Philippe Joudrier, spécialiste des OGM à l’Afssa, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, et président du Comité d’experts spécialisé Biotechnologies.
Que pensez-vous de l’annonce par Nicolas Sarkozy de la possible activation de la clause de sauvegarde sur les OGM ?
Il est toujours très prudent. Il a bien précisé qu’il n’activerait cette clause que s’il y a des éléments nouveaux qui laisseraient penser que le maïs MON 810 pourrait être dangereux. Un des membres de cette Haute autorité me confiait hier encore que le comité de préfiguration serait bien en peine de fournir des éléments qui vont dans ce sens.
Le maïs MON 810 est cultivé depuis maintenant dix ans et dans tous les cas, il devait y avoir une réévaluation cette année, selon la procédure habituelle. Et, si l’on en croit les bilans de cultures, qu’a-t-on pu constater ? Rien de négatif. Il est bien évident que si quelque chose d’anormal avait été constaté, on l’aurait su. En revanche, le seul élément nouveau est que le maïs GM contient moins de mycotoxines, et c’est plutôt une bonne chose.
L’activation de la clause de sauvegarde, qui équivaudrait à un moratoire déguisé serait donc un énorme scandale. Pour activer cette clause, la France doit avoir de sérieux éléments à mettre en avant, or le seul élément nouveau est à mon sens plutôt favorable aux OGM. L’Allemagne qui avait activé cette clause, est revenue depuis sur sa position, et l’Autriche quant à elle, n’a eu aucun élément nouveau à apporter à la Commission pour justifier son action.
Autre point, il est tout de même curieux de constater que Greenpeace qui est un acteur très fort en Europe dans la lutte contre les OGM ne se fait absolument pas entendre sur le sujet aux Etats-Unis. Les OGM ne leur posent aucun problème outre-atlantique. Certains vont même jusqu’à dire que les industriels américains financent Greenpeace. Ainsi, le fait de casser toute la filière semencière en Europe nous rend complètement dépendant des Américains.
Pourquoi êtes vous totalement opposé à l’idée d’un moratoire sur les cultures OGM ?
Pour qu’un moratoire soit justifié, il faut que l’on mette en évidence un risque éventuel, or rien ne montre dans l’histoire des OGM en général et du maïs MON 810 en particulier, qu’il pourrait y avoir un risque quelconque quant à sa consommation. J’irai même plus loin en disant : bien au contraire !
Les éléments nouveaux sur lesquels la Haute autorité sur les OGM travaille en ce moment même, devraient mettre largement en évidence le fait que les maïs génétiquement modifiés et notamment ceux qui sont résistants aux insectes comme la pyrale, contiennent moins de mycotoxines – substances produites par un champignon ravageur- reconnues cancérigènes pour l’homme, qu’un maïs « classique ».
Contenant moins de mycotoxines, ces maïs sont donc plus sains pour la santé de l’homme. Une fois présentes on ne sait comment se débarrasser de ces mycotoxines. Ils existent des seuils légaux de ces mycotoxines dans les récoltes et la seule solution que l’on connaisse pour ne pas dépasser ces seuils, c’est de faire des mélanges entre des lots plus touchés avec d’autres qui le sont moins. Empêcher la présence de ces mycotoxines représente donc un « plus » au niveau sanitaire.
Non seulement les OGM ne seraient pas nocifs, mais ils seraient bénéfiques ?
Effectivement, ils sont bénéfiques et notamment sur cet aspect sanitaire particulier. On sait maintenant qu’il existe un maïs moins dangereux pour la santé, et certains font pourtant tout pour l’empêcher d’être cultivé.
Comment expliquez-vous alors que ces cultures suscitent autant d’oppositions ?
Je vous retourne la question, trouvez-vous qu’il y ait autant de détracteurs que cela ? S’agissant des ONG, ou de certains mouvements écologistes, je vous défie de trouver parmi eux un seul scientifique qui ait une publication concernant l’obtention de plantes génétiquement modifiées. Ils ne s’appuient sur aucun élément scientifique dans leur prise de position. Il ne s’agit que de positions idéologiques.
Pourquoi l’Afssa n’a pas participé aux tables rondes du Grenelle sur les OGM ?
L’Afssa n’était pas tout simplement pas invitée. Nous l’avons fait savoir mais nous n’avons eu aucune explication. Seuls étaient invitées des ONG, des associations « écolo-verdâtres ». C’était un Grenelle de l’environnement du paraître, auquel les spécialistes n’étaient pas conviés. Il n’y avait que très peu de scientifiques et parmi ceux qui étaient présents, ne figuraient qu’essentiellement des généralistes et non pas spécialistes de la question OGM.
Une majorité de chercheurs nous suivent sur notre position. Il n’y a qu’à regarder les signataires de notre appel, « Non au moratoire ». Nous frôlons actuellement les 1 000 signatures, dont un prix Nobel. Ce qui est désormais encourageant, c’est que pour la première fois, en dix ans de débat stérile sur les OGM, nous bénéficions désormais d’une structure nous permettant de nous exprimer sur les OGM.
Sur la question de la dissémination, que pensez-vous du seuil des 0,9% au delà duquel la présence d’OGM dans un aliment doit être précisée?
Le fondement de l’étiquetage doit être la transparence, la loyauté des transactions commerciales et l’information du consommateur. Dans cette logique d’étiquetage, il ne faut surtout pas baisser ce taux, pour de simples raisons techniques. Pour n’importe quel dosage, il existe un écart-type. Quand on travaillait à l’Inra autour du seuil qui était à l’époque de 1%, le coefficient de variation était de 0,25%.Avoir un seuil plus bas serait difficile techniquement (plus cher aussi) mais l’écart-type serait alors beaucoup plus important. 0,9% représente déjà un seuil très exigeant par rapport aux seuils en vigueur pour toute récolte de graines (en général de 3 à 5%). Même l’agriculture biologique s’octroie un seuil de 5% pour la présence d’autres éléments.
Sur la question de la dissémination, de nombreuses études très récentes viennent d’être publiées au Portugal, en Espagne, en Italie, au Danemark ainsi qu’une grande étude européenne SIGMEA. Toutes montrent que dès lors qu’une distance d’isolement relativement faible (25 à 50 m selon les études) est respectée entre deux champs de maïs, on reste en dessous du seuil de 0,9%.
Lors d’une réunion à Séville (Espagne) les 20 et 21 novembre 2007, les responsables du projet européen SIGMEA (Sustainable Introduction of Genetically Modified Crops into European Agriculture, 44 partenaires de 12 pays) ont assuré que la dispersion du pollen du maïs était désormais bien connue. Cela permet, selon eux, d’améliorer les modélisations permettant de savoir très précisément, région par région, les mesures à prendre pour que des champs de cultures OGM ne « polluent » pas des parcelles traditionnelles.
Respecter des seuils inférieurs à 0,9% d’OGM dans la production de champs traditionnels, malgré la présence de cultures de maïs OGM dans la même zone, « c’est faisable », a affirmé jeudi au cours d’une conférence de presse, un chercheur de l’Institut national français de la recherche agronomique (Inra), Antoine Messéan. Selon lui, « des distances de 50 m entre les parcelles OGM et non OGM sont suffisantes pour obéir à ce seuil de 0,9% ». Des mesures comme des décalages de semis, et des récoltes séparées assureraient une protection maximale. Ce seuil de 0,9% est toutefois rejeté par l’agriculture biologique qui revendique le droit à des cultures totalement non-OGM.
A peine publié, le rapport SIGMEA (destiné entre autres à proposer des outils d’aide à la décision publique et privée), l’Allemagne annonçait qu’elle autoriserait la commercialisation du maïs transgénique Mon810, de l’entreprise américaine Monsanto, à partir de 2008.
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