Pour prédire l’évolution future des gaz à effet de serre, retracer leur évolution passée, de plus en plus loin dans le temps, est un enjeu majeur. C’est en analysant de la glace antarctique extraite dans le cadre du forage glaciaire EPICA, que les chercheurs français du LGGE-OSUG et du LSCE-IPSL, épaulés par plusieurs partenaires internationaux, sont parvenus à repousser ces limites temporelles.
Un communiqué du CNRS (Centre national de la recherche scientifique) nous informe que pour la première fois, les scientifiques ont reconstitué sur 800.000 ans l’évolution des teneurs en dioxyde de carbone et méthane, les deux principaux gaz à effet de serre (GES) après la vapeur d’eau. Avec cet enregistrement, les scientifiques disposent de données de référence grâce auxquelles ils espèrent mieux prévoir le climat à venir de notre planète. Ces résultats font l’objet de deux articles dans la revue « Nature » du 15 mai 2008.
En l’absence de gaz à effet de serre (vapeur d’eau, dioxyde de carbone, méthane…), la température moyenne à la surface de la Terre atteindrait à peine -18°C. Dans ces conditions, toute vie parait impossible. Aujourd’hui, la concentration de ces gaz dans l’atmosphère a considérablement augmenté du fait des activités humaines (combustion des énergies fossiles, développement de l’agriculture).
Analyser les bulles de gaz piégées dans la glace
Etudier leur évolution passée permet de mieux comprendre leurs interactions avec le climat terrestre. Une telle étude est possible à partir des carottes de glace qui constituent les seules archives disponibles à ce jour pour reconstruire avec précision les teneurs passées en gaz à effet de serre. Dans le cadre du projet EPICA, une carotte de glace forée en Antarctique, à proximité de la base francoitalienne Concordia (Dôme C), a atteint en décembre 2004 une profondeur de 3.270 mètres, s’arrêtant à quelques mètres au-dessus du socle rocheux. A ce niveau se situe une glace « âgée » de 800.000 ans, soit 8 cycles climatiques glaciaire-interglaciaires. Il s’agit de la glace la plus ancienne jamais extraite à ce jour.
L’analyse des bulles de gaz piégées dans cette glace a ainsi permis d’étendre les enregistrements de la composition de l’atmosphère en dioxyde de carbone (CO2) et méthane (CH4) jusqu’à 800.000 ans (le précédent enregistrement n’avait atteint « que » 650.000 ans). A la lumière de ces nouvelles mesures, les chercheurs disposent, pour la première fois, de courbes de référence des teneurs en CO2 et CH4 témoignant de l’évolution de ces gaz sur cette période très ancienne. Une véritable aubaine pour les scientifiques qui tentent de comprendre les corrélations entre les changements climatiques terrestres et le cycle du carbone. Ces résultats laissent espérer une meilleure prédiction de l’évolution future des gaz à effet de serre, et a fortiori, du climat de la Terre.
Les plus fortes teneurs en GES en 800.000 ans
Ce travail a déjà permis des avancées fondamentales sur plusieurs points. Il confirme, tout en l’étendant, l’étroite corrélation observée entre les températures enregistrées en Antarctique dans le passé et les teneurs atmosphériques en CO2 et CH4. Autre observation capitale : jamais, sur les derniers 800.000 ans, n’ont été relevées des teneurs en gaz à effet de serre aussi élevées qu’aujourd’hui (les valeurs actuelles dépassent 380 ppmv (une partie par million en volume) pour le CO2 et 1.800 ppbv (une partie par milliard en volume) pour le CH4).
La courbe du CO2 révèle d’ailleurs les concentrations les plus basses jamais enregistrées, de 172 ppmv il y a 667.000 ans. De plus, les chercheurs ont mis en évidence une modulation (variations plus ou moins élevées) des teneurs moyennes en CO2 atmosphérique sur une échelle de temps relativement longue, c’est-à-dire de plusieurs centaines de milliers d’années. Ce phénomène inédit pourrait résulter de l’intensité plus ou moins importante de l’érosion continentale qui affecte le cycle du carbone sur de grandes échelles de temps.
Concernant l’enregistrement remarquablement détaillé du méthane atmosphérique, les chercheurs constatent une augmentation de la périodicité de la composante dite « de précession » au cours du temps. Bien corrélé aux intensités de la mousson relevées en Asie du Sud-Est à travers les millénaires, ce signal reflète sans doute une intensification des moussons en régions tropicales sur les 800.000 dernières années. Enfin, la courbe du méthane révèle des fluctuations rapides à l’échelle millénaire, récurrentes au cours de chaque glaciation. L’empreinte de tels événements s’observe aussi dans le signal CO2 daté de 770.000 ans, lorsque la Terre entrait de nouveau en glaciation à la suite de l’inversion magnétique terrestre survenue il y a 780.000 ans. Cette variabilité climatique rapide serait liée aux fluctuations du courant thermohalin (circulation à grande échelle des masses d’eau qui participe à la redistribution de la chaleur sur Terre). Reste à expliquer pourquoi elle se manifeste dès le début des glaciations…
> Pour information : Le projet EPICA ou « European Project for Ice Coring in Antarctica » a obtenu le soutien financier de l’Union européenne et des 10 pays européens participants au forage (Belgique, Danemark, France, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Norvège, Suède, Suisse et Royaume-Uni).
LGGE-OSUG : Laboratoire de glaciologie et géophysique de l’environnement, CNRS / Université Joseph Fourier
LSCE-IPSL : Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, CNRS / CEA / Université Versailles Saint Quentin
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