Par Laure Noualhat, journaliste, auteur de « Déchets, le cauchemar du nucléaire« , avec Eric Guéret, réalisateur du film du même nom, diffusé sur Arte (13 octobre à 20h45). Les auteurs de cette enquête scientifique et politique osent aborder le sujet tabou du nucléaire, en posant des questions dérangeantes et en apportant des informations éclairantes, parfois inquiétantes sur ces déchets radioactifs.
Les déchets sont le point faible du nucléaire, son talon d’Achille, son pire cauchemar. Les populations en ont peur, les scientifiques ne trouvent pas de solution acceptable, les industriels tentent de nous rassurer et les politiques évitent le sujet. Mais qu’en connaissons-nous exactement ? Comment les populations peuvent-elles avoir une vision claire d’un domaine couvert depuis toujours par le secret ?
La planète est constellée de lieux contaminés, de poubelles à ciel ouvert et de radioéléments actifs jusqu’à la fin des temps. En France, les choix industriels, pré carré d’une famille d’experts nourris au tout-nucléaire, se font sans les citoyens. Celui du retraitement n’a jamais été mis en débat. Pourtant, dans le cadre des contrats qui lient Areva au russe Tenex, nos matières radioactives parcourent des milliers de kilomètres sans autre protection que leur conditionnement pour finir, abandonnées, à ciel ouvert, sur de gigantesques parkings sibériens.
Aux déchets des réacteurs s’ajoutent les déchets ultimes que constituent les installations en démantèlement. On en parle peu, mais le démantèlement sera l’un des défis majeurs de l’industrie nucléaire au cours du XXIe siècle. La durée de vie des centrales ne pourra être indéfiniment rallongée et la totalité des 436 réacteurs en fonctionnement dans le monde devra être remplacée avant 2100. Avant de parler de relance ou de renaissance, l’industrie nucléaire pourrait commencer par évoquer la substitution des vieilles unités de production par de nouvelles. Combien de milliers de tonnes de déchets s’ajouteront alors à ceux déjà existants ?
Pas de solution acceptable
La très grande majorité du stock de combustibles usés, qui s’accroît d’environ 12 000 tonnes par an et atteindra quelque 200 000 tonnes dans le monde en 2010, est entreposée dans des piscines auprès des réacteurs ou sur les sites d’usines de retraitement. Chacune des piscines des 104 réacteurs américains héberge en moyenne 400 tonnes de combustibles irradiés. Ce sont autant de points vulnérables sur la carte des risques encourus par l’existence de ces matières radioactives.
Parmi les solutions les plus modernes, le stockage en profondeur des déchets ultimes, les plus dangereux, caracole en tête des pistes retenues en France et en Suède. Mais, aujourd’hui, il n’existe aucun site de stockage définitif en service pour les déchets de haute activité dans aucun des 31 pays nucléaires. Et, on l’a vu, les populations locales y sont fortement opposées.
La création de poubelles radioactives s’accommode-t-elle de l’exercice pluraliste de la démocratie ? Pas sûr. Aux Etats-Unis, où règnent pragmatisme et argent roi, notamment autour de la capitale du divertissement qu’est Las Vegas, le projet de stockage de Yucca Moutain semble n’avoir pas résisté au lobbying ardent des patrons de casinos. Mais à Bure, où aucun sunlight ne clignote dans la déserte campagne de la Haute-Marne, les populations locales sont condamnées à accepter un futur site de stockage inscrit dans la loi.
En France, la chronologie du centre de stockage de Bure est, à peu de chose près, établie : il faudra assurer sa surveillance cinq siècles après sa fermeture, ce qui nous projette entre 2600 et 3000. Avec une détermination politique sans faille et des financements « gelés » pour le futur, cette surveillance est possible, même si peu de systèmes politiques ont traversé plus de cinq siècles sans faillir. Toute la question est de savoir si nous sommes capables de conserver la mémoire au-delà, sur des millénaires ou des dizaines de millénaires.
Un avion en plein vol sans tarmac
Nous constatons qu’en dépit de l’absence de solution acceptable pour gérer son legs radioactif, l’industrie nucléaire a fait décoller des systèmes complexes sans s’assurer de la présence d’une piste d’atterrissage sûre pour les recueillir. L’industrie nucléaire nous apparaît comme un avion en plein vol qui ne dispose d’aucun tarmac à l’horizon, tandis que le carburant, qu’il s’agisse des financements ou de la matière première, des hommes ou des installations industrielles, va irrémédiablement manquer. Nous sommes condamnés à regarder cet avion tournoyer au-dessus de nos têtes, en espérant qu’il ne s’écrase pas.
Pour en savoir + : « Déchets, le cauchemar du nucléaire » par Laure Noualhat, Arte éditions / Le Seuil (octobre 2009) et le DVD, film réalisé par Eric Guéret, produit par Bonne Pioche et Arte France.
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