Alain Guillemoles, journaliste chef-adjoint du service international du quotidien La Croix, et spécialiste de la Russie. Auteur de « Gazprom, le Nouvel empire », un livre sur le géant russe du gaz, paru en 2008 aux éditions Les Petits Matins.
Quel rôle a joué exactement Gazprom dans la récente crise gazière russo-ukrainienne ?
Dans cette crise, Gazprom a bien évidemment été en première ligne. Pour rappel, le groupe bénéficie du monopole de l’exportation du gaz russe. Si la Russie représente environ 30% des réserves mondiales, Gazprom en détient à lui seul environ 17%. Gazprom est un mastodonte dans la production, l’acheminement et la vente de gaz à l’étranger.
Mais si la crise était à l’origine une crise purement commerciale entre Gazprom et son client ukrainien Naftogaz, la direction de Gazprom a été rapidement dépassée par une logique politique. Si au débat, le 1er janvier au matin lors de la coupure des livraisons de gaz à l’Ukraine, c’est encore Gazprom qui décidait, à partir du 7 janvier, c’est Vladimir poutine qui a pris les choses en main.
C’est en effet Poutine qui a décidé de couper totalement les approvisionnements de gaz russe à l’Ukraine. De son côté, Gazprom était plutôt partisan d’un arrangement commercial mais Poutine a voulu durcir la crise.
Qui dirige véritablement Gazprom ?
Le vrai patron de Gazprom, c’est Vladimir Poutine. Depuis 2001, quand il était encore Président de la Fédération de Russie, il a réorganisé la direction de Gazprom en plaçant notamment de Alexeï Miller à sa tête.
Parmi les 25 personnes qui comptent chez Gazprom, c’est-à-dire qui sont au Conseil d’administration et dans la direction, la moitié d’entre eux sont passés par la ville de Saint-Pétersbourg. Tous ces dirigeants ont travaillé de près avec Poutine à l’époque où il était en place à Saint-Pétersbourg. A titre d’exemple, Dimitri Medvedev, désormais Président de la Fédération de Russe, était Conseiller juridique aux affaires extérieures de la mairie de Saint-Pétersbourg.
Quelles sont les raisons profondes de cette crise ?
Cette crise s’inscrit dans la continuité de celle de 2006 qui a également opposé la Russie à l’Ukraine. Ce conflit commercial est la résultante de querelles plus profondes, historiques et géostratégiques, qui dépassent largement les questions purement gazières. Les contentieux entre les deux pays sont en effet nombreux.
A quoi a joué Gazprom et donc Poutine dans ce bras de fer avec l’Ukraine ?
Il me semble que la Russie essaye d’utiliser ses atouts et elle sait très bien en jouer. Vu de France, la stratégie de Poutine peut sembler brutale mais il faut l’analyser comme une partie d’échecs. En l’occurrence, il faut reconnaître que Vladimir Poutine a encore réussi à prendre les Occidentaux de vitesse.
En l’absence de véritable politique européenne en matière énergétique et notamment gazière, Poutine gagne à chaque fois la partie. Il a ainsi obtenu entre autres que les grandes compagnies gazières occidentales se fédèrent pour soutenir Gazprom. Il faut souligner que dans ce conflit, les groupes occidentaux ont choisi le camp de la Russie.
Que pensez-vous de l’ambition affichée récemment par Gazprom de conquérir 10% du marché français ?
Rien de surprenant, Gazprom dispose en effet d’importants moyens de persuasion. Le géant russe propose aux distributeurs la garantie d’importants volumes sur le long terme, pour des périodes de livraisons de 20 à 30 ans, ce que peut de concurrents peuvent proposer.
Grâce à son activisme, Gazprom réussit à casser le front européen et s’entendre dans le dos de l’Europe avec notamment des pays comme l’Allemagne. Pour exemple, Poutine vient de placer l’ancien chancelier allemand Gerhard Schroeder au Conseil d’administration de la compagnie pétrolière russe TNK-BP.
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