Roland Desbordes, physicien de formation et président de la Criirad. La Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité est un laboratoire indépendant d’analyses de radioactivité, de bilans radioécologiques, et d’études d’impact.
Pouvez-vous nous éclairer sur cette pollution de la nappe phréatique autour du Tricastin ?
Nous soupçonnions depuis longtemps déjà une pollution autour du Tricastin. Cela fait plus de 10 ans qu’on a sollicité les élus locaux pour qu’ils s’intéressent à cette nappe phréatique, surtout parce qu’elle sert à l’arrosage mais également à l’alimentation humaine. Il y a en effet des gens qui pompent directement dans cette nappe.
Dès 1997/1998, on avait demandé aux élus locaux une étude sur cette nappe, en dehors des mesures des exploitants, qui semblaient ne rien voir. Et, on s’apercevra plus tard, qu’en réalité, les exploitant avaient bien vu des choses mais qu’ils n’en avaient pas communiqué les résultats à la Commission locale d’information. Il a fallu une demande de l’ASN (Autorité de sûreté nucléaire), des DDASS du Vaucluse et de la Drôme pour qu’une étude soit réalisée à partir de 2007 et confiée à l’IRSN (Institut de radioprotection sur le nucléaire) qui est l’expert de l’Etat et des exploitants, et à Areva, principal exploitant du site.
Qu’a révélé l’étude de l’IRSN publiée le 4 juillet dernier ?
Cette étude a été présentée le 4 juillet dernier à la Commission locale d’information à Valence. On a assez rapidement constaté un excédent d’uranium au sud du site, par rapport au nord. Areva a tout d’abord tenté d’expliquer qu’on était en présence de variations habituelles présentes dans la nature. Dès qu’on a pu prendre connaissance du rapport complet, nous nous sommes rendus compte que cette nappe était bien polluée par l’uranium issu du site dans la mesure ou un autre radio-élément, lui totalement naturel, le polonium 210, était également présent dans cette nappe mais lui dans la même proportion au nord comme au sud.
Vous pointez également du doigt un vieux stockage de déchets d’uranium laissé pratiquement à l’air libre sur le site?
Il faut en effet évoquer la question du stockage de déchets radioactifs sur le site du Tricastin. En l’espèce, il s’agit de déchets d’uranium. On avait interrogé l’exploitant, la Cogema en l’occurrence, sur ce stockage de déchets. Ils considéraient qu’il ne posait aucun problème, et qu’il n’avait jamais pollué la nappe.
En fait, dans un rapport publié en 1998, deux pages indiquaient que ce stockage a déjà pollué dès 1979, la nappe. La pollution était tellement importante qu’ils avaient mis en place un pompage de fixation pour éviter que cette pollution ne se disperse trop. Il est reconnu en 1998, donc 20 ans après, qu’un tiers des déchets radioactifs ont déjà disparu. Ils ont été entreposés sur le sol, et recouverts simplement de terre. En gros, ils sont partis dans la nappe. Une partie a pollué directement la nappe, et l’autre partie a été rejetée avec le pompage dans la Gaffière, le ruisseau de surface.
Pourquoi cette affaire a-t-elle fait si peu de bruit ?
On avait été alerté il y a quelques mois par des travailleurs du site nucléaire qui nous signalaient que la couverture de terre de cette butte de déchets s’était désagrégée et que les déchets réapparaissaient à l’air libre. Nous avions informé les médias et France 2 et France 3 avaient d’ailleurs effectué un reportage mais la direction de France 2 a semble-t-il refusé de le diffuser, sans explication. C’est assez fréquent. Récemment, avec M6, pour l’émission « 66 minutes, » il y a environ 3 semaines, une partie du reportage sur le Tricastin a été censurée, par la direction de la chaîne et non la journaliste.
Et comment ont réagi les autorités après la découverte de ce stockage de déchets polluants ?
L’ASN a sollicité l’armée qui est responsable de ces déchets militaires, pour venir à une commission locale d’information fin juillet. Le responsable de l’armée a réaffirmé que ce stockage ne posait aucun problème et qu’ils ne les enlèveraient pas. A la fin de la réunion, il a reconnu cependant que ces déchets n’avaient pas vocation à rester là. Or, ça fait maintenant plus de 30 ans, depuis les années 1970, qu’ils sont stockés sur cette butte. En réalité, il s’agissait d’entreposage. Mais depuis 2001, pour l’Andra, cette butte de déchets apparaît comme un stockage définitif et donc serait vouée à rester au même endroit.
Ce type de stockage de déchets radioactifs à l’air libre est-il courant ?
Il en existe d’autres notamment sur le site de Tricastin, sur le principe d’un stockage-entreposage. Il existe un certain type de déchets nucléaires produits sans destination. Les producteurs ont produit ces déchets sans se poser la question de leur destination finale. Or, il existe très peu d’endroits pour stocker ces produits radioactifs. En gros, il y a Soulaines et Morvilliers. On cherche d’ailleurs actuellement un site de stockage pour les déchets FAVL (faible activité vie longue). Il y a plus de 3.000 communes qui sont été recensées comme étant des sites d’accueil potentiels pour ces déchets.
Comment expliquez-vous les incidents à répétition sur le site du Tricastin ?
Il y a eu des incidents comme il y a en a régulièrement. On n’est pas devant une quantité d’incidents supérieurs en ce moment, mais dans la moyenne. En raison notamment d’une maintenance sur les réacteurs, l’été est plus particulièrement sensible sur les sites nucléaires. Il y a quand même eu 3 incidents plus marquants.
C’est tout d’abord le 7 juillet dernier, Socatri qui rejette 75 kg d’uranium dans des eaux de surface, c’est pas tous les jours que ça arrive avec des restrictions de consommation, c’est plutôt une nouveauté. C’est d’ailleurs ce qui amené les médias à s’y intéresser. Il y a eu également l’incident EDF du 23 juillet je crois, où plus d’une centaine de travailleurs ont été contaminés dans le réacteur, et c’est un incident exceptionnel par l’ampleur des personnes touchées.
Enfin, le dernier incident notable est celui du 4 septembre qui n’est toujours pas résolu aujourd’hui, et qui concerne une opération de déchargement où des grappes sont restées collées au couvercle quand des ouvriers ont ouvert la cuve du réacteur. C’est un incident extrêmement rare, qui s’était produit une fois à Nogent il y a 10 ans. Des bruits ont même circulé qu’on envisageait d’évacuer la population préventivement autour du site.
Avez-vous questionné les exploitants pour en savoir plus sur ces incidents ?
Nous avons posé une série de questions à Socatri début août. L’exploitant nous a fait savoir un mois après, le 15 septembre qu’il ne répondrait pas à nos questions parce qu’il y avait une action judiciaire en cours. C’est étrange pour une entreprise qui communique avec la presse. Il faut croire que nos questions les dérange.
Justement, quels sont vos rapports avec les exploitants comme Areva ?
Nous n’avons pas de rapport véritable avec les exploitants. Nous n’avons aucune mission spécifique pour effectuer des recherches ou des analyses à l’intérieur des sites nucléaires.
Considérez-vous que les autorités comme l’ASN ou l’IRSN jouent pleinement leur rôle de manière indépendante ?
Il y a un problème de collusion en France dans le secteur du nucléaire. Ainsi l’Etat est en même temps l’actionnaire du nucléaire, mais aussi celui qui édicte les règles, la réglementation, les décrets. Il a alors tendance à favoriser une réglementation qui favorise l’exploitation. Il y a véritablement un conflit d’intérêt. La présence du lobby nucléaire est au c?ur des institutions. La position des députés par rapport au nucléaire interpelle.
Vous avez des doutes sur la neutralité des élus concernant la question nucléaire ?
On est en droit de se poser la question, pour qui roulent ces gens ? Que les élus locaux défendent « leur » nucléaire, ça peut se comprendre en raison des retours économiques que le nucléaire génère. Grâce à la manne du nucléaire, des communes comme Saint-Paul-Trois-Châteaux ne savent pas quoi faire de leur argent. Mais cet été, certains élus ont eu un réveil douloureux car ils se sont aperçus que le nucléaire pouvait représenter des désagréments pour le tourisme, pour l’image, pour l’agriculture, le vignoble en particulier. Le Grenelle de l’environnement est un bon exemple. On y a parlé quasiment de tout sauf du nucléaire.
Que pensez-vous du débat français sur le nucléaire ?
Nous ne nous positionnons pas « pour » ou « contre » le nucléaire. Ce qui nous semble plus important c’est plutôt de savoir si le nucléaire est une industrie comme les autres. On est dans un état de droit et les questions doivent être posées et des réponses apportées. Quand on monte au créneau, c’est parce qu’on constate une situation qui n’est pas réglementaire. Et des infractions on en constate à la pelle mais sans sanctions.
Comment réagit Areva lorsque vous les interpelez ?
On existe depuis maintenant 22 ans sans jamais faire d’erreurs sinon nous n’existerions plus. Récemment Anne Lauvergeon nous a accusé de nous être trompés sur un dossier ce qui est totalement faux. L’objectif est certainement de nous discréditer. Cela nous choque beaucoup. Qu’elle ne nous aime pas, c’est son droit mais qu’elle remette en cause notre crédibilité scientifique, c’est grave. Depuis cet été, nus avons ressenti qu’Areva était agacé.
Au fond, à quoi sert la Criirad ?
Je pense qu’on fait avancer les choses. La Criirad contribue à donner une image du nucléaire qui selon moi est salutaire car plus conforme à la réalité. Beaucoup de personnes avaient le sentiment que le nucléaire était une industrie bien gérée, bien surveillée, bien contrôlée. Or, on s’aperçoit que le nucléaire est une industrie qui présente des problèmes de gestion, de contrôle et de surveillance comme les autres industries. L’incident Socatri, ce sont des cuves qui débordent, Comurhex ce sont des tuyaux percés, cela ne fait pas très sérieux pour une industrie de pointe. Il faut donc être vigilant.
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