Jean-Philippe Demont-Pierot, journaliste d’investigation. Au moment même ou le groupe pétrolier est au c?ur de l’actualité en raison d’une grève nationale qui paralyse l’approvisionnement des stations essence, l’auteur de « Total(e) impunité » publie aux éditions Respublica, un véritable réquisitoire contre Total, et ses pratiques souvent « inacceptables » en France comme à l’international : corruption, financements de dictatures, atteintes à l’environnement, management, etc…
Votre livre dresse un tableau édifiant des pratiques de Total, de la Birmanie aux sables bitumeux canadiens, en passant par l’Afrique ou encore le site toulousain d’AZF, qu’est-ce qui vous a le plus surpris dans votre enquête ?
Ayant vécu en Asie du Sud-Est, j’ai été confronté à certaines conséquences de la présence de Total dans cette région du monde. Au départ, je voulais écrire un livre sur Total en Birmanie, mais je me suis vite rendu compte qu’il serait difficile de ne pas traiter ce groupe de manière plus globale. Je me suis donc intéressé aux affaires de Total en France comme à l’international. Selon moi, la présence de Total en Birmanie est particulièrement contestable, plus que dans beaucoup d’autres pays.
Vous évoquez le financement plus ou moins direct par Total de la junte militaire birmane et des pratiques sociales inavouables, mais n’est-ce pas le lot de beaucoup de multinationales dans ce type de pays ?
L’objectif de Total est de fabriquer du bénéfice pour ses actionnaires, et accessoirement de fournir de l’énergie. Mais en Birmanie notamment, son activité provoque des dommages collatéraux et environnementaux. La logique voudrait que Total arrête de verser 700 à 800 millions de dollars à la junte birmane, finançant ainsi l’armée et l’argent de poche des généraux au pouvoir.
Toujours sur la présence polémique de Total en Birmanie, vous revenez sur le rapport bienveillant de Bernard Kouchner, qui a exonéré le pétrolier d’accusations notamment de travaux forcés…
Bernard Kouchner a remis à son client Total, un rapport de complaisance sur Total en Birmanie. On peut parler de corruption morale sur une personnalité comme Bernard Kouchner, apôtre des droits de l’homme. Toutes les personnes qui se sont intéressées à cette affaire ont considéré ce rapport comme plus que contestable, et c’est un euphémisme.
Pourquoi votre livre débute-t-il par une anecdote sur les « amis du Fouquet’s » réunis au soir de la victoire de Nicolas Sarkozy à la Présidentielle ?
L’idée est de montrer que les dirigeants de Total sont là uniquement pour mettre en musique la stratégie définie par les grands financiers du groupe, à savoir le belge Albert Frère et le canadien Paul Desmarais, présents à cette soirée du Fouquet’s, des amis proches de Sarkozy. A titre d’exemple, j’évoque le rapprochement dans les métiers du gaz entre Gaz de France et Suez, qui correspondait parfaitement aux intérêts notamment d’Albert Frère.
Pourquoi affirmez-vous que les milliardaires canadien Paul Desmarais et belge Albert Frère sont les vrais patrons de Total ?
A eux deux, ils disposent de 6% des actions du groupe et à ce titre d’une minorité de blocage. Toutes les grandes décisions stratégiques du groupe et notamment les grandes nominations ne peuvent se faire sans leur approbation.
Les formidables bénéfices réalisés chaque année par le groupe pétrolier ne rapporteraient que très peu d’impôts à la France, avez-vous des chiffres à ce sujet ?
Total bénéficie d’une disposition fiscale qui s’appelle le bénéfice mondial consolidé. Ce régime fiscal permet à cette multinationale de déclarer qu’il paye déjà des impôts dans d’autres pays sans avoir à justifier leurs montants, pour des raisons de confidentialité, ce qui permet à Total de payer très peu d’impôts sur les bénéfices.
Total a-t-il réagi à la rédaction et la publication de votre livre ?
Il n’y a eu aucune réaction officielle. Il y a eu un débat d’organisé avec des responsables de Total mais qui a dû être annulé car ils ont refusé de venir. Il y a eu certaines grandes publications qui ont voulu parler du livre mais qui ont finalement renoncé après que Total leur ait rappelé qu’il était leur annonceur, et le groupe représente beaucoup d’argent pour certains titres.
Avez cherché à contacter des responsables de Total pour obtenir leur point de vue ?
Non, le livre propose des informations avérées et difficilement contestables sur le plan des faits par Total.
Vous terminez votre livre en évoquant la nationalisation souhaitable de Total, pouvez-vous expliquer pourquoi ?
Je préférerai en effet que les octogénaires très puissants qui sont à la man?uvre chez Total soient remplacés par la puissance publique, afin d’orienter positivement la stratégie du groupe. Sur le plan de la valeur économique du groupe, c’est-à-dire sa capacité à produire du pétrole à partir de ses réserves, Total est en fin de vie, en ayant devant lui qu’une trentaine d’années devant lui.
Ce qui est regrettable, c’est que les investissements de Total qui se montent à environ 150 milliards d’euros pour les 10 prochaines années ne soient pas orientés en direction de la pérennité de l’entreprise, c’est-à-dire des sources d’énergie renouvelables.
Pourtant les dirigeants de Total ne sont pas suicidaires, leur stratégie est seulement différente en misant notamment sur le nucléaire ?
Total investit encore très peu dans les énergies renouvelables, seulement 2 milliards d’euros dans les 10 ans à venir en comparaison des 150 milliards, c’est rien du tout. Le groupe ne fait pas les choix courageux alors qu’il s’agit de construire dès maintenant l’après-pétrole, qui ne pourra passer que par les énergies renouvelables.
Après avoir travaillé en Asie, Jean-Philippe Demont-Pierot se consacre à l’écriture de romans et d’ouvrages engagés sur des sujets de société. « Total(e) Impunité » est son 4ème ouvrage. Il est également l’auteur « d’Ulysse et les OGM, » un thriller parut le mois dernier aux éditions Les portes du Soleil qui aborde le problème de l’utilisation des OGM en agriculture à travers les aventures du personnage principal Ulysse; et de deux autres romans « L’Ambassade » (L’Harmattan, 2007) et « Réchauffement climatique » (Kirographaires, 2008).
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