Guillaume Wack, responsable de la direction des centrales nucléaires à l’Autorité de Sûreté Nucléaire depuis 2007. Cette direction assure le contrôle des réacteurs nucléaires d’EDF en construction et en exploitation. En compagnie des autorités britannique et finlandaise, l’ASN vient de demander à EDF de revoir la sécurité du système contrôle-commande de l’EPR, le réacteur de 3e génération développé par Areva.
L’ASN vient de publier une déclaration commune avec les autorités britannique et finlandaise, pointant des défaillances de sécurité du réacteur EPR, pouvez-vous nous préciser le contexte ?
Pour ce type d’installation, des instructions nationales sont tout d’abord faites dans chaque pays. Un exploitant dépose un dossier, ici un projet de réacteur, et le dossier est évalué par l’autorité de chaque pays selon la réglementation nationale en vigueur.
Dans le cas de la France et de ses EPR, le processus d’autorisation comporte plusieurs étapes, de la prise de position de l’ASN sur les options de sécurité en date de 2004, aux décrets d’autorisation de création signés en avril 2007 par le gouvernement. La prochaine étape sera l’autorisation de mise en service qui sera décidée par l’ASN.
Nous nous situons aujourd’hui entre ces deux dernières étapes. A chaque étape, l’exploitant nous soumet des dossiers réglementaires de plus en plus détaillés auxquels nous accordons un examen également de plus en plus pointu.
Quelle est la nature précise de la faille de sécurité identifiée ?
Ce qui fait l’objet de cette prise de position, c’est le système contrôle-commande de l’EPR, l’épine dorsal, le centre névralgique de l’installation qui regroupe tous les capteurs de l’installation (les mesures de débit, de pression, de niveau d’eau?), toutes les commandes des opérateurs et toutes les plates-formes informatiques qui gèrent les boucles de régulation automatiques ou manuelles et qui font donc le lien entre les mesures des capteurs et les commandes des opérateurs.
Ce système assure la conduite et le fonctionnement normal de l’installation. Il gère également tous les automatismes de sûreté qui sont mis en ?uvre en cas d’accident. Imaginons une tuyauterie du circuit primaire qui se rompt, cela engendrera une perte du débit primaire qui générera automatiquement l’arrêt du réacteur.
L’exploitant doit donc aujourd’hui nous assurer de la sûreté de ce système. Or, si l’on considère aujourd’hui ce système tel qu’il nous est proposé, il y a des points sur lesquels EDF doit faire des évolutions matérielles, faire évoluer la conception. Sur d’autres points, il existe des zones d’ombre et l’on considère alors que nous ne disposions pas d’assez d’éléments de la part d’EDF pour pouvoir se positionner.
Cette position commune est-elle « à géométrie variable » en fonction des autorités européennes ?
La position de l’ASN concerne le processus français, en cours à Flamanville. Au-delà, au niveau international, plusieurs autres autorités doivent évaluer des projets similaires à celui de l’EPR normand, apportés par d’autres exploitants mais avec un objet qui est similaire.
Une coopération internationale a donc été mise en place dans le cadre d’une structure appelée le MDEP (Multinational Design Evaluation Program) gérée par l’Agence à l’énergie nucléaire. Elle regroupe une dizaine de pays, dont notamment ceux qui ont aujourd’hui à évaluer le réacteur EPR mais aussi le réacteur AP1000 (développé par l’américain Westinghouse, NDLR).
Le groupe de travail sur l’EPR travaille plus précisément sur les sujets à fort enjeux en termes d’évaluation comme le contrôle-commande. Le but de ces groupes est de rendre plus robustes les évaluations nationales qui sont faites. Nous regardons tous les réacteurs sous un angle différent avec des pratiques différentes, avec une réglementation différente, des dossiers différents. Au final, le deal est de prendre une position nationale et internationale cohérente. On ne souhaite pas accepter en France quelque chose qui sera refusée en Finlande.
Concrètement, quelles sont les conséquences directes de cette déclaration ?
Clairement, ce travail international se fait dans l’intérêt de la sûreté et les industriels sont plutôt preneurs puisqu’avec un seul produit, ils pourront répondre aux exigences de plusieurs pays. Toutefois, le résultat de ces travaux n’a aucune valeur réglementaire.
La position conjointe que l’on a pris est accompagnée d’une lettre de position de l’ASN adressée à EDF qui elle, a la valeur réglementaire. L’évaluation ne se fait pas au niveau du MDEP mais au niveau de l’ASN.
Néanmoins, cette déclaration commune représente quelque chose de fort qui montre qu’il existe une convergence d’objectifs pour ces systèmes en termes de sûreté. Cette déclaration commune indique que nous partageons les mêmes constats.
Le courrier de l’ASN à EDF a été rédigé dans le cadre d’une instruction « standard », C’est le fonctionnement normal, mais il a un écho tout particulier car il est conforté par une convergence des constats et objectifs au niveau international par les autorités de sûreté. C’est assez original comme situation.
Qu’en est-il désormais d’un point de vue chronologique ?
Les réponses aux demandes que l’on a fait sont un pré-requis pour l’examen du dossier de mise en service que doit nous remettre l’exploitant. Donc, concrètement, tant que la copie d’EDF n’est pas jugée acceptable sur ce sujet, le dossier d’autorisation de mise en service ne sera pas examiné.
Si aujourd’hui EDF construit son réacteur tel qu’il est décrit dans le papier qui est sur notre table actuellement, et que l’on nous demande l’autorisation de mise en service du réacteur, la réponse sera non. A EDF de revoir sa copie, d’apporter des justifications complémentaires, des modifications du système actuel, pour que ces justifications et modifications soient de nouveau évaluées. Le délai sera donc celui que prendra EDF pour répondre à nos demandes.
Par rapport à Flamanville qui est moins avancé, le chantier finlandais est-il susceptible de connaître de nouveaux retards compte tenu de ces nouvelles données ?
Le chantier finlandais est effectivement un peu plus avancé. Ce qui est avancé dans la déclaration commune est que l’on fait les mêmes constats, par rapport à la copie originale du dossier qui nous a été déposée.
Si nous faisons un même constat dans cette déclaration commune, les 3 autorités ont fait part de demandes de modifications à différents moments. Les Finlandais ont par exemple fait leur demande fin 2008-début 2009, les Anglais début 2009 alors qu’en France, nous ne la faisons qu’en octobre 2009.
Côté finlandais et anglais, les autorités ont déjà commencé à recevoir les réponses des exploitants et d’Areva. Il y a donc des modifications qui ont déjà été proposées et qui sont en cours d’évaluation par les trois autorités de sûreté, mais de manière individuelle.
Que répondez-vous à la polémique lancée par le réseau Sortir du nucléaire sur précisément la chronologie des évènements, qui stigmatise votre « suivisme » dans cette affaire ?
Je ne vois pas l’intérêt de l’ASN de cacher certaines choses, et surtout pas en matière de sécurité. On a pris position dans le cadre d’un process réglementaire français. Encore une fois, nous nous situons actuellement entre le décret de création et l’autorisation de mise en service et il est prévu à ce moment-là d’examiner la conception détaillée, et c’est ce que l’on est en train de faire.
Notre processus d’instruction fait que l’on demande ou sollicite l’avis d’un groupe permanent d’experts pour les réacteurs nucléaires auprès de la direction générale de l’ASN. Sur ce dossier de contrôle-commande EPR, nous avons demandé fin 2007 de nous transmettre des éléments afin de pouvoir tenir cette réunion du groupe permanent d’experts. Ces éléments sont arrivés courant 2008, instruits fin 2008-début 2009. La réunion du groupe permanent d’experts s’est tenue en juin 2009 et en octobre 2009 nous avons pris position et nous l’avons rendue publique. Pour nous, la chronologie a été respectée et nous ne sommes pas en retard par rapport aux jalons réglementaires prévus.
Cette décision ne donne certainement pas le sourire à Areva et EDF. Nous faisons montre d’une certaine indépendance malgré ce qui nous est parfois reproché.
Après des années de timidité, cette déclaration correspond-elle à une indépendance désormais revendiquée et assumée de l’ANS par rapport à l’industrie nucléaire française ?
Il y a une pratique de la transparence et de la mise à disposition de nos instructions et de leurs conclusions auprès du public qui est beaucoup plus développée que par le passé. Un large effort de communication et de transparence a été réalisé. Je pense que nous sommes loin d’être à la traîne sur le sujet.
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