Corinne Lepage, avocate, ex-ministre de l’environnement, présidente de Cap 21. Chargée d’une mission sur la « gouvernance écologique » par Jean-Louis Borloo, elle vient de rendre un premier rapport d’étape.
Que pensez-vous de la décision du gouvernement français d’activer la clause de sauvegarde sur les OGM ?
J’y suis tout à fait favorable. J’estime que les conditions sont parfaitement réunies pour que cette clause soit activée. Quelles que soient les contestations que certains ont pu émettre sur les termes précis utilisés par le sénateur Jean-François Le Grand, termes que pour ma part je partage, dans l’avis signé de tous figurent incontestablement des faits nouveaux qui concernent à la fois l’environnement et la santé. Par conséquent, l’existence même de ces faits nouveaux justifie parfaitement que la France mette en oeuvre la clause de sauvegarde.
Du reste, concernant le MON 810 cette clause a déjà été activée par l’Autriche, l’Allemagne, et la Hongrie.
Depuis l’Allemagne est revenue sur sa décision et l’Europe a refusé l’activation de cette clause à l’Autriche…
Les allemands sont effectivement revenus sur leur décision après avoir activé leur clause de sauvegarde, dont acte. Peut-être suivrons-nous le même chemin. Quant à l’Autriche, l’Europe n’a jamais trouvé de majorité pour la condamner dans la position qu’elle a prise.
Depuis, de nouveaux débats européens ont été lancés notamment par l’Allemagne sur les conditions actuelles de délivrance des autorisations d’OGM. L’Allemagne estime que nous sommes dans un système qui n’est pas très satisfaisant. En effet, nous nous situons dans un système où les règles du jeu sont contestées par un certain nombre d’Etats et il ne s’est jamais trouvé une majorité pour condamner les Etats qui contestent.
Comment expliquez-vous que bon nombre de scientifiques se prononcent en faveur des cultures OGM ?
Il suffit de regarder qui sont ces scientifiques et vous aurez votre réponse.
Ce sont des scientifiques de l’Inra, de l’Afssa…
Vous avez à l’Inra un certain nombre de chercheurs qui ne partagent pas cette position. Je pense par exemple à M.Gouyon. Il ne s’agit donc que de certains d’entre-eux. Et, dans cette commission qui est pluraliste, et cela est très bien, sont représentées aussi bien des personnes qui ont des réticences vis à vis des OGM et d’autres qui promeuvent ce type de cultures.
Par ailleurs je trouve très regrettable que des organisations telles que l’Alliance pour la Planète ou la Confédération paysanne aient préféré ne pas siéger à la table de ce Comité (de préfiguration de la Haute Autorité sur les OGM – NDLR), parce que la clause de sauvegarde n’était pas activée alors même qu’il s’agissait de déterminer s’il fallait l’activer ou non. Je ne pense pas qu’il s’agisse là d’une position très cohérente.
Ne pensez-vous pas qu’un sujet tel que celui des OGM mériterait un véritable débat ? Or, on entend le plus souvent qu’un seul son de cloche…
Je pense que la façon médiatique de traiter le sujet est presque contreproductive. Ce qui est important avec le comité de préfiguration de la Haute autorité sur les OGM est justement la possibilité d’avoir un débat rationnel.
Mais, selon moi le vrai problème aujourd’hui est la faiblesse des études existantes. Nous ne disposons pas d’études « indépendantes » sur les effets des OGM sur la santé ou sur l’environnement.
Pourtant Philippe Joudrier, révèle sur notre site les conclusions d’une étude de l’Afssa portant sur les effets positifs des OGM sur la santé…
L’Affsa a effectivement sorti un document il y a un an et demi ou deux ans, que j’ai lu, qui est une spéculation sur les effets positifs que les OGM pourraient avoir sur la santé dans le futur. Il n’y a aucune étude de l’Afssa sur les effets positifs ou négatifs que cela aurait aujourd’hui.
On a l’impression que ce débat n’est pas aussi virulent dans les autres pays du monde, comment l’expliquez-vous ?
Il faut savoir que seuls six pays d’Europe cultivent du maïs OGM. C’est notamment le cas de la France et de l’Espagne… les autres ne sont donc pas concernés ce qui explique le peu de polémique dans ces pays.
Quant aux Etats-Unis, le débat est délicat étant donné qu’il n’y a pas d’étiquetage. Sans étiquetage, il m’apparaît difficile de savoir si les OGM ont un impact sur la santé ou non.
Les associations écologistes américaines ont perdu la bataille dans les années 70. A cette époque, les américains se posaient la question de savoir si oui ou non les OGM devaient être considérées comme d’autres plantes.
Le résultat du débat a été que l’on considère les OGM comme équivalentes en substance aux autres plantes. Or, à partir du moment où on les considère comme équivalente en substance, il n’y a pas lieu de les analyser, de les étiqueter, ni de les tracer. On consomme donc des OGM mais on ne connaît pas leurs effets sur la santé étant donné que l’on ne sait pas qui les ingère.
Ce que l’on sait en revanche, grâce à la seule étude publique qui a été menée puis expertisée sur le MON 863, pas sur le MON 810, c’est qu’il y a des effets statistiquement significatifs sur des rats qui consomment cet OGM. Ils voient leurs reins et leurs foies subir des modifications, avec des paramètres parfois de 40%. Les rats grossissent et les rates maigrissent.
Nous demandons de notre côté que des études soient menés par des organismes indépendants et non pas par des demandeurs d’autorisation, et qu’elles soient ouvertes à la controverse scientifique comme elles doivent l’être pour qu’il y ait un vrai débat.
La France est en avance sur le sujet mais c’est principalement dû au fait que nous sommes dans un pays où il y a un consensus national pour ne pas avoir d’OGM et des forces économiques très fortes pour qu’il y en ait.
Quant à l’argument qui consiste à dire que le fait de cultiver des OGM permettrait de nourrir de plus en plus de personnes est un argument certes qui n’a jamais fait l’objet d’aucune évaluation contradictoire scientifique. On est dans l’ordre des déclarations d’intention et non dans l’ordre des expertises.
Lors des tables rondes du Grenelle, il a également été évoqué la question de la baisse des pesticides. Sans pesticides, ni OGM, comment fait-on alors, la production bio n’étant pas suffisante pour nourrir tout le monde ?
Contrairement à ce qui est le plus souvent répandu, les OGM ne réduisent pas l’usage des pesticides. Concernant les herbicides, majoritairement le Round-Up, la consommation de ce produit n’a absolument pas diminué avec l’intensification des cultures OGM aux Etats-Unis, bien au contraire.
Quant à l’aspect pesticide, c’est là tout l’enjeu du débat sanitaire, parce que les OGM dont nous parlons contiennent des gènes pesticides, dont l’objet est de s’attaquer aux insectes. Or les doutes sérieux que nous avons sur l’impact sanitaire des OGM viennent précisément du fait qu’ils sont pesticides. La question que l’on se pose alors est de savoir s’il vaut mieux avoir recours à des plantes qui sont des OGM et pesticides plutôt que de mettre du pesticide dans des plantes non GM. On tombe donc là précisément dans le débat scientifique.
Dans le cadre de la mission confiée par Jean-Louis Borloo, vous venez de rendre un premier rapport d’étape la semaine dernière. En quoi consiste le concept de « délinquance écologique » ?
Pour faire cette proposition, nous nous sommes inspirés du projet de directive dont le principe a été approuvé en février 2007, et qui prévoit la responsabilité pénale du fait de l’environnement dans les états membres. Nous pensons que, pour une fois, il serait intéressant que la France anticipe l’application d’un texte plutôt que d’être toujours à la traine.
Nous avons donc pris le texte tel qu’il a été approuvé et nous en avons fait un projet de transcription en droit interne. Cela n’est pas d’une grande originalité mais nous pensons qu’il s’agit là de quelque chose de nécessaire dans la mesure où le droit français ne contient pas de disposition de délinquance écologique sauf dans le domaine de l’eau.
Actuellement, lorsque l’on a une infraction d’ordre écologique, soit elle n’est pas très grave et on se situe alors dans le cadre de sanctions administratives, soit les cas sont beaucoup plus graves comme dans le cadre de mise en danger de la vie d’autrui, empoisonnement… Nous pensons donc qu’il est nécessaire d’intégrer une notion de sanction médiane de façon à ce que le droit pénal de l’environnement ait son autonomie par rapport au droit pénal « classique ».
Et le délit de rétention d’information ?
Sur ce point les choses sont différentes. Lors de son discours, le président Nicolas Sarkozy a affirmé qu’il tenait à ce qu’en matière d’environnement nous entrions dans un système de transparence, alors que celui dans lequel nous nous trouvons actuellement tient plus au secret qu’à la transparence. Et ce, malgré la convention d’Aarhus, transcrite en droit interne, mais sur ces sujets là, la France continue à trainer des pieds.
Nous avons donc proposé à Monsieur Borloo que l’on inverse le système comme cela existe aux Etats-Unis ou en Angleterre et que l’on passe à un devoir d’information. C’est à dire que le public ait à sa disposition les informations sans devoir se livrer à un parcours du combattant pour y accéder. Lorsque que quelqu’un a en sa possession une information qui a une importance pour la santé ou l’environnement et qu’il la cache, comme dans le cas de l’amiante ou du nuage de Tchernobyl, cette rétention d’information est considérée comme une infraction parce qu’elle cause un trouble à l’ordre public. Il s’agit là d’une totale innovation.
Quel avenir pour ce rapport ?
Le ministre va le présenter au groupe de suivi du Grenelle mais ensuite je ne sais pas quel sera son sort même si j’espère qu’il sera pris en compte, y compris en ce qui concerne nos propositions sur l’expertise et l’information qui pourraient permettre de modifier utilement le projet de loi OGM.
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