Bruno Cahen, ingénieur X-Mines, directeur sûreté, qualité et environnement de l’Andra, l’agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs. L’Andra vient de clore la première étape d’un long processus qui permettra d’ouvrir, à horizon 2019, le premier centre français de stockage de déchets radioactifs de faible activité à vie longue (FAVL).
Quelle est tout d’abord la nature des déchets concernés par cet appel à candidatures ?
A l’origine, il y a la loi du 28 juin 2006, relative aux déchets radioactifs, qui impose à l’Andra de rechercher un site pour implanter un stockage des déchets de faible activité (graphique, radifères), c’est-à-dire qui ne sont pas très radioactifs, mais qui sont en revanche à vie longue, car il faut très longtemps pour que la radioactivité diminue.
Il existe 4 catégories de déchets radioactifs : très faible activité, faible activité, moyenne activité et haute activité. Par ailleurs, nous distinguons les déchets à vie courte, dont la radioactivité est divisée par deux en moins de trente ans, et ceux à vie longue, dont une partie de la radioactivité met plus de trente ans à être divisée par deux, comme par exemple l’uranium naturel, dont la durée de vie se compte en milliards d’années.
Vous avez pré-sélectionné 3.115 communes sur 36.000 en France. Comment avez-vous fait votre choix ?
Nous ne les avons pas choisi au hasard. L’Andra a demandé au BRGM (NDLR : Bureau de recherches géologiques et minières) de nous indiquer quelles étaient les communes qui disposaient d’un sol contenant une couche d’argile, épaisse de plus de 50 m, loin de zones sismiques ou fracturées. C’est la raison de ce premier ciblage.
Quelles sont parmi ces communes, celles qui ont répondu favorablement à votre appel à candidatures ?
Je n’ai pas le droit de vous donner de chiffres car c’est le ministère qui choisira et non l’Andra. Nous fournissons donc les informations au cabinet de Jean-Louis Borloo qui les communiquera. La seule chose que je peux dire c’est qu’il y a suffisamment de communes candidates, de plusieurs départements, pour qu’on ait le choix et qu’on puisse proposer plusieurs variantes.
Que répondez-vous aux écologistes qui vous accusent d’avoir déjà choisi le site ?
Si on avait déjà choisi le site, croyez-vous qu’on se serait amusé à lancer un appel à candidatures ? Tout cela coûte du temps et de l’argent. Nous n’avons pas envie de faire perdre du temps aux maires, et nous n’avons pas envie d’en perdre nous-même.
Pourquoi le processus de lancement de ce site FAVL est aussi long ?
Il faut savoir que la plupart des déchets concernés existent déjà et sont déjà entreposés dans leur site de fabrication historique. Mais, il y a deux raisons pour expliquer cette durée difficilement compressible.
Tout d’abord, nous avons décidé de ne pas y aller en force. La procédure d’appel à candidatures prend du temps, environ 6 mois. Ensuite, l’Andra se donne jusqu’en 2010 pour faire les prospections sur site, et laisser le temps du débat public. A la fin de cette phase de prospections, nous rendons les résultats de notre travail qui confirmera si la couche géologique est bonne. Si c’est le cas, le conseil municipal décidera s’il souhaite accueillir véritablement le site FAVL.
Le site définitif ne sera pas connu avant 2011. A cette date, nous nous donnons deux ans pour déposer un dossier de demande d’autorisation de création du stockage. C’est le temps nécessaire pour continuer nos études d’ingénierie, nos travaux sur la caractérisation des déchets. Car un stockage de ce type, c’est plus qu’un simple trou, c’est un peu plus compliqué que ça.
Il y a ensuite des délais incompressibles. Ce type de stockage est considéré comme une installation nucléaire de base, avec des procédures assez longues. D’autre part, s’agissant d’un site assez technologique, il faut prendre en compte un temps de construction, et également un temps de test avant de démarrer, qui lui aussi est long. C’est à peu près comme une centrale nucléaire, même si cela paraît moins compliqué.
Nous travaillons sur des échelles de temps très longues. L’Andra souhaite assurer la durée du stockage sur 10.000 ans, comme demandé par l’Autorité de sûreté nucléaire. Nous ne pouvons donc pas de nous rater sur l’ingénierie et la compréhension scientifique avant de démarrer.
En quoi ce site FAVL est-il une installation technologique ?
Trois raisons à cela. Tout d’abord, le colis de déchets lui-même. Il faut bien le connaître et savoir la manière dont il va évoluer dans le temps. Cela veut dire qu’il faut optimiser son design. Ce sont les producteurs du déchet comme EDF, Areva, ou le CEA qui travaillent avec nous, en considérant que nous avons certaines exigences: qu’il résiste aux chutes, etc…
Ce sont les producteurs des déchets qui se chargeront du conditionnement ?
A priori oui. Il y a encore quelques points en discussion mais le plus simple et le plus efficace, c’est que le producteur du déchet qui l’a encore en vrac chez lui, le conditionne et nous l’envoie. Pour les déchets à vie courte que nous réceptionnons sur notre site, la plupart arrivent conditionnés, mais nous conditionnons certains d’entre eux directement sur place. Il y a des variantes.
Le colis doit donc être performant pour pouvoir protéger les personnes qui travaillent, l’environnement et le public, pendant toute la phase où il va être transporté et stocké, ce qu’on appelle l’exploitation du stockage. Mais plus que ça, une fois que le stockage est fermé, ce colis doit aussi éviter que l’eau arrive trop vite sur le déchet, même si elle arrivera un jour. Par ailleurs, le colis doit freiner la sortie des substances radioactives, et la rendre aussi lente que possible. Tout ça sur des périodes de plusieurs centaines d’années.
Après, il y a l’ouvrage autour. Encore une fois, c’est pas d’un trou dans lequel on jetterait les colis dedans. Ce n’est pas une décharge. C’est une installation qui doit permettre de conserver les colis en bon état, de freiner l’arrivée d’eau le plus longtemps possible mais également d’éviter l’intrusion humaine accidentelle.
Enfin, il faut que la géologie soit suffisamment adaptée. C’est-à-dire qu’il faut que le site soit suffisamment profond, dans une couche d’argile suffisamment épaisse et suffisamment imperméable, pour éviter que l’eau arrive, qu’elle circule très lentement et pour que la radioactivité qui va décroître sur place.
Le but du stockage c’est que le maximum de radioactivité disparaisse avant de sortir du site. Même très lentement, avec les phénomènes de diffusion, une partie peut sortir. Mais cette radioactivité doit sortir le moins possible et le plus tard possible, sur des échelles de temps très longue, 10.000 ans, 100.000 ans voire au-delà.
Ces déchets seront stockés à quelle profondeur ?
Il y a deux types de déchets, les radifères et les graphiques pour lesquels les enjeux ne sont pas tout à fait les mêmes. Par exemple, les graphiques contiennent une substance radioactive, le chlore dit 36, qui est relativement soluble, et qui doit donc être un peu plus profond.
Aujourd’hui, sans être définitif, la profondeur sera de quelques dizaines de mètres et en tout cas, moins de 200 mètres. Tout simplement parce que cela ne sert à rien d’aller au-delà. Il existe un stockage géologique profond à une profondeur de 500 mètres qu’on étudie également, mais pour les déchets de haute et de moyenne activité à vie longue.
Quel volume représenteront ces déchets ?
Les déchets de graphique sont les déchets issus des réacteurs de première génération, tous arrêtés aujourd’hui. Ils représenteront un volume de 100.000 m3 une fois intégrés dans un colis de stockage, une sorte de grosse boîte en béton de 10 m3. Cela représente 22.000 tonnes de déchets bruts.
Ensuite, viennent les déchets radifères issus de l’industrie, de la chimie type Rhodia. Il s’agit là de résidus du traitement du minerai qui ont concentré la radioactivité naturelle. Il y a aussi des résidus du traitement d’uranium du CEA, actuellement entreposés dans les sols, et puis les déchets issus de sites pollués de l’industrie du radium. Il faut savoir qu’au début du siècle, on considérait que le radium possédait des tas de vertus pour la santé et a donc été exploité industriellement. Selon les hypothèses, ces déchets radifères représentent entre 30 et 60.000 tonnes.
Globalement, le site devrait contenir environ 200.000 m3 de déchets, dits historiques, qui ne sont plus produits aujourd’hui. Le but c’est de recenser tous les déchets susceptibles d’être stockés sur ce site avant de lancer définitivement le projet.
Quel est l’intérêt pour une commune d’accueillir ces déchets ?
C’est d’accueillir de l’activité, des emplois. Il y a une phase de construction, mais aussi une phase d’exploitation et de surveillance. Il y a aussi un engagements des producteurs d’assurer un accompagnement économique.
L’idée générale, c’est que ces déchets sont pour la plupart issus de choses qui ont bénéficié à tous les Français, notamment avec la première génération d’électricité. C’est aussi un peu le poids de l’histoire avec l’industrie du radium. Tout le monde sait aujourd’hui que le radium c’est pas très bon pour la santé, mais à l’époque, on ne le savait pas.
Il s’agit pour la commune accueillante du site FAVL de participer à la résolution d’un problème national. C’est du développement durable. On ne peut pas laisser ces déchets dispersés sur le territoire.
Que répondez-vous aux craintes suscitées par l’arrivée de ces déchets dans une commune ?
Nous essayons de répondre au maximum aux questions qui nous sont posées. Nous sommes à la disposition des élus et des communes favorables ou défavorables à ce projet. Par ailleurs, nous expliquons ce que sont ces déchets, comment on choisit le site et comment on va le construire et l’exploiter, sans que cela présente de risques ni pour les personnes qui vont y travailler, ni pour la population, ni pour l’environnement pendant l’exploitation et la période de surveillance, une fois que le stockage sera fermé et qu’on le surveillera pendant plusieurs siècles, en principe 300 ans.
A l’international, ce type de site FAVL existe-t-il déjà dans le monde ?
C’est une première. Récemment, les Etats-Unis viennent d’être autorisés à construire centre de déchets radifères. En matière de stockage de déchets radioactifs, la France est plutôt en avance, dans tous les types de déchets d’ailleurs.
Pour les déchets de très faible activité, nous avons un centre. Maintenant l’Espagne en a un depuis cette année, et petit à petit, ça démarre. Pour les déchets de faible et de moyenne activité à vie courte, c’est à dire essentiellement les déchets issus de l’exploitation des centrales nucléaires, nous sommes plusieurs pays à en posséder désormais, la France ayant construit un centre depuis très longtemps, plus de trente dans La Manche.
Que répondez-vous à Roland Desbordes, de la Criirad, qui s’inquiètent des déchets radioactifs entreposés depuis longtemps notamment au Tricastin ?
Il n’y a pas de stockage de déchets au Tricastin. Il existe effectivement un entreposage ancien de déchets sous une butte de terre. Il n’y a rien de secret, c’est connu, cette butte de Pierrelatte est référencée depuis 1994 dans l’inventaire national des déchets et des matières radioactives, que nous tenons à jour tous les 3 ans.
En raison d’une pollution chimique, cette butte de Pierrelatte est décrite dans l’inventaire Basias qui liste les sites pollués, et qui dépend du ministère de l’écologie. Cet entreposage est donc connu et suivi par l’exploitant et par l’autorité de sûreté. Il me semble d’ailleurs avoir vu une déclaration d’Anne Lauvergeon qui évoquait la reprise de ces déchets.
Quelle est la position de l’Andra face à ce type d’entreposage « sauvage » de déchets radioactifs ?
Nous avons la mission de stocker tous les déchets radioactifs en France dans un centre spécialement conçu pour ne présenter aucun risque, c’est-à-dire très en dessous des seuils réglementaires. Les déchets étrangers ne peuvent pas être stockés en France, ils peuvent être simplement traités et renvoyés.
Tous les déchets radioactifs sont stockés par l’Andra sauf les déchets historiques qui ne sont pas stockés mais entreposés en principe provisoirement sur leurs sites de production.
La nuance entre stockage et entreposage est subtile, car c’est souvent du provisoire qui dure?
Admettons la critique, mais c’est pas si facile de trouver un site et construire un stockage, ça ne se fait pas en claquant des doigts. Il faut déjà qu’il y ait un mandat pour le faire. C’est la loi de 2006 qui nous a chargé de cette mission. Après on peut regretter tout ce qu’on veut.
C’est finalement assez récent qu’on se préoccupe de ces déchets radioactifs ?
Refaisons très rapidement l’histoire de la gestion des déchets radioactifs dans le monde et en France. Jusque dans les années 60, au tout début du nucléaire, les déchets banals de faible activité étaient entreposés sur place avec un peu de terre par-dessus, et les déchets plus radioactifs étaient mis dans des fûts ou des blocs de bitume, et envoyés en mer, immergés très précisément, dans la Manche, dans l’Atlantique, etc. plutôt dans des fosses. A cette époque, tout le monde le faisait, la France, le Royaume-Uni, les Etats-Unis?
Cela a été interdit par les conventions internationales. A la suite de cette interdiction, en France, les déchets dont la radioactivité décroissait assez vite ont été stockés au centre de la Manche, le premier centre français, exploité par l’Andra depuis toujours, même si à l’époque, il s’agissait d’un département du CEA. L’Andra est officiellement née par une loi en 1991, avec le principe d’une indépendance vis-à-vis des producteurs et la mission de stocker tous les déchets radioactifs.
En 1991, l’Andra ne disposait que d’un site, donc dans la Manche. Lorsqu’il a fermé, nous avons ouvert celui de l’Aube, mais uniquement pour les déchets de faible ou moyenne activité à vie courte, ce qui représentent en flux continu, les volumes les plus importants. C’était l’urgence et le centre de l’Aube devrait être exploité pendant encore 50 ans.
Le centre de déchets de très faible activité, principalement issus du démantèlement plus quelques déchets d’exploitation, a ouvert en 2004. Ce qu’il nous reste à compléter maintenant, c’est le stockage des déchets de moyenne activité et de haute activité à vie longue, donc très radioactifs, les plus dangereux. C’est le laboratoire de recherche souterrain en Meuse / Haute-Marne qui s’en charge et nous allons définir en 2009 une zone plus restreinte, puis en 2013 un site, et enfin le stockage en 2025 de ces déchets. Le calendrier est fixé par la loi et l’Andra dispose donc depuis 2006 d’une feuille de route claire.
Et donc pour boucler la boucle, il manque encore la 4e filière de stockage, pour les déchets de faible activité à vie longue, donc essentiellement un stock de déchets historiques. Pour l’heure, effectivement, tous ces déchets sont actuellement entreposés, soit en vrac, soit conditionnés sur les sites de production.
Y-a-t-il selon vous urgence à stocker correctement ces déchets ?
C’est pas moi qui décide cela, c’est l’autorité de sûreté nucléaire qui elle-même a dit qu’il y avait urgence à trouver rapidement une solution pour les déchets de graphite. Mais rapidement ne veut pas dire se précipiter, prendre n’importe quel site, faire un trou et tout mettre dedans, car on ne ferait que reporter le problème de quelques années.
Il y a urgence à chercher la solution et à la mettre en place au plus vite, c’est-à-dire en 2019, au regard des procédures et du processus d’avancement du projet. En parallèle, on étudie cependant des solutions pour recevoir ces déchets et les entreposer sur le futur site de stockage avant cette date, si nécessaire.
En attendant, ces déchets entreposés sur les sites de production sont suivis par le producteur et contrôlés par l’autorité de sûreté nucléaire. Ils ne présentent pas de risque pour les populations locales.
Pour finir, pouvez-vous nous éclairer sur les volumes de déchets de ces 4 filières de stockage ?
En gros, aujourd’hui, pour les déchets de très faible activité, le centre de l’Aube est prévu pour 650.000 m3. Il reste 550.000 m3 de disponible, pour donc environ 100.000 m3 de déchets déjà stockés. Le flux annuel de déchets qu’on stocke, c’est à peu près 25.000 m3 par an. On en a donc encore pour environ 20 ans. Ce ne sera donc pas suffisant pour le démantèlement de la dernière centrale, il faudra donc l’agrandir ou le moderniser, car 20 ans, c’est pas l’éternité.
Pour les déchets de faible et de moyenne activité à vie courte, donc principalement les déchets d’exploitation des centrales et des autres installations, le centre de la Manche est plein avec un peu plus de 600.000 m3 stockés. Le centre de l’Aube qui lui a succédé est prévu pour un million de m3, ce qui permet de couvrir toutes les installations actuelles. Ce centre est à 21% de remplissage, c’est-à-dire 210.000 m3. Le flux annuel est de 15.000 m3 par an, on a donc 50 ans devant nous.
Concernant les deux futurs stockages qui n’existent pas encore, le centre FAVL représentera un flux annuel très faible, autour d’une centaine de m3 par an mais un stock historique quasiment de 200.000 m3. Le projet prévoit un volume compris entre 135.000 et 235.000 m3 de manière à stocker tous les déchets déjà existants, plus les déchets futurs. Ce centre devrait être exploité pendant 20 à 30 ans en raison des déchets historiques.
Enfin, les déchets de moyenne et haute activité à vie longue, principalement les déchets de maintenance, quelques déchets de démantèlement, et surtout les déchets de recyclage des combustibles usés des réacteurs nucléaires, représentent globalement 99% de la radioactivité totale. En revanche, en volume, à terme, pour l’ensemble du parc nucléaire existant, cela représente seulement 80.000 m3 de déchets de moyenne activité et 8.000 m3 de déchets de haute activité.
Ces déchets, les plus radioactifs, principalement les colis de déchets vitrifiés, sont entreposés actuellement à La Hague, en attendant qu’ils refroidissent. Nous ne pourrons les stocker au futur centre en Meuse / Haute-Marne qu’après 40 à 60 ans de refroidissement.
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