Marie-Monique Robin, journaliste récompensée par le prix Albert Londres, auteur de nombreux documentaires en Amérique latine, elle publie un livre et un documentaire « évènement » diffusé sur Arte, « Le Monde selon Monsanto ».
Pourquoi enquêter sur Monsanto ?
A l’occasion des trois films que j’ai déjà réalisés pour Arte sur la biodiversité, partout dans le monde, je me heurtais à Monsanto. C’était donc devenu une évidence pour moi de m’intéresser à cette entreprise leader mondial des OGM dans le monde et dont je savais qu’elle avait fabriqué l’agent orange de la guerre du Vietnam.
L’idée du projet était de savoir si on peut faire confiance à cette firme, qui est la plus controversée de l’histoire industrielle avec les OGM, mais aussi les PCB, le fameux pyralène en cause dans la pollution actuelle du Rhône.
Comment expliquez qu’une firme aussi controversée soit toujours aussi prospère aux Etats-Unis et dans le monde ?
C’est justement l’un des points centraux de mon livre et de mon film. Monsanto est très fort dans ce que l’on appelle aux Etats-Unis les « revolving doors » c’est à dire les portes tournantes ou chaises musicales.
Dans mon ouvrage je fais état d’une cinquantaine d’anciens cadres de Monsanto qui ont été recrutés par la FDA (Food Drug Administration, organisme américain de contrôle des denrées alimentaires et des médicaments, chargé notamment d’autoriser la commercialisation des produits sur le territoire américain – NDLR), par l’EPA (l’agence de protection de l’environnement- NDLR), ou le secrétariat à l’Agriculture.
Je cite le nom de Donald Rumsfeld, nommé en 2001 à la tête du Pentagone par George W.Bush, poste qu’il occupera jusqu’en 2006. Donald Rumsfeld est l’ancien PDG de Searle, la filiale pharmaceutique de Monsanto, à l’origine de la mise sur le marché du Nutrasweet, un édulcorant fortement controversé. Ann Veneman, ancienne ministre américaine de l’agriculture et aujourd’hui directrice exécutive de l’Unicef est une ancienne directrice d’une filiale de Monsanto. Le n°2 de la FDA qui a rédigé la réglementation sur les OGM est un ancien avocat de Monsanto, qui est ensuite devenu vice-président de Monsanto, etc….
Ce système a également cours à l’OMS, à l’OCDE, ils sont absolument partout. C’est un système qui ne caractérise évidement pas seulement Monsanto mais tous les interlocuteurs américains que j’ai rencontré reconnaissent qu’ils sont très forts en la matière.
Des anciens cadres de Monsanto sont donc à des postes clés de l’administration américaine ?
Tout à fait, il ne s’agit pas de simple lobbying, c’est beaucoup plus que cela, ils occupent effectivement les places clés. Un des juges de la cour suprême américaine est tout de même un ancien avocat de Monsanto. Le n° 2 de l’OMC était un ancien cadre de Monsanto. Par ailleurs un des textes les plus controversés de l’OMC, celui des « accords triples », a été rédigé par Monsanto lui-même.
Comment la firme américaine a réagi à votre enquête ?
De nombreux journalistes ont tenté de joindre Monsanto suite à la sortie de mon ouvrage et personne de chez eux ne souhaite faire de commentaire. Quant à la réalisation du documentaire, ils n’ont pas souhaité y participer. Je les avais contactés mais ils ont refusé d’apparaitre dans mon enquête.
Personnellement, comment vous situez-vous par rapport à la problématique OGM ? Etes-vous contre les OGM ou contre Monsanto ?
Je ne suis contre rien du tout, je m’interroge juste. Je ne m’étais jamais préoccupée des OGM, je suis pourtant fille d’agriculteur. Je pensais qu’il n’y avait pas de problème, j’avais lu comme tout le monde qu’il ne s’agissait que d’un gène de plus, et alors… Cependant, quand vous commencez à travailler sur la question comme j’ai eu l’occasion de le faire pour mes reportages précédents, vous vous rendez vite compte que le principe d’équivalence en substance qui est la base de la réglementation mondiale sur les OGM fut une décision politique ainsi que l’affirme James Maryanski, qui dirigeait le département biotechnologie à la FDA.
Ce principe n’a donc été établi sur aucune base scientifique, il ne s’agit que d’une décision politique de la Maison Blanche prise pour favoriser le développement et la mise sur le marché des OGM. Ce principe consiste à considérer qu’un soja transgénique est à priori équivalent à un soja conventionnel donc, à partir du moment où ils sont équivalents, on ne fait pas de test. On découvre alors que le soja « Round Up ready » par exemple, manipulé pour résister au Round-up de Monsanto a été mis sur le marché sans aucun test préalable.
Et la FDA ?
Ce principe a provoqué beaucoup de résistance au sein de la communauté scientifique de la FDA qui était opposée dès l’origine à ce principe et j’en apporte la preuve via des documents déclassifiés et les interviews qui vont avec. Plus on avance dans la recherche, plus on se rend compte qu’il y a de gros problème avec les OGM. S’il n’y avait pas de problème, on ne voit pas pourquoi Monsanto mènerait des campagnes de diffamations en inventant des faux scientifiques comme je le montre dans le film, en ayant recours à une agence qui fait du marketing viral pour discréditer ses opposants, pourquoi il ferait pression au sein de la FDA pour écarter tous ceux qui posent des questions, ou discréditer les équipes de recherche indépendante au lieu de s’affronter à eux sur un terrain scientifique.
S’il n’y a pas de problème avec les OGM, encourageons de véritables études scientifiques indépendantes, ce qui n’a pas été fait. Les seules qui ont été faites ont été décortiquées par des scientifiques norvégiens qui les jugent carrément ridicules, c’est ce qu’ils appellent de la « bad science ». Il s’agit d’études réalisées avec des rats adultes, des études de 28 jours, complètement grotesques.
Il faut donc arrêter les mensonges et reconnaitre qu’il n’existe pas de réelle étude sérieuse. La seule qui s’en approche a été réalisée en Ecosse par un laboratoire qui était pro-OGM et qui est devenu anti-OGM suite aux résultats de cette étude. Les scientifiques de ce laboratoire ont par la suite tous été renvoyés.
Quelle vision pessimiste…
Il faut voir les choses comme elles sont, on n’a pas envie de savoir, et il n’y a pas de transparence. Tout est laissé au bon vouloir de compagnies de type Monsanto et tant que cette question n’est pas réglée il faut faire comme le gouvernement français, il faut avoir recours au principe de précaution.
En revanche, peut-être que si on réalise toutes les études nécessaires, avec des protocoles sérieux, sur une durée de deux ans… on conclura alors peut-être qu’il n’y a aucun risque. Mais pour l’instant, les OGM que l’on nous propose, ceux de Monsanto à 90% sont faits pour vendre de l’herbicide, du Round-Up, produit hautement cancérigène utilisé tous les jours par certains agriculteurs et les conséquences risquent bien d’être dramatiques.
Monsanto a toujours menti sur le sujet du Round-Up. Ils ont été condamné deux fois déjà pour publicité mensongère, le Round-Up n’est pas biodégradable, il n’est pas bon pour l’environnement… il est cancérigène, c’est un perturbateur endocrinien. L’enjeu sanitaire est très important. Alors sortons du débat pour/contre, et testons.
Comment réagissez-vous à la prochaine diffusion de votre film à l’Assemblée, avant le vote de la loi sur les OGM ?
J’en suis évidemment très contente. Tout comme de savoir que Jean-Louis Borloo a demandé mon film, que Nicolas Hulot a donné mon livre et le film à Nicolas Sarkozy. C’est d’autant mieux que Nicolas Hulot m’a confirmé que lors de la réunion du Sénat sur le sujet, seule une petite vingtaine de sénateurs étaient présents. C’est dramatique quand on connait l’enjeu.
Nicolas Hulot préface votre ouvrage…
En effet, nous l’avons contacté, il a lu le livre et vu le film et il était bouleversé. Il a alors décidé de le préfacer ce qui m’a ravie. C’est important d’avoir son soutien, mais ce n’est pas le seul. Il y a un véritable « buzz » sur Internet autour de l’ouvrage.
Est-il prévu une sortie du livre ou du film outre-Atlantique ?
Les Canadiens s’en occupent. Le DVD y est très demandé et une traduction de mon livre est en cours. Je pense que le film devrait surtout circuler par le réseau DVD. Pour l’heure il a été diffusé sur deux chaines canadiennes.
« Le Monde selon Monsanto » sera diffusé le 11 mars à 20h40 sur Arte et est également disponible en DVD (Arte vidéo). Le documentaire fait par ailleurs l’objet d’un livre préfacé par Nicolas Hulot (Arte éditions).
Commentaires récents