Matthieu Calame, ingénieur agronome, chargé de mission à la Fondation Charles Leopold Mayer, auteur de « La tourmente alimentaire – Pour une politique agricole mondiale » (Ed. CLM) – avril 2008).
Comment expliquez-vous l’ampleur de la crise alimentaire mondiale ?
La crise alimentaire actuelle vient de très loin. En général, deux types de réponses sont apportées, à court et long terme. Ceux qui proposent des mécanismes à court terme, indispensables compte tenu de la situation, occultent peut-être l’origine du problème et les mécanismes de long terme qu’il faudrait mettre en place.
Les prix des matières premières n’ont cessé de chuter depuis trente ans. De ce fait, des petits paysans se sont retrouvés ruinés, et non seulement ils ont arrêté de produire, mais ils sont allés gonfler les rangs des populations urbaines les plus pauvres, créant ainsi une « plébéisation », un peu à l’image de la plèbe romaine. On a donc une diminution de l’autoproduction d’un côté et une augmentation des bouches à nourrir en ville de l’autre. Par ailleurs, les paysans qui restent ne sont pas encouragés à investir. L’agriculture se révèle assez prédatrice.
La production n’en finit donc pas de diminuer et quelques incidents climatiques viennent alors se greffer sur le phénomène. Pour prendre une image, c’est comme une maladie qui arrive sur un organisme déjà affaibli. Par ailleurs la situation est aggravée par la spéculation, que l’on peut considérer comme une maladie opportune. L’effondrement des bourses mondiales engendrent un certain nombre de spéculation sur les matières premières. Mais tout cela n’est possible que parce que le marché est très tendu à cause des mécanismes expliqués auparavant.
Quelle était l’origine de ces prix très bas ?
L’origine est très claire. L’Europe et les Etats-Unis ont eu des politiques de dumping, qui bradaient des produits alimentaires en dessous de leur prix de production grâce à leur propre politique agricole et donc qui étouffaient les pays qui ne disposaient des moyens de subventionner leur agriculture.
Alors, d’accord pour faire à court terme des interventions pour nourrir ces populations urbaines actuellement au bord de l’émeute, c’est indispensable. Mais quand la réponse des Etats-Unis ou de l’Europe c’est de dire « on va faire une aide alimentaire » sous-entendu, c’est nous qui allons nourrir cette plèbe urbaine, ils ne font qu’accroitre le problème. Il faudrait commencer à nourrir les populations en achetant en priorité aux producteurs locaux, plutôt qu’en leur fournissant nos excédents à bas prix.
Beaucoup montrent du doigt le développement des biocarburants…
Les biocarburants aggravent la situation. C’est là encore une maladie opportune. A l’origine, les biocarburants ont été faits pour éponger les excédents des pays qui subventionnaient leur agriculture. C’est typiquement le cas des Etats-Unis et de l’Europe, où les biocarburants ont émergé lorsqu’a été mis en place le système de jachère, condition afin de poursuivre les subventions.
Mais, le grand processus qui entraine la surpopulation pauvre, ce sont les trente années durant lesquelles on a détruit la paysannerie mondiale.
Jean Ziegler appelle à la « végétariennisation », arrêtons de consommer de la viande, forte consommatrice de céréales afin de baisser les coûts. Qu’en pensez-vous ?
C’est évident que cela aurait un impact à long terme mais tout dépend de quel type de viande vous mangez. Si vous êtes en Suisse ou en Laponie, ou encore en Mongolie, vous vous situez au c?ur d’écosystèmes qui dépendent de l’animal. Donc lorsqu’il y a surpâturage cela pose problème.
Par ailleurs, si demain, nous nous mettons tous à consommer moins de viande en Europe, cela ne signifie pas un rééquilibrage immédiat. Cela étant, il a raison sur le long terme, il faudra consommer moins de viande mais autre problème, la culture des céréales est loin d’être anodine sur le plan environnemental.
Pour moi, si l’on fait une projection à très long terme, la seule solution, c’est l’agroforesterie.
Pouvez-nous nous en dire plus ?
Au lieu d’avoir des régimes alimentaires à base de plantes annuelles comme les céréales, il s’agirait de recourir à des plantes venant des arbres. En terme de fixation du sol, parce que le problème sous-jacent est celui de l’érosion des sols, les céréales érodent les sols. Si on prend l’exemple du Sahara, ce qui a sauvé l’humanité dans la zone c’est l’olivier puis après le châtaignier. Ensuite les politiques agricoles ont été mises en place, sous l’influence des pays du nord qui n’étaient pas confrontés au même problème d’environnement. Certains pays, comme l’Espagne ont alors fait repartir une érosion énorme d’effets.
Je pense que l’on n’échappera pas à l’enrichissement de la gamme des produits alimentaires que nous consommons, notamment en privilégiant de plus en plus les produits venus des arbres. Et si demain, la PAC arrête de subventionner le blé et subventionne le châtaignier, l’écosystème s’en trouvera profondément modifié. Mais on est là dans de la prospective à long terme.
Et les OGM, sont-ils LA solution à la faim dans le monde comme certains le laissent à penser ?
La crise alimentaire est d’abord sociale et politique. C’est la capacité à mettre en place une politique qui résoudra le problème. J’ai très très peur des fuites en avant techniques et technologiques. Au fond, elles ne s’attaquent pas du tout au problème, elles détournent même le problème de la question sociale et politique qui est de savoir comment se fait la répartition de la production, et la capacité du pouvoir d’achat, ou comment amener des gens à produire par eux-mêmes et non pas à être ruinés et aller vivre dans des favelas.
Les OGM me posent donc deux problèmes majeurs. Tout d’abord on va vers une privatisation des semences par des grandes boites, donc on accroit le cout de production pour le producteur. Par ailleurs, les OGM sont favorables à une concentration à terme, parce qu’il faut vendre énormément pour pouvoir se payer ces semences qui sont chères, d’autant plus que l’on utilise beaucoup d’entrants.
Les OGM produites à l’heure actuelle ne présentent donc pour moi aucun intérêt pour résoudre la crise alimentaire. De plus, la monoculture de soja Round-up ready telle qu’elle se fait aujourd’hui en Argentine est une catastrophe écologique majeure. C’est l’équivalent de ce qui a été fait au Sahara sauf que cela se fait à coup de tracteurs et de Round-Up.
Pour moi les OGM sont inutiles et incertains. Mais si quelqu’un veut les défendre à tout prix, je veux bien. Certains travaillent à rendre le blé bisannuel, mais pour moi c’est de la science fiction, et le pari de miser là-dessus pour l’avenir me semble très risqué.
S’agissant du débat qui s’est tenu à l’Assemblée, je souscris complètement à ce qu’on pu dire le sénateur Legrand ou Nathalie Kosciusko-Morizet. Selon moi, c’est une loi Limagrain, faite pour notre champion national de la semence.
L’Europe a bien d’autres solutions qui s’offrent à elles.
> Pour en savoir + : « La Tourmente alimentaire – Pour une politique agricole mondiale » – Editions Charles Léopold Mayer – avril 2008.
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