Marie-Christine Blandin, sénatrice vert du Nord, rapporteur du rapport intitulé « Risques chimiques au quotidien : éthers de glycol et polluants de l’air intérieur. Quelle expertise pour notre santé ? »
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette question ?
C’est l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques dont le fonctionnement est conditionné par les saisines soit du Président de l’Assemblée, soit du Président du Sénat, qui choisit les thèmes des rapports. Il y a eu une saisine du Sénat sur ce sujet.
Ensuite, le président de l’Office interpelle ses collègues en demandant « qui veut s’en occuper ? ». Là, il y a une question de motivation personnelle parce que je suis Vert, écologiste et que la précaution pour la santé environnementale m’intéresse.
Vous attendiez-vous à une telle médiatisation de votre rapport ?
Le problème de la santé environnementale est quand même dans l’air du temps pour deux raisons. La première raison, c’est le scandale de l’amiante qui a montré que les expertises des pouvoirs publics par le passé avaient subi l’influence des industriels et avaient été dévoyées, qu’on avait caché aux gens qu’un produit cancérigène était en contact avec un certain nombre d’habitants, de travailleurs qui percent les plafonds…
La deuxième raison contextuelle, c’est quand même une bonne évolution de la conscience collective. Dans le Grenelle de l’Environnement, les préconisations du groupe 3 sur la santé rejoignent totalement les préconisations du rapport. Très récemment, la commission Lepage – mandatée sur une étude sur la gouvernance – a abouti également aux mêmes conclusions.
Il y a également un contexte européen favorable avec l’application prochaine de Reach. Cette directive, c’est l’obligation de constituer une espèce de grand registre de toutes les substances chimiques et de leurs nocivités.
La règlementation Reach va-t-elle réduire cette pollution de l’air intérieur ?
Nous allons avoir des outils pour avancer. Néanmoins, nous serons loin du compte, d’abord pour des raisons de délais. Pour faire ces analyses, il faut des toxicologues. Or, nous avons une carence globale de toxicologues et je crois que la France est lanterne rouge en la matière.
En raison de sa mise sur le marché de substances, elle devrait hériter de 16% des substances à évaluer. Nous allons avoir un vrai travail de formation de nouvelles générations de toxicologues et il faut 10 ans pour faire un toxicologue.
La deuxième chose, c’est qu’en raison de l’embouteillage en quelque sorte, il a été décidé au niveau européen que toutes les substances qui étaient mises sur le marché à hauteur de moins d’une tonne par an ne seraient pas analysées. Ceci nous pose de gros problèmes parce que beaucoup de cosmétiques vont y échapper par exemple. Ce sont de petits flacons avec de petites substances. Cela pose également problème pour des substances appelées reprotoxiques.
Il faut une très petite quantité de pesticides reprotoxiques ou d’éthers de glycol reprotoxiques ou de phtalates reprotoxiques pour arriver à faire des dégâts considérables dans la formation d’un embryon pendant les premières semaines de la grossesse. Le critère du tonnage n’est pas un critère adapté pour ces substances là.
Quelles sont les conséquences de ces produits chimiques sur la santé ?
La première chose à faire passer comme message est que ces produits (détergents, peintures, solvants, cosmétiques, parfums…) ne sont pas des produits anodins. Je pense que le terme suffit. Il ne s’agit pas de faire sombrer tous les gens dans la sinistrose en leur disant « vous allez mourir dans votre salle de bain ou dans votre cuisine ». D’ailleurs, les gens ne le croiraient pas. Premièrement, ce ne sont pas des produits
Deuxièmement, il y a des notions à faire rentrer dans la tête des gens de personnes particulièrement sensibles (les asthmatiques, les allergiques, les embryons en formation donc la femme enceinte ou en âge de procréer) et puis la notion d’exposition. Un adulte d’1m80 qui est dans une pièce lavée avec un détergent n’aura pas la même exposition qu’un jaune enfant de 2 ans qui rampe au sol, qui lèche ses doigts…
La précaution c’est aussi avoir ces nouvelles notions. Cela concerne les consommateurs, ceux qui font les étiquettes, les pouvoirs publics qui doivent imposer la lisibilité des étiquettes et la cohérence des nomenclatures, et les agences sanitaires qui doivent avoir le courage de faire retirer du marché des produits suspects.
Dans quels produits trouve-t-on ces substances toxiques ?
La première chose est de regarder avec circonspection peintures, revêtements de sols, vernis, décapants, produits de traitement du bois destinés à tuer les animaux qui pourraient s’y attaquer, insecticides. Tous ces produits là mettent dans l’air intérieur des molécules cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques. C’est reconnu, il n’y a pas de contestation sur le sujet. Il s’agit d’une première catégorie de produits à regarder de travers.
Après nous pouvons allez en dessous. Ce sont les détergents, les gels douches, les shampoings… dont le cumul et la non aération des locaux peuvent former des cocktails mauvais pour la santé.
Il y a aussi ceux qui sont présents en petites quantités et qui ne paraissent pas faire de dégâts mais qui sont au contact plus intime du corps. Ce sont les déodorants, les cosmétiques, les teintures pour les cheveux… Il faut recommander aux femmes durant leur première semaine de grossesse de se tenir rigoureusement à l’écart de ces produits, sauf si ceux-ci sont bios et ne contiennent pas les substances habituelles.
Concrètement, quelles sont les précautions à prendre ?
Chacun doit prendre sa part de responsabilité. Dans le temps, on fonctionnait avec la prévention. Nous savions que tel produit est dangereux, voir cancérigène, voir mortel, et nous essayions de ne pas le toucher, de ne pas le toucher… Nous avions des preuves du danger d’un produit.
La précaution, c’est une autre attitude. C’est de dire il y a un faisceau convergent d’animaux qui meurent au contact de ce produit là, ou de communications scientifiques de l’autre bout du monde, ou de suspicion dans le milieu du travail. Vraiment, ce produit est fortement suspect alors tenons nous en à l’écart. Les pouvoirs publics doivent être courageux et les retirer de la circulation.
Que faire au quotidien ? Aérer le logement ?
Il s’agit du comportement personnel de l’individu. C’est vrai qu’aérer un quart d’heure le matin et un quart d’heure le soir ça change la composition de l’air intérieur. On a entendu de drôles de choses avec des fabricants de tapis qui nous disaient « Tout le monde sait bien que quand on achète un tapis, il faut l’aérer 15 jours avant de le mettre dans sa pièce ».
Il faut lire les étiquettes. Quand vous achetez des bois, il faut préférer des bois entier aux bois fragmentés collés avec des colles au formol. Grâce à l’attitude très vertueuse des pays nordique, de l’Allemagne et de la Belgique, il commence à y avoir des étiquetages qui donnent la norme d’émissivité de certains bois et qui précisent donc si ça va relarguer ou pas dans l’atmosphère.
Au niveau des personnes particulièrement sensibles, pensons aux chambres de bébés, dans lesquelles il faut complètement prohiber les peintures qui ne sont pas des peintures spécialement bios, les solvants, les vernis, ces bois émissifs et autres produits.
Dans votre rapport vous évoquez le danger des éthers de glycols…
Les éthers de glycol sont une longue histoire parce qu’il y en a de très nombreux sur le marché. En la matière, il existe deux séries distinctes : une série éthylénique et une série propylénique.
Dans un premier temps, ce sont des éthers de glycol de la famille éthylénique qui ont été reconnus parmi les plus toxiques et qui sont réputés interdits. Quand nous regardons bien, ils ne sont pas complètement interdits. Ils sont interdits si leur seuil dépasse dans une composition 0,5% dans la commercialisation pour le grand public. Quand on dit qu’ils sont interdits il y a encore des traces.
Ils ne sont pas interdits dans le milieu du travail pour des process de fabrication. Or ces produits sont cancérigènes, mutagènes, reprotoxiques. Ils sont repérés comme tels et ils mériteraient d’être substitués par d’autres molécules chimiques et le rapport fait d’ailleurs un appel vigoureux à la chimie verte.
Les éthers de glycols sont solubles dans l’eau et dans les graisses. C’est donc un produit miracle pour la chimie. Mais il y a moyen de trouver des produits de substitution. D’ailleurs, certains pays nordiques l’ont fait.
Dans quels produits sont-ils présents ?
Vous en avez dans des vernis… Vous n’avez qu’à aller dans votre pharmacie et regarder les excipients, c’est-à-dire pas les molécules actives mais les molécules qui permettent de faire les solvants, et vous allez en trouver dans un tas de choses. Vous n’avez qu’à regarder les crèmes cosmétiques, les gels douches… Vous allez en trouver plein.
Aujourd’hui, la règlementation en vigueur prévoit-elle certaines précautions ?
Il y a des précautions dans le milieu du travail. On ne laisse plus les gens tremper à mains nues, dans des bains de solvants pour le nettoyage des pièces informatiques comme dans le temps, mais le seuil de 0,5% n’est pas une obligation dans le milieu du travail.
Finalement, quelle est la conclusion de votre rapport ?
Il faut changer de dimension dans la précaution, dans la force de nos agences sanitaires. Nous avons une agence qui s’appelle l’Afssaps sur le médicament, l’Afssa sur les aliments. Nous avons une agence extrêmement fragile et toute jeune qui est l’Afsset sur la santé, l’environnement et le travail. Il faut la consolider, lui donner des moyens, des ressources humaines, de l’indépendance, et ainsi nous ferons un grand pas.
Si vous n’aviez qu’un message à délivrer ?
La première chose, c’est un appel à la précaution au lieu de la prévention. Il faut franchir une étape. La deuxième chose, c’est un appel à tous les fabricants, diffuseurs… pour une chimie plus respectueuse de l’environnement.
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