinemment qu’ils doivent en prendre la mesure.
D’ailleurs, d’un point de vue général, les pays en voie de développement ne nient absolument pas le réchauffement, en revanche ils demandent de l’aide et surtout du temps.
Très peu de pays considèrent que ce réchauffement climatique n’est pas un problème, mais quant à ce qu’il devienne une priorité…
Qu’avez-vous pensé des travaux du Grenelle de l’Environnement ?
On m’a invité à présider le groupe de travail « climat » du Grenelle. Cela m’a plutôt surpris mais ravi. Nous nous sommes donc attelé au travail et personnellement, j’ai trouvé cette expérience vraiment très enrichissante.
Le fait d’avoir abouti à un certain nombre de propositions sérieuses sur lesquelles il n’y avait pas unanimité au départ est déjà une bonne chose. Maintenant, la balle est dans le camp des politiques.
Notre mission était de faire des propositions et je pense que cela a été fait correctement. En ce qui me concerne, j’ai bien aimé la façon dont le processus s’est mis en place.
Pensez-vous que ce type de démarche peut servir d’exemple ?
Bien sur. Déjà, dès lors que le Grenelle s’est mis en place, une revue internationale, « Nature » en a parlé. Cela veut donc dire que toute la communauté scientifique internationale a pris connaissance de cette initiative française. Il y a donc eu un certain écho en dehors de l’hexagone.
José Manuel Barroso lui-même estimait qu’une telle démarche pouvait être mis en oeuvre au niveau européen. Quant à Al Gore, il évoquait la notion de Grenelle mondial. Même si cela était plus une déclaration de circonstances, je pense sincèrement que, tout du moins au niveau européen, il peut y avoir des propositions destinées à élargir cette démarche.
Face au phénomène du réchauffement climatique, qui semble inéluctable, pouvez-vous nous donner une bonne raison d’être optimiste ?
Ce qui a beaucoup changé et de façon positive, c’est l’attitude des économistes, à savoir que le développement économique passe désormais par la maîtrise de l’effet de serre. Pour prendre l’exemple d’EDF, ils se sont beaucoup investis dans les énergies nouvelles et cela leur rapporte beaucoup d’argent. La Compagnie du Vent vient de se vendre à un prix incroyable. Dans vingt ans, ce sont les pays qui se seront impliqués dans les développements technologiques pour aller vers une économie plus sobre en carbone, réduisant les émissions de gaz à effet de serre qui seront gagnants.
Une dernière question, en tant que breton, que pensez-vous de la nomination de Brice Lalonde aux côtés de Jean-Louis Borloo ?
J’en suis ravi, je connais effectivement bien Brice Lalonde. La dernière fois que je l’ai rencontré, c’était à l’occasion du voyage au Groenland avec Jean-Louis Borloo. Il savait déjà qu’il allait être nommé Ambassadeur auprès du ministre de l’environnement.
Tout le monde a plutôt confiance en Brice Lalonde. Il fallait quelqu’un de très bon niveau pour s’impliquer dans les négociations internationales. J’aurai le plaisir de le voir à Bali. (Conférence internationale sur le climat qui se tient du 3 au 14 décembre – NDLR)
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