Dr Jacques Gayraud, allergologue et ancien Président du Syndicat national des allergologistes français (SNAF).
Y-a-t-il une recrudescence des allergies en France ?
Certainement, oui, dont l’une des causes sont les co-facteurs de l’environnement. Il en a deux qui ont été confirmées. A l’intérieur, le tabagisme passif, mais il y en a peut être d’autres en particulier les composants des produits qui rentrent dans la composition des matériaux de construction, et puis à l’extérieur les particules de diesel. Tabagisme passif et particules de diesel sont deux co-facteurs qui ont été confirmés.
Quand on parle d’allergies, on pense tout de suite aux pollens sans imaginer qu’il faut des co facteurs pour les révéler…
C’est toute la différence qu’il y a entre une prédisposition immunologique, que l’on peut appeler sensibilisation et une allergie véritable. Nos propres défenses vont être capables de reconnaître un allergène et vont fabriquer des anticorps, des IgE spécifiques par exemple. Cela ne suffit pas pour avoir de l’allergie.
L’allergie suppose cette reconnaissance immunologique avec une traduction et des manifestations cliniques. Si vous avez des tests cutanés aux pollens de graminées, cela ne signifie pas que vous allez avoir une pollinose, une allergie pollinique. Il faut des co-facteurs. Ce sont ces co-facteurs qui se multiplient pour révéler l’allergie.
On peut développer des anticorps sans avoir de symptômes ?
Oui, et heureusement d’ailleurs. Il y a beaucoup plus de personnes qui ont des tests cutanés ou des dosages d’IgE spécifiques positifs que de personnes qui ont réellement des manifestations allergiques. Ceux qui ont des manifestations vont se recruter préférentiellement parmi ceux qui ont des tests cutanés positifs, c’est ce que l’on appelle le terrain atopique.
Quelle est la proportion de Français allergiques ?
Il y a aujourd’hui 30% de la population qui a eu, qui a ou qui aura une manifestation allergique toutes sphères confondues, que ce soit respiratoire, cutanée, digestive, ou autres. Les principales allergies sont les allergies respiratoires, et en particulier les rhinites, et l’asthme.
C’est un peu lié ?
Oui, puisque la rhinite et l’asthme sont les manifestations de la même muqueuse respiratoire. Très souvent les rhinites sont associées à l’asthme. Toute rhinite impose la recherche d’un asthme.
Ca peut même être lié à l’eczéma…
Nous le redisons, c’est ce que l’on appelle le terrain atopique. Le terrain atopique, c’est celui qui est capable de fabriquer des IgE (immunoglobuline E). Dans ce terrain atopique, on a plusieurs manifestations cliniques qui sont communes ou qui le définissent. C’est l’eczéma, l’asthme, la rhinite, l’urticaire….
Le réchauffement climatique va-t-il avoir une incidence sur les allergies ?
Oui, en modifiant vraisemblablement l’environnement pollinique entre autres.
Déjà, dans les pays industrialisés, de plus en plus de personnes sont allergiques aux pollens.
Le nombre de personnes allergiques double tous les 5 ans à peu près. Nous savons que les pathologies allergiques sont des manifestations liées à l’environnement que l’homme modifie. Nous avons souvent appelé l’allergie la sentinelle de l’environnement.
Quand est-ce qu’aura lieu le pic pour les allergies aux pollens ?
Cela dépend. En période de grande saison pollinique, celle des pollens de graminées, l’optimum sera centré sur les mois de mai, juin.
Quels sont les moyens de se protéger de ces allergènes ?
Les polliniques aiment bien les jours de pluie parce que les pollens sont cloués au sol. Il faut mieux rester à l’intérieur quand il fait beau. Il faut se laver le visage et les cheveux, changer de vêtements quand on rentre pour pouvoir éliminer au maximum les contacts avec les allergènes.
Nous avons également des traitements symptomatiques : des antihistaminiques, des chromones, des corticoïdes locaux, qui sont des médicaments de base de l’allergie. Pour l’asthme, il y a des broncho-dilatateurs et des corticoïdes à inhaler qui permettent d’aider les personnes allergiques.
Il y a également le traitement préventif qui est le traitement de désensibilisation dont l’objectif est de modifier le terrain, c’est-à-dire de transformer ces personnes qui ont de mauvaises réactions immunologiques, qui fabriquent des IgE. La désensibilisation spécifique va réduire cette capacité à faire des IgE, et permettre aux atopiques de ne plus reconnaître ces allergènes, particules habituellement inertes.
La désensibilisation est-elle efficace avec toutes les allergies ?
Elle n’est pas efficace avec toutes les allergies. La grande majorité des désensibilisations intéresse les allergènes majeurs (pollens de graminées, acariens…) qui sont reconnus par la grande majorité des patients. Mais d’autres allergènes mineurs (c’est à dire reconnus par une minorité de patients mais non moins atteints) peuvent être responsables d’allergies et seront moins bien ciblé par ce type de traitement. La désensibilisation peut être active chez d’autres allergiques. Par exemple, chez les personnes allergiques au venin d’abeille ou de guêpe, la désensibilisation est salvatrice.
La désensibilisation fonctionne-t-elle chez tous les patients ?
Nous constatons qu’il y des personnes pour qui nous commençons une désensibilisation qui va être arrêtée parce qu’ils ne la supportent pas ou parce qu’elle n’est pas efficace. Aujourd’hui, ces personnes ne peuvent pas être dépistées avant de prendre ce traitement. Nous faisons donc un traitement d’épreuve qui va s’échelonner sur 6 mois à 1 an. Si durant cette période, il n’y a pas d’amélioration, le traitement sera arrêté.
Quels sont les pollens les plus allergisants ?
Je pense que le pollen de bouleau est le premier pollen à Paris, notamment avec tous les parcs d’agrément, les petits jardins privés en périphérie où chacun plantait ses bouleaux. La pollinisation et le développement de cette allergie ont été multipliés. Sur le territoire français, les pollens de graminées restent néanmoins les plus répandus.
Il faut savoir qu’il y a des micro-climats qui sont plus ou moins étendus où il peut y avoir des pollens très spécifiques. En Provence-alpes-côte-d’azur, le pollen de cyprès est un problème de santé publique. Dans la vallée du Rhône, le pollen d’ambroisie est une réelle préoccupation qui s’accroît chaque année. Dans l’Est également le pollen de bouleau est très présent.
Existe-t-il des moyens de se protéger contre ces co-facteurs des allergies comme les particules de diesel ?
Aujourd’hui les responsables politiques favorisent les incitations à acheter des voitures qui sont moins polluantes. Il y a beaucoup de recherches faites par les constructeurs pour construire des moteurs qui libèrent moins de particules.
Concernant le tabagisme passif, c’est essentiellement un facteur qui touche les jeunes allergiques, enfants de parents fumeurs, mais toutes les tranches d’âge sont cependant concernées. Je crois que c’est de notre responsabilité d’aider l’adulte à engager une démarche de sevrage tabagique. Aujourd’hui, les moyens sont à la disposition de tous pour un accompagnement efficace au sevrage tabagique (efforts financiers déployés par les assurances maladies, démarche d’éducation thérapeutique développée par les soignants …).
Est-ce plus dangereux quand une personne allergique fume ?
Oui, car fumer apporte au fumeur des co-facteurs pour l’allergie et provoquer une irritation des voies respiratoires, raison supplémentaire d’accroche des allergènes.
Avez-vous quelque chose à ajouter ?
En qualité d’ancien président du Syndicat National des Allergologistes Français, je saisis l’opportunité de cet interview pour redire le manque criant d’allergologues dans notre pays. Reconnaître notre discipline au rang de spécialité médicale à part entière est le premier pas pour identifier les allergologues. Donner aux allergologues les moyens dignes d’exercer leur profession est la deuxième étape nécessaire à la prise en charge des patients allergiques de notre pays.
Faire disparaître la profession d’allergologue, car c’est ce qui se passe petit à petit aujourd’hui, est un crime social pour les professionnels mais surtout les patients allergiques… Il est urgent que l’ensemble des responsables politiques et professionnels se mettent autour de la table pour affronter les allergies, 3ème problème de santé publique en France.
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