Jean Jouzel, géochimiste, climatologue, membre du Groupement intergouvernemental d’experts sur le réchauffement climatique (Giec), co-lauréat du prix Nobel de la Paix 2007 avec Al Gore. Directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace, Jean Jouzel s’exprime sur la polémique du « Climategate » et les critiques sur le travail du GIEC, ainsi que ses conséquences sur le récent Sommet de Copenhague.
L’affaire dite du « Climategate » vient de rebondir en Grande-Bretagne, en mettant en lumière un possible complot américain ou russe anti-GIEC, quelles informations avez-vous sur cette affaire ?
Sur les 3 000 pages du dernier rapport du GIEC, il y a eu une erreur sur une projection qui concluait à la disparition d’une grande partie des glaciers en 2035 au lieu de 2350. Même si le GIEC aurait sans doute du reconnaître cette erreur avant, elle n’a pas de conséquences sur les conclusions générales. Cela nous incite à être plus rigoureux pour la rédaction du 5e rapport sur lequel nous allons commencer à travailler.
Quel regard portez-vous sur cette histoire de mails piratés ?
Cette affaire repose essentiellement sur un mail dans lequel Phil Jones, directeur de l’Unité de recherche climatique, évoque une astuce, pour mettre en relation des données paléo anciennes et des données actuelles sur la même courbe, ce qu’il a d’ailleurs très bien expliqué. Il n’y a pas spécialement de reproches à lui faire là-dessus, c’est important d’être astucieux quand on est scientifique. La revue Nature a d’ailleurs traité ces attaques de risibles.
Phil Jones a pourtant été démis de ses fonctions fin 2009 ?
A ma connaissance, cela ne remet pas en cause sa bonne foi, ni celle du GIEC. Il y a une enquête interne, et cette procédure est destinée à examiner sereinement cette question.
On évoque également de vifs désaccords entre Phil Jones et Hans von Storch sur l’interprétation de certaines données du GIEC ?
Le fait que des scientifiques discutent même vertement, de façon vive, n’a rien d’anormal. Cela participe de la vie normale d’une communauté scientifique. Ils se seraient certainement exprimés de manière différente et plus nuancée s’ils avaient su que leurs mails seraient publiés. Néanmoins, il n’y a pas matière à remettre en cause le GIEC en tant que tel. En dehors du manque d’élégance du procédé de ces révélations, je pense que le « Climategate » fait un flop chez les sceptiques.
La voix des sceptiques se fait plus entendre ces derniers temps, que répondez-vous à des scientifiques comme Vincent Courtillot qui remettent en cause le travail et les conclusions du GIEC ?
L’une des conclusions majeures du GIEC, c’est de considérer que selon nous, l’essentiel du réchauffement climatique de ces 50 dernières années est du à l’activité humaine. Pour Vincent Courtillot, ce réchauffement pourrait être du à l’activité solaire. Il a montré la signature de l’activité solaire dans les données climatiques du 20e siècle. Personne ne nie cela et d’ailleurs, 80 pages du rapport du GIEC traite de cette question.
Est-ce que pour vous le débat est clos ?
Pas du tout, même si je continue à penser que les conclusions du GIEC sont toujours d’actualité, le 5e rapport sur lequel nous allons travailler s’intéressera de nouveau à l’attribution du réchauffement climatique et à sa détection. S’il existe des éléments nouveaux convaincants, y compris de ceux de Vincent Courtillot, et bien le GIEC les prendra en compte.
Que répondez-vous aux sceptiques qui considèrent que ça serait plutôt le réchauffement climatique qui piloterait les émissions de gaz carbonique et non l’inverse comme le pense le GIEC ?
C’est une vision partiale et biaisée d’un article que j’ai cosigné dans la revue Science. La vérité c’est que le CO2 précède le réchauffement climatique, même si personne n’a prétendu que c’était le CO2 qui modulait les périodes de déglaciation. Le reste c’est de l’enfumage, soyons clair.
Est-ce vrai que depuis 10 ans la température a plutôt stagné voire baissé ?
Oui, 2008 a été plus froid que 2007, plus froid que 2006, et que 2005. Mais 2009 a de nouveau augmenté en étant une année très chaude. C’est vrai qu’on a constaté plutôt une stabilisation ces 10 dernières années, mais c’est une stabilisation à un niveau très élevé.
Parmi les sceptiques, beaucoup considèrent que ce réchauffement est largement surestimé ?
Ce réchauffement s’élève à 0,7 voire 0,8°C sur les 100 dernières années. Sur les modèles établis par le GIEC, on pourrait enregistrer une augmentation de près de 3°C à la fin du siècle.
Les projections du GIEC sont-elles indiscutables ?
Il y a beaucoup de discussions, tous les livres du GIEC sont ouverts. Une fois qu’on dit que le climat se réchauffe, il reste des incertitudes marquées. Les caractéristiques régionales du réchauffement climatique sont difficiles à prévoir.
Qu’en sera-t-il du prochain rapport du GIEC ?
Nous allons travailler sur de nouveaux modèles mais il n’y aura pas forcément beaucoup de différences. Ce que l’on peut dire, c’est que les simulations réalisées dans les années 90 se sont révélées plutôt conformes par la suite.
Pour finir, pensez-vous que cette ambiance plus critique vis-à-vis des positions du GIEC ait pu influencer négativement le récent Sommet de Copenhague ?
Oui, je crois. Si se poser des questions n’est pas illégitime, l’offensive des sceptiques extrêmement visible aux Etats-Unis, a relégué la question climatique loin derrière le reste. Cela a certainement influencé les prises de positions peu ambitieuses d’Obama à Copenhague.
Le GIEC n’a-t-il pas été pris au jeu de la médiatisation et des politiques qui préfèrent des discours simplistes et binaires ?
Beaucoup de gens parlent pour le GIEC sans connaître véritablement ses rapports. Mais la communication est difficile. Le message des sceptiques est d’autant plus audible que c’est ce que souhaitent entendre beaucoup de gens aujourd’hui. Le simple fait de dire qu’il n’y a pas consensus permet à beaucoup, de dire tout et n’importe quoi.
N’êtes-vous pas victime d’un retour de bâton de l’opinion, après avoir bénéficié d’une forte audience, relayée notamment de manière parfois excessive par les écologistes ?
Je le pense en effet. C’est pour cette raison qu’il faut encore plus jouer la transparence scientifique. Nous serons encore plus vigilants sur l’élaboration du 5e rapport du GIEC (NDLR : qui devrait être publier pour septembre 2013), notamment s’agissant des chapitres régionaux. Le rôle du GIEC n’est pas de dire aux politiques ce qu’ils doivent faire, mais de faire un diagnostic, un état des lieux de la science du climat. Encore une fois, il faut accepter le débat. Le scepticisme est légitime. C’est à nous aussi de montrer pourquoi les sceptiques comme Vincent Courtillot se plante scientifiquement.
Commentaires récents