Par Sylvain Allemand, journaliste. Depuis plusieurs années, il suit l’actualité relative à la mondialisation ainsi qu’aux initiatives contribuant à renouveler les pratiques économiques. Dans son dernier ouvrage « Entre valeurs et croissance, le commerce équitable en question », paru il y a quelques jours aux éditions Les Carnets de l’info, il s’interroge sur la crise de croissance du commerce équitable et l’éventuelle dilution de ses valeurs.
Même si le commerce équitable reste encore marginal au plan national comme au plan mondial, les chiffres attestent d’une croissance soutenue qui résiste assez bien à la baisse actuelle du pouvoir d’achat. Cependant, le commerce équitable paraît plus que jamais à la croisée de chemins : d’un côté, il plaide pour une rémunération plus juste des petits producteurs du Sud et, au-delà la défense d’une agriculture paysanne; de l’autre, il ne peut espérer changer la donne sans accroître les volumes et donc s’engager dans une logique de croissance.
L’articulation de ces deux objectifs ne posait jusqu’alors pas de problèmes? Jusqu’à ce que la notoriété croissante du commerce équitable attise l’appétit d’acteurs suffisamment puissants pour changer la donne en favorisant de nouvelles pratiques se détournant largement de la vocation première du commerce équitable : contribuer au développement des paysans du Sud (en leur garantissant un prix minimum et une prime de développement, sans compter des engagements d’achat dans la durée, un appui technique, etc.).
Ainsi, au moment même où le commerce équitable s’impose dans les habitudes des consommateurs, dans l’agenda des pouvoirs publics, des organisations internationales et jusqu’aux linéaires de nos grandes surfaces, sa raison d’être (accompagner le développement des petits producteurs du Sud) semble compromise par l’arrivée de nouveaux acteurs faisant primer la logique de croissance sur ses valeurs.
Au final, les changements intervenus ces deux dernières années (l’émergence de marques de distributeurs, de marques de l’agro-industrie et de garanties moins exigeantes) et leurs conséquences (le recours aux agricultures de plantation et de contrat, la certification d’exportateurs) risquent de remettre en cause le travail patiemment réalisé par les acteurs traditionnels en vue de renforcer l’autonomie et la capacité de développement des coopérative de petits producteurs du Sud.
Le commerce équitable en débats
Tout se passe comme si ces nouveaux acteurs récoltaient les fruits de ce que les pionniers du commerce équitable avaient semé. Avec ce résultat paradoxal : que ceux pour qui ce commerce fut conçu en priorité en soient finalement évincés !
Est-il concevable d’associer la grande distribution au commerce équitable ? Celui-ci est-il en mesure de bousculer le commerce international ? Profite-t-il à tous les paysans pauvres ? Contribue-t-il vraiment au développement durable ?? Autant de questions en forme de controverses dont le commerce équitable est l’objet. Ces questions ne peuvent se suffire de réponses simples, laissant croire que le monde du commerce équitable se diviserait en deux catégories d’acteurs : d’un côté, les purs et justes, de l’autre les opportunistes prêts à vendre leur âme au diable (en l’occurrence à la grande distribution, sinon au capitalisme libéral?).
Victime de son succès ?
La question se pose en effet au vu de plusieurs tendances récentes comme l’arrivée de nouveaux acteurs attirés par cette niche à fort potentiel de croissance qu’est le commerce équitable : des enseignes de la grande distribution qui lancent leur propre marque de produits équitables et des multinationales proposant des produits certifiés. Des tendances dans lesquelles on pourrait voir de bonnes nouvelles dans la mesure où elles ouvrent des perspectives d’élargissement de l’offre.
Sauf qu’elles s’accompagnent de pratiques qui risquent d’éloigner de la finalité du commerce équitable : le recours à l’agriculture de plantation ou à des contrats qui impliquent moins les opérateurs dans le développement des petits producteurs. Sans compter l’apparition de « labels » moins exigeants et susceptibles de semer la confusion dans l’esprit du consommateur. Autant de défis sur lesquels on revient ici, non sans rendre compte du changement de contexte qui a pu les favoriser.
Au final, les changements intervenus ces toutes dernières années (l’émergence de marques MDD et de référentiels moins exigeants) et leurs conséquences (le recours aux agricultures de plantation et de contrat, la certification d’exportateurs) risquent de remettre en cause le travail patiemment réalisé par les acteurs traditionnels en vue de renforcer l’autonomie et la capacité de développement des
groupements de petits producteurs du Sud. Tout se passe comme si ces nouveaux acteurs récoltaient les fruits de ce que les pionniers du commerce équitable avaient semé. Avec ce résultat paradoxal : que ceux pour qui ce commerce fut conçu en priorité en soient finalement
évincés! Que faire? C’est ce qu’on va examiner dans ce dernier chapitre.
Que faire ?
L’avenir du commerce équitable est-il compromis ? Peut-on concilier la progression des volumes sans renoncer aux valeurs qui en ont fait la spécificité ? Cette question traverse le mouvement dans son ensemble, comme en témoigne la réflexion engagée au sein de la Fédération Internationale du commerce équitable (Fairtrade Labelling Organisations International). Les garde-fous existent. A commencer par la mobilisation des organisations des producteurs qui se positionnent fortement contre l’entrée des plantations dans le commerce équitable dont ils dénoncent la concurrence déloyale.
A lire dans « Entre valeurs et croissance : le commerce équitable en question » aux éditions Les Carnets de l’info, décembre 2008. Sylvain Allemand a publié différents ouvrages sur les problématiques du développement durable dont « Le Commerce équitable », avec Isabel Soubelet, « Délocalisations, la catastrophe n’aura pas lieu », ou encore « Les Paradoxes du développement durable ».
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