Fabrice Nicolino, journaliste indépendant, co-auteur de « Pesticides, révélations sur un scandale français ». De l’élevage intensif et concentrationnaire à la barbarie quotidienne des abattoirs, en passant par les expériences effroyables et surréalistes de savants fous de l’Inra, Fabrice Nicolino propose dans son nouveau livre « Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde », une plongée sanglante dans les entrailles d’une réalité économique, politique, écologique, et sanitaire qui sacrifie plus d’un milliard d’animaux par an en France, dans l’indifférence quasi générale.
Après les pesticides, objet de votre dernier livre, pourquoi s’intéresser à l’industrie de la viande et au bien-être animal ?
Je m’intéresse à la nature et à l’écologie depuis très longtemps, mais je pense que c’est le sort réservé aux animaux d’élevage qui a été le déclencheur de cette aventure.
Le sujet me préoccupait et me trottait dans la tête. Mais le déclencheur a été l’émotion ou une sorte de révolte morale face à ce que l’on fait subir aux animaux. J’ai cherché à comprendre pourquoi le lien existant entre les humains et les animaux domestiques avait été rompu.
Pendant près de 10.000 ans, nous avons cohabité tant bien que mal. Si les relations n’étaient pas toujours franches et cordiales, elles étaient même parfois dures et violentes, il s’agissait néanmoins de relations entre des êtres, les humains d’un côté, les animaux d’élevage de l’autre. Et, brusquement, ce lien s’est brisé.
C’est un sujet étrangement très peu abordé voire tabou dans les médias…
Il existe un livre qui date de 1981 intitulé « Le grand massacre » paru chez Fayard, mais il traitait davantage des conditions d’abattage. Il est sûr que personne en France ne s’est attelé à relier entre eux les fils de cette histoire, puisqu’il s’agit bien d’une histoire, avec des personnages, avec un déroulement, un scénario, des anecdotes et des conséquences majeures pour nous tous.
Dans votre ouvrage, vous décrivez des scènes d’une grande barbarie dans les élevages comme dans les abattoirs?
Je pense qu’il existe une sorte de pacte tacite entre nous tous et l’industrie de la viande. Il ne faut pas dévoiler les secrets, il ne faut pas passer de l’autre côté du rideau, aller dans les coulisses, nous nous contentons de manger ce que l’on nous demande de manger. Et je dis nous, parce que moi même, je mange de la viande, j’aime la viande même si j’en mange de moins en moins, et uniquement de la viande bio.
Vous insistez également sur le vocabulaire très choisi qui entoure ces pratiques dans les abattoirs?
Le sort réservé aux animaux est si dur, si violent, si « inhumain », qu’il faut trouver des méthodes pour cacher le fait lui-même, trouver des nouveaux mots pour désigner les actions réalisées. Ainsi on n’utilise plus le mot tuer. Quand un animal arrive en bout de course, comme une truie qui a enfanté pendant 5 ou 7 ans et qui n’en peut plus, on dit qu’il est « de réforme ». Concrètement, cela veut dire que l’animal est prêt pour l’abattoir.
De la même façon, on utilise des tas de mots, soit pour désigner l’animal, soit pour désigner les actions les plus dures qu’il soit, comme si cela devait être rendu abstrait, un peu irréel. Mais les animaux sont des êtres réels. Le sort normal d’une vache est de vivre avec son veau des mois durant. En principe, le petit veau va téter naturellement sa mère pendant 8 à 10 mois. Or, dans les conditions de l’élevage industriel, au bout d’un jour ou deux, on les sépare. C’est donc une rupture radicale et une négation des besoins primaires élémentaires de l’animal. L’animal en tant qu’être, qui a des besoins, n’existe plus pour être transformer en chose.
Comment expliquez-vous que des éleveurs, vivant aux contacts des animaux acceptent des pratiques si cruelles vis-à-vis de leurs propres bêtes ?
C’est un mystère. Je n’ai pas de réponse très claire mais pour moi, c’est une tragédie qui nous concerne tous. Ce mode d’élevage abaisse les hommes qui le pratiquent. Nous perdons tous une partie de notre d’humanité en acceptant que des animaux, qui nous ont tellement servi dans l’histoire récente de notre civilisation, soient brutalement traiter de cette façon.
Pensez-vous néanmoins que cette situation évolue favorablement ?
Oui, elles évoluent et je pense que c’est grâce à la redécouverte de l’écologie. Pour moi l’écologie, c’est fondamentalement l’idée de l’existence de limites, des limites physiques, mais aussi de limites psychologiques. Naïvement, l’humanité a cru qu’il n’y avait pas de limites à nos désirs d’expansion sur terre.
La crise écologique et avec elle toutes les questions que la société se pose à nouveau depuis une dizaine d’années amènent de plus en plus de gens à admettre qu’il existe des limites physiques et psychologiques à l’action humaine. C’est comme si on était passé de l’autre côté d’une frontière et je souhaite ardemment que l’on fasse machine arrière et que l’on revienne du bon côté.
Je pense sincèrement que l’on est du côté de la barbarie vis à vis des animaux. Il est largement temps de revenir à un rapport « humain » avec eux. C’est déjà assez de les sacrifier pour notre nourriture. Le moins que l’on puisse faire c’est de leur accorder le droit à une existence réelle.
Comment expliquez-vous que la pression écologique si forte sur certains domaines comme les OGM ou le nucléaire soit si inaudible sur cette notion du bien-être animal ?
Je pense que les choses sont en train de changer. Les adversaires du bien être animal, qui sont organisés en comité ou autres, ont parfaitement conscience que quelque chose d’important est en train de se nouer du côté de Bruxelles.
De plus en plus d’interrogations se forgent sur le sort des animaux d’élevage et il existe de plus en plus de projets de directives européennes, qui parlent d’inscrire dans le droit communautaire des critères sur le bien-être animal. Il existe donc bien une augmentation de la pression écologique sur ce sujet mais il est vrai qu’elle est toutefois moins forte que dans les pays nordiques par exemple.
Mais on va dans la bonne direction. Pour moi nous sommes dans une phase de fermentation. Je pense que les questions générales sur l’état de la planète vont fatalement se reporter sur des questionnements concernant la viande et nos rapports avec les animaux d’élevage.
Des images fortes ne seraient-elles pas nécessaires pour marquer les esprits ? Vous donnez de bons exemples dans votre ouvrage?
Sans doute. Par exemple, Nucléus est une société qui créé aujourd’hui des établissements futuriste avec l’Inra, destinés à faire naître et grandir des animaux totalement vierges de tout germe pathogène. Or, le microbe, le germe, la maladie est synonyme de la vie sur terre. C’est donc complètement extravagant, c’est une folie en soi.
Cela implique donc des mesures de protection complètement phénoménales par rapport à l’extérieur. L’ensemble de l’installation est sur-pressurisé afin d’éviter toute contamination avec l’extérieur. On y créé des animaux qui sont censés repeupler des élevages après des épisodes épizootiques. On est dans de la science fiction !
De même avec la multiplication des cellules. Comme on multiplie les cellules de peau pour pratiquer des greffes, on pourrait bientôt avoir de grands bains dans lesquels se multiplient des cellules de bidoches. Au bout du processus, on obtiendra alors de la viande mais sans aucun animal ! C’est quelque chose de complètement irréel.
Dans votre ouvrage, vous évoquez un documentaire de 1970 dans lequel l’Inra traite les vaches d’une façon particulièrement effroyable au cours d’expériences. Pensez-vous que cet organisme a évolué ?
Sincèrement, je ne pense pas. Je me trompe peut-être mais je ne crois pas. Ce ne sont pas des monstres mais ils ne sont pas assez interrogés par la société. L’industrie de la viande a échappé au contrôle social. C’est comme le monstre de Frankenstein, elle a échappé à ses concepteurs et elle écrase tout sur son passage.
Les chercheurs de l’Inra n’ont pas été confronté à la critique de la société et ils ont imaginé qu’il serait bien de créer après la guerre une industrie de la viande extrêmement productive. Il ne s’agit de refaire l’histoire et de leur faire des reproches mais comme ils n’ont pas été soumis à la critique, ils sont allés toujours plus loin dans la recherche en découpant l’animal dans des morceaux de plus en plus petit sans les voir dans leur ensemble et les respecter en tant qu’animaux.
Attention, je ne considère pas du tout qu’un animal soit l’égal d’un homme, mais mon propos est qu’il faut respecter les animaux. Mais les gens de l’Inra qui sont au demeurant très sympathiques, vivent dans l’irréalité. Ils ont perdu le sens du réel.
Pourquoi considérez-vous que la consommation mondiale de viande devra forcément baisser ?
Que fera-t-on en 2050 quand il faudra nourrir 9 milliards d’humains ? L’augmentation de la population est peut-être moindre qu’attendu mais il y a tout de même 470 millions d’humains supplémentaires chaque année sur terre.
Pour une protéine animale, il faut produire 7 à 8 protéines végétales. L’animal représente un rendement énergétique très mauvais. Pour nourrir des centaines de millions de nouveaux animaux destinés à alimenter la population des pays émergents, il faudrait des surfaces de céréales gigantesques, qui en l’état actuel des choses n’existent pas, et n’existeront sans doute jamais.
L’alimentation devra obligatoirement se tourner plus vers les végétaux, comme cela était le cas auparavant. Il y aura de la viande, mais on n’en consommera quatre fois moins, ce qui sera d’ailleurs meilleur pour la santé. L’élevage retrouverait peut-être alors une logique agricole et non plus industrielle.
> Pour en savoir + : « Bidoche, l »industrie de la viande menace le monde », de Fabrice Nicolino, aux éditions LLL (septembre 2009).
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