Un réchauffement de seulement quelques dixièmes de degrés de la surface de la mer constitue une sérieuse menace pour le manchot royal. C’est ce que révèle une étude inédite effectuée par l’équipe d’Yvon Le Maho, directeur de recherche CNRS à l’Institut pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC, CNRS / Université de Strasbourg 1) et membre de l’Académie des sciences.
Au moyen d’un dispositif sans équivalent de part le monde, les chercheurs ont, neuf années durant, suivi individuellement plus de 450 manchots royaux dans leur milieu naturel, au sein de l’Archipel de Crozet. Menée dans le cadre des programmes soutenus par l’Institut polaire français Paul-Émile Victor (IPEV), en collaboration avec des scientifiques du Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive, de la station biologique de la Tour du Valat, du Muséum national d’histoire naturelle de Paris et de l’Université d’Oslo, ces travaux sont publiés le 11 février dans la revue PNAS.
Suivre électroniquement des animaux dans leur milieu naturel
Pour suivre individuellement les manchots, on a longtemps utilisé une bague comportant un numéro, bague qui était fixée à l’un de leurs ailerons. Mais cette bague constitue un obstacle à la propulsion de l’animal dans l’eau. Et l’équipe « Écologie fonctionnelle« , dirigée par Yvon Le Maho à l’IPHC a révélé que les manchots royaux bagués réduisent de moitié leur chance de se reproduire avec succès. À ce phénomène s’ajoute une diminution de leur espérance de vie. En découlent des résultats qui peuvent être biaisés. C’est pourquoi l’équipe de l’IPHC a mis au point un dispositif innovant permettant de suivre les manchots royaux sur le long terme, et, c’est une première, sans modification de leur environnement. Il s’agit d’une méthode de suivi électronique individuel.
Initiée il y a 9 ans, cette étude a porté sur une population de plus de 450 manchots royaux à qui une étiquette électronique de 0,8 g a été implantée sous la peau. Les oiseaux ainsi « marqués » sont alors identifiés grâce à des antennes enterrées le long des « autoroutes à manchots« . Ces recherches ont été menées sur l’île de la Possession située dans l’Archipel de Crozet. Là, se reproduisent en effet les 2/3 de l’effectif mondial des manchots royaux (soit 2 millions d’oiseaux). Les résultats obtenus sont donc représentatifs pour l’espèce.
Pourquoi s’intéresser aux manchots royaux ?
Prévoir l’impact du changement climatique sur la biodiversité constitue un enjeu majeur. Or, ses effets sur la productivité marine de l’océan Austral demeurent encore mal connus. Il est, en outre, très difficile de déterminer l’effet du climat sur les chaînes alimentaires marines. Principal atout des oiseaux de mer : en tant que prédateurs, ils se situent au sommet de ces chaînes. Par conséquent, la dynamique de leurs populations est le reflet de l’évolution des ressources marines. De plus, les manchots ne volant pas, ils peuvent être identifiés en grand nombre et bien localisés sur leurs voies de passage. Enfin, seuls les manchots royaux effectuent, hiver comme été, des allers et retours entre leur colonie de reproduction et la mer, où ils s’alimentent et trouvent de la nourriture pour leur progéniture.
Durant l’été, les manchots s’approvisionnent, entre 300 et 600 km au large de leur colonie, la distance de ravitaillement étant directement liée au réchauffement de l’océan : plus l’eau de surface est chaude, moins le poisson est abondant à proximité de Crozet et plus les manchots vont loin. L’hiver, lorsque les ressources marines sont maigres, ces prédateurs vont se sustenter à près de 2.000 km de la colonie, en bordure des glaces de mer qui se forment au large de l’Antarctique.
Un effet direct sur la survie des manchots
Première observation, un réchauffement de la température de surface de la mer à proximité de Crozet, entraîne, en été, une diminution immédiate du succès reproducteur des oiseaux. Un phénomène inquiétant qui s’explique notamment par le fait qu’une température élevée défavorise le développement des organismes marins. En effet, ces derniers ne peuvent prospérer que sur une gamme de températures très réduite. Les manchots royaux ayant moins de nourriture à ramener au poussin, ce dernier a moins de chance de vivre.
Second constat, cette fois en hiver, l’augmentation de seulement 0,26°C de la température de surface de la mer, au niveau de la limite de la glace de mer, se traduit deux ans plus tard, par une baisse de 9% de la probabilité de survie des manchots. En cause là aussi, la raréfaction des ressources marines, très probablement du krill qui est à la base des chaînes alimentaires antarctiques, dont dépendent les manchots royaux.
Sachant que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) prévoit une hausse moyenne des températures d’environ 0,2°C par décennie, pour les deux prochaines décennies, le réchauffement de l’océan Austral constitue une importante menace pour le manchot royal. Survivront-ils ? S’adapteront-ils aux changements climatiques à venir ?
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