Olivier Appert, ancien élève de l’École Polytechnique, ingénieur général des Mines, Président de l’IFP, l’Institut Français du Pétrole depuis 2003. Organisme public de recherche et de formation en charge de développer les technologies et matériaux du futur dans les domaines de l’énergie, du transport et de l’environnement. Implanté à Rueil-Malmaison et à Lyon, l’IFP emploie 1.720 collaborateurs dans plus de 50 métiers.
Pouvez-vous présenter l’IFP en quelques mots ?
L’IFP a été créé en 1945, dans le contexte de la politique pétrolière après la deuxième guerre mondiale. Nous appuyant sur nos succès dans ce domaine, l’IFP est aujourd’hui un organisme de recherche appliquée et de formation, au service d’enjeux sociétaux majeurs : l’énergie, le transport et l’environnement.
Quelles ont été les grandes réussites de l’IFP au cours de ces 50 années ?
L’IFP, depuis 60 ans, a développé des technologies dont l’excellence est reconnue partout dans le monde. Il a contribué aussi à créer des leaders mondiaux. C’est par exemple le cas d’un certain nombre de « success story » comme la création de la société Technip. Il y a 50 ans, c’était un département de l’IFP. Aujourd’hui, c’est l’une des principales sociétés d’ingénierie dans le monde. Il y a aussi la société Coflexip qui a fusionné avec Technip, il y a quelques années, et qui a développé un concept de canalisation flexible dans la production pétrolière, qui était une première.
Un autre succès, c’est ce qu’on appelle l’IFP School, qui regroupe toutes les activités de formation qui sont connues partout dans le monde. L’IFP a aujourd’hui une image internationale très forte. La marque IFP est connue dans tous les pays pétroliers et gaziers.
L’IFP a donc vocation à créer des sociétés privées ?
L’IFP est un organisme de recherche appliquée. Donc, avant même de trouver, et fort heureusement on trouve souvent, on se pose la question de protéger nos découvertes. On a donc une politique brevet extrêmement active. Une fois que nos découvertes ont été protégées, se pose, à ce moment là, la question de valoriser ces travaux. Soit nous accordons des licences à des sociétés qui utilisent nos procédés, soit nous développons des sociétés qui ont la vocation de commercialiser le résultat des ces travaux.
En fait, nous partons du principe que les chercheurs ne sont pas forcément de bons commerçants. La meilleure façon de valoriser les résultats de nos travaux, c’est que le chercheur développe les innovations et qu’il transmette ces découvertes au commerçant qui ensuite les commercialise à travers le monde.
Ainsi, à côté de l’IFP, centre de recherche et de formation, il existe ce que l’on appelle le groupe IFP qui regroupe des sociétés qui ont été créées par l’IFP ou dans lesquelles nous avons une participation de 100% ou inférieure, et qui assurent la valorisation de nos travaux.
C’est donc dans ce cadre que vous être entré dans Heurtey récemment ?
Tout à fait. Nous considérons qu’il y a une suite logique entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée. Trop de gens malheureusement en France opposent la recherche fondamentale, qui vise à développer la connaissance, et la recherche appliquée, qui vise à faire du business. Celle-ci est moins bien perçue en France.
Pour nous, à l’IFP, il y a un continuum entre recherche fondamentale et recherche appliquée. Les problèmes du marché, de la société, renvoient à des questions pour la recherche fondamentale qui doit permettre de lever les verrous auxquels se heurtent les développements technologiques.
Ce continuum est illustré par Yves Chauvin qui a obtenu le prix Nobel de Chimie en 2005 et qui a fait toute sa carrière à l’IFP. Il a développé des travaux de recherche fondamentale qui lui ont valu le prix Nobel, mais il n’hésitait pas, lorsqu’il était à l’IFP, à se déplacer dans les raffineries pour faire en sorte que les procédés qui correspondaient à ces recherches fonctionnent.
A l’origine, l’IFP s’intéressait essentiellement au pétrole, à quel moment le champ s’est élargi à d’autres domaines de recherche ?
Cela s’est fait progressivement. En particulier depuis les chocs pétroliers. Aujourd’hui, nous avons une politique clairement définie avec des priorités stratégiques qui sont affichées aussi bien en interne qu’en externe. Ces priorités sont bien entendu partagées par les Pouvoirs Publics. L’IFP est un établissement public, un Epic, et donc notre actionnaire, c’est Etat.
Nous essayons de répondre aux besoins de la société. Quelques mois après mon arrivée à l’IFP, en 2003, nous avons pris certaines orientations stratégiques. Cinq ans après, elles apparaissent robustes après un quintuplement des prix du pétrole et l’émergence d’une sensibilité très forte sur les problèmes d’environnement et sur le développement durable. Il se trouve que les priorités que nous avions arrêté en 2003 sont tout à fait en ligne avec les enjeux actuels de l’énergie et de l’environnement.
Quelles sont les orientations stratégiques poursuivies par l’IFP depuis 2003 ?
Dans le domaine énergie, transport, environnement, elles consistent tout d’abord à réduire les émissions de CO2 rejetées dans l’atmosphère par le développement de technologies qui sont utilisables, connues et maîtrisées dans le secteur pétrolier. Je pense en particulier à la technologie de captage et de stockage du CO2 qui consiste à capter le gaz carbonique là où il est le plus concentré, c’est-à-dire dans les fumées des centrales électriques fonctionnant par exemple au charbon, ou dans les fumées des grandes installations industrielles. On capte ce CO2, on le transporte et on le stocke dans des horizons géologiques profonds.
La deuxième priorité consiste à diversifier l’approvisionnement en énergie du secteur transport. Aujourd’hui, 95% de cet approvisionnement provient de produits pétroliers. Nous sommes donc dépendants quasi-exclusivement des produits pétroliers. Dans les 5% restants, on retrouve notamment l’électricité qui fait fonctionner le TGV. Il est donc indispensable de diversifier les approvisionnements en énergie du secteur transport en produisant d’autres carburants liquides, à partir du gaz naturel, du charbon et de la biomasse.
La troisième priorité vise à améliorer l’efficacité du système de transport. Cela recouvre plusieurs voies. Il s’agit d’améliorer les moteurs existants et de développer de nouveaux types de motorisation. On travaille en particulier sur un sujet dont on parle beaucoup, c’est le véhicule hydrique, qu’il soit rechargeable ou non. On travaille aussi, cela peut paraître surprenant, sur les batteries et les véhicules électriques.
Une autre priorité vise à développer des procédés de raffinage qui sont « propres » et efficaces. Aujourd’hui, la consommation de pétrole se concentre de plus en plus sur le secteur des transports, donc dans les carburants, essence, gazole. Tout baril de pétrole rentrant dans une raffinerie doit pouvoir être converti en carburant de plus en plus propre puisque les contraintes d’émissions de polluants locaux sont de plus en plus dures.
On doit s’engager dans une transition énergétique vers un monde décarboné. Mais tout cela prend du temps. Pour ne pas se heurter à des problèmes d’approvisionnement en énergie fossile, il est nécessaire grâce à la technologie de repousser les limites des réserves d’hydrocarbures.
Justement, a-t-on une idée précise des réserves pétrolières mondiales ?
Aujourd’hui, et encore pendant des décennies, les combustibles fossiles vont représenter de l’ordre de 85% de la consommation d’énergie mondiale. C’est pourquoi la question des réserves est importante. La notion de réserve est technique et économique, ce n’est pas une valeur absolue. On ne peut pas dire qu’il reste « tant » de pétrole, mais au prix actuel et aux conditions actuelles, économiques et techniques, les réserves sont de « tant ».
Par exemple, en 1973, au rythme de consommation de l’époque, on estimait ces réserves à trente ans. Trente ans après, on avait consommé 150% des quantités physiques que l’on estimait avoir en réserve et malgré cela on a encore quarante ans de réserves devant nous, les conditions économiques et techniques ayant considérablement changées. S’agissant du gaz, ces réserves sont estimées à environ soixante ans.
Nous travaillons actuellement sur les technologies qui permettraient de repousser ces limites, par la découverte de nouveaux gisements ou en augmentant le taux de récupération des gisements. En effet, on ne le sait pas mais, aujourd’hui, lorsque que l’on exploite un gisement pétrolier, on laisse de l’ordre de deux tiers du pétrole dans le sol.
Etes-vous présent dans les énergies renouvelables ?
Le seul domaine sur lequel nous intervenons en matière d’énergies renouvelables, c’est celui des biocarburants première et seconde génération. Nous travaillons depuis longtemps sur ce secteur et nous prétendons avoir un leadership français, voire européen. Nous avons commencé à nous intéresser au sujet dans les années 80, au moment du second choc pétrolier.
Que pensez-vous de la polémique qui entoure la production de biocarburants ?
Pour citer Racine, je dirais qu’ils ne méritent « ni cet excès d’honneur, ni cette indignité ». Dans le contexte de diversification énergétique dans le secteur transport, les biocarburants de première génération ont été les premiers candidats à cette diversification. Mais ils ne sont pas la panacée, contrairement à ce qui a été présenté dans le secteur de l’énergie. De toutes façons, il n’y a pas de panacées pour résoudre les problèmes d’énergie et d’environnement.
Les critiques qui ont été faites sur ces biocarburants portaient sur la base d’un remplacement intégral de la consommation de carburant par des biocarburants, et on arrive alors à des aberrations. Mais, à des niveaux de 5 à 7%, il n’y a pas de concurrence entre utilisation alimentaire et utilisation énergétique des cultures.
Un autre élément de polémique concerne le bilan énergétique et environnemental des biocarburants. Quand il y a une exploitation raisonnable, tant sur le plan agricole que sur le plan industriel, le bilan est positif tant au plan énergétique qu’au plan du CO2.
Pour conclure, quel est le domaine d’excellence de l’IFP ?
A coup sûr, c’est notre aptitude à faire le lien entre les avancées scientifiques de la recherche fondamentale et les besoins sociétaux exprimés par le marché.
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