Richard Loyen, Délégué général d’Enerplan, l’association professionnelle de l’énergie solaire, répond aux critiques qui s’abattent actuellement sur la filière photovoltaïque française. Il demande un pilotage concerté de cette filière avec les pouvoirs publics et réclame plus de visibilité et moins d’atermoiements réglementaires.
Le rapport Charpin qui vient d’être publié, est très critique sur votre filière et notamment sur la stratégie économique discutable du modèle français, qu’en pensez-vous ?
Ce rapport condamne la filière avant qu’elle n’ait pu émerger. C’est un vrai problème, avec en toile de fond, un gouvernement qui intervient en changeant souvent les règles. Le marché du photovoltaïque n’existe véritablement que depuis 3 ans, avec beaucoup d’incertitudes en raison d’un pilotage à vue, ce qui n’est jamais bon notamment sur le plan industriel. Il y a cependant des industriels français plutôt en aval qui se sont lancés sur ce marché.
Le boom du photovoltaïque en France sert-il surtout les gros industriels étrangers ?
Ce marché est né après une grande traversée du désert, ce qui est notre héritage. Nous avions un embryon de PME qui ont progressé comme l’entreprise Tenesol. Mais il est vrai que ce marché français en phase d’amorçage, profite notamment à l’industrie allemande qui s’était développée depuis longtemps dans ce secteur et à l’industrie chinoise qui arrive.
Le retard actuel de l’industrie française dans le solaire peut-il être rattrapé ?
On peut le rattraper à la condition que l’Etat arrête d’organiser l’incertitude. Nous avons besoin d’un cadre réglementaire qui ne change pas tous les quatre matins, pour ne pas déstabiliser les industriels. Pour faire de la recherche et développement, il faut qu’il y ait des investissements industriels qui puissent la soutenir pour la transformer en innovation et en compétitivité produits. Il faut plus de visibilité, alors qu’actuellement, on ne sait pas ce qui se passera en 2012.
Quelle est la position d’Enerplan sur l’intense spéculation dont fait l’objet votre filière depuis quelques années ?
Enerplan a largement communiqué en critiquant notamment des outils qui ne nous paraissent pas adaptés comme la défiscalisation pour financer des centrales solaires, c’est une aberration. On milite pour baisser le tarif ou adapter la fiscalité avec un pilotage concerté. Il faut arrêter les atermoiements avec les changements de direction, et les effets de surprise. Le gouvernement annonce des mesures en 2008, attend quasiment 15 mois pour les mettre en application de façon laborieuse, et y revient en septembre. Nous demandons plus de concertation et de visibilité.
Le gouvernement semble regretter le boom actuel du solaire, n’est-il pas allé trop loin pour développer coûte que coûte votre filière ?
Ce boom est très relatif. Aujourd’hui, il y a 3,8 GW de projets virtuels, mais je ne sais pas aujourd’hui, ce qu’il restera de ces 3,8 GW au final. Il faudra notamment qu’ils obtiennent les autorisations d’urbanisme mais aussi les financements, sans compter les décideurs qui arbitreront entre plusieurs projets.
Ce développement rapide s’opère grâce aux tarifs élevés et garantis de rachat de l’électricité photovoltaïque par EDF, et donc grâce à une facture d’électricité qui va inexorablement augmenter pour les Français ?
Je serai assez intéressé aujourd’hui qu’on communique les noms des entreprises qui ont déposé des dossiers. Je ne suis pas sûr que ce sont les énergies renouvelables qui vont faire augmenter le plus la facture d’électricité. Aujourd’hui, le coût du solaire doit représenter 150 millions d’euros. A titre d’exemple, le verdissement de la production d’électricité allemande est de l’ordre de 5 milliards, dont la moitié environ pour le photovoltaïque. C’est un investissement même s’il faut optimiser les coûts dans cette filière pour que cette énergie soit la moins chère possible.
Est-ce les coûts du photovoltaïque vont baisser ?
On doit tendre vers un coût compris entre 1 euro et 1,50 euro la centrale solaire posée plein champ, et entre 2 et 3 euros le coût de la centrale solaire intégrée bâtie sur grande toiture. Je me demande pourquoi on conserve un tarif de rachat de 58 centimes le kw. Le tarif de rachat trop élevé est une aberration, mais il est conservé sans doute parce que le Président de la République a promis de ne pas y toucher avant 2012. Derrière, l’administration fait tout pour bloquer la plupart des projets.
Quel serait selon vous le tarif raisonnable de rachat du kw d’électricité solaire ?
Il ne serait pas scandaleux qu’il se situe autour de 52 centimes. Il faut que le marché se situe dans une certaine justesse. Il ne faut sans doute pas toucher le tarif de rachat appliqué à Lille, mais on en a sous le pied à Marseille, sachant qu’on bénéfice dans le Sud de 25 à 30% d’ensoleillement en plus.
A quel niveau se situe le potentiel énergétique du solaire en France ?
A horizon 2010, l’énergie solaire ne devrait représenter que 0,1% de la consommation électrique du pays. A titre de comparaison, les Allemands sont déjà rendus à plus de 2% et devraient se situer entre 5 et 7% en 2020. Nous estimons que la France devrait viser les 3 à 4% dans 10 ans.
Enerplan encourage-t-elle le solaire sous toutes ses formes, bâti et non bâti ?
Culturellement, nous pensons qu’il faut développer en priorité le bâti, au plus près des besoins, même si nous ne sommes pas opposés aux centrales. Après le solaire peut être intégré, semi intégré, apposé, peu importe. Il existe un tel potentiel de surfaces de toitures disponibles qu’il faut réisoler, autant les rendre actives et productives d’énergie solaire. Il faut profiter de cette opportunité.
La filière solaire représente actuellement combien d’emplois ?
Le solaire en France, c’est environ 10 000 emplois répartis dans la chaîne installation et distribution.
Que répond-vous aux craintes exprimées par Michèle Bellon, présidente d’ErDF sur les risques de tension du réseau avec le boom de l’énergie photovoltaïque en France ?
S’agissant des tensions sur le réseau, Michèle Bellon a sans doute raison, même je rigole un peu quand elle évoque des risques de black-out en 2014, alors que le solaire restera à cette date encore très marginal, de l’ordre de 0,3% de la consommation totale d’électricité en France. Mais ErDF ferait bien d’avoir une politique d’investissements plus dynamique pour s’adapter au monde de demain, qui ne sera pas nécessairement un réseau avec une production hyper centralisée, mais un réseau avec aussi une micro-production décentralisée.
Il existe en France des dogmes à faire tomber, comme celui de la mono-technologie avec le nucléaire, ou encore celui qui consiste à considérer qu’il ne faut pas dépasser 30% d’énergies renouvelables dans le système électrique français. A titre d’exemple, je crois que les Portugais arrivent à près de 47% en moyenne annuelle.
Avec la crise, les modifications réglementaires, et le climat de défiance face à l’énergie notamment solaire, la conjoncture est-elle toujours aussi favorable pour les professionnels de votre filière ?
La tendance de fond est irréversible et les fondamentaux sont sains malgré le climat politique actuel. Nous avons besoin en France d’une vraie réflexion sur le coût du kilowattheure d’ici 2020, en y intégrant celui des énergies renouvelables, mais également celui des investissements pour prolonger la durée de vie des centrales nucléaires, optimiser et développer les réseaux, intégrer les puissances de pointe, etc.
C’est un combat d’arrière-garde de vouloir abandonner le développement de la production décentralisée d’énergies renouvelables, car c’est un mouvement de fond partout dans le monde.
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