Pascal Perri, économiste et géographe, la « Grande Gueule » de RMC dénonce les grands monopoles français en militant pour les vertus de l’économie « low cost ». Après s’être intéressé à la SNCF, il s’attaque aujourd’hui au dessous du scandale d’EDF, dans un livre publié aux éditions JC Lattès « EDF, les dessous d’un scandale ».
Après la SNCF, vous vous attaquez à EDF, vous avez quelque chose contre les grands fleurons de l’économie française ?
Contre le monopole ! Le monopole est mauvais pour le consommateur et le monopole ne tient pas sa promesse de prix bas.
En l’espèce, en quoi le quasi monopole de fait d’EDF dans l’électricité est-il un problème pour les consommateurs français ?
Le monopole se justifie sur la base de la théorie des rendements croissants. Plus les quantités produites augmentent plus le prix unitaire baisse. . Or, si nous prenons les deux exemples cités, pour la SNCF tout d’abord, quand elle est en situation de domination du marché, comme c’est le cas par exemple sur Paris-Marseille ou Paris-Londres, elle ne fait pas baisser les prix mais elle les augmente, elle ne tient pas sa promesse de rendements croissants et donc de prix décroissants.
S’agissant d’EDF, les Français ont payé la recherche atomique à travers le CEA. Les usagers d’EDF ont payé le coût de construction des centrales nucléaires dans les tarifs depuis une trentaine d’années. Leur dire aujourd’hui que l’électricité va augmenter de 4 à 5% par an n’est pas raisonnable. Il s’agit là encore d’un monopole qui à mon sens, ne tient pas ses promesses.
EDF justifie cette augmentation tarifaire par les coûts de maintenance et de renouvellement du parc nucléaire français?
Mais tout cela doit être provisionné ! Si cela n’a pas été le cas, il y a pour le moins une défaillance en matière de gestion. Quand on investit dans une machine, on passe chaque année des dépréciations dans le bilan, et on provisionne ce qu’il faut pour la renouveler. S’ils n’ont pas fait le minimum dans ce sens chez EDF, il y a un vrai défaut de gestion.
La vérité est sans doute ailleurs. Les sommes qui devaient être provisionnées ont été investies ailleurs sur les marchés, plusieurs milliards d’euros ont été perdus. C’est donc l’argent qui manque aujourd’hui, que l’on va ponctionner une seconde fois au consommateur.
Pourquoi si peu de personnes dénoncent cet état de fait ?
Des rapports ont été rédigés dans ce sens, mais c’est plutôt un travail d’économiste qui a été mené jusqu’à présent. Je l’ai écrit, je le dit régulièrement mais à chaque fois que je propose d’en débattre avec un dirigeant d’EDF, il prend ses jambes à son cou ! Il y a en France des sujets tabous comme celui des grands monopoles d’Etat.
Comment expliquez-vous ce manque de transparence ?
Il existe plusieurs éléments de réponse. L’Etat n’a pas encore tout à fait choisi entre ses intérêts patrimoniaux, après tout il est propriétaire d’EDF à 85%, et les exigences du pouvoir d’achat des consommateurs. Comme tout actionnaire de référence, il a tendance à préférer les intérêts de son entreprise à ceux des consommateurs.
Mais l’Etat est aussi garant de l’intérêt général, et notre président actuel a été élu sur ses promesses de défense du pouvoir d’achat. On voit bien , qu’entre ses deux impératifs, l’arbitrage est actuellement plutôt favorable à l’entreprise et pas au consommateur. De très nombreuses dépenses ont une origine publique, les dépenses contraintes augmentent beaucoup plus vite que le rythme de l’inflation et quand je dis beaucoup plus vite, je veux dire deux ou trois fois plus vite.
Un certain nombre d’économistes disent alors à l’Etat, « vous prétendez vouloir défendre l’intérêt des consommateurs alors commencez par donner l’exemple ! » Notamment de la modération des tarifs.
Même perfectible, l’ouverture du marché de l’énergie est une avancée positive pour casser le monopole d’EDF que vous dénoncez?
Je pense que le marché doit être ouvert dans des conditions plus sincères. La loi qui nous est proposée aujourd’hui (loi NOME, NDLR) comporte un prix de gros qui continuera d’être supérieur au prix de détail. EDF va vendre le kilowattheure 42 euros là où il est revendu 34 au prix régulé. Aujourd’hui si des concurrents vendent de l’électricité à un prix supérieur au tarif régulé, il est évident qu’ils n’auront pas de clients.
Rendre la concurrence possible dans ce domaine, consisterait à suivre les recommandations de la CRE (Commission de Régulation de l’Energie, NDLR) qui estime que le coût de production réel du kilowattheure est de 30.9 euros et non pas de 42 euros comme le prétend EDF. Second point, il faudrait également autoriser des investisseurs privés à investir dans des tranches nucléaires. Est-ce que c’est encore une activité régulée ? Et si c’est une activité régulée, un investisseur privé ne pourrait-il pas sous contrôle, présenter toutes les garanties d’un investisseur public ?
Quelle est votre position dans le débat qui anime aujourd’hui le secteur du nucléaire ?
Je crois que c’est une erreur de conforter EDF, qui n’a pas vocation à être le chef de file du nucléaire en France. Mon argument est simple : aujourd’hui les grands marchés vers lesquels on peut exporter du nucléaire sont des marchés matures dans lesquels il existe déjà un grand électricien. Et donc, si cet électricien voir arriver une entreprise qui a dans son tour de table un électricien, il aura alors tendance à considérer qu’il existe un conflit d’intérêts.
Vous êtes donc totalement opposé au rapport Roussely ?
Je considère qu’il s’agit là d’une erreur stratégique profonde. Ce ne sera malheureusement pas la première connerie que l’on fera dans le domaine industriel !
Vous avez récemment critiqué le projet de loi NOME et plus particulièrement son article 14. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ?
Cet article vise à étendre à l’ensemble du secteur, un avantage qui bénéficiait pour le moment à EDF, et que les nouveaux entrants ne demandaient d’ailleurs pas. A l’heure où on évoque une République d’égalité, on se trouve face à des salariés qui bénéficient de régimes d’exception comme une protection sociale très avantageuse pour un cout très modeste. Les régimes spéciaux sont payés par la collectivité. On a mesuré ce que cela coûtait : 1,3 milliard d’euros à la collectivité.
Vous connaissez le principe ? L’assiette de calcul des cotisations sociales des salariés de ces entreprises est trop étroite. Il existe alors un manque à gagner par rapport à la prestation qui est versée et c’est alors le régime général qui en fait les frais. En économie, on sait que le gratuit n’existe pas et ce qui n’est pas payé par les uns, l’est par les autres?
Dans ce domaine aujourd’hui, les avantages dont bénéficient les salariés électriques et gaziers sont financés par tous les autres. Est-ce que cela est acceptable au moment où l’on nous dit qu’il faut une République irréprochable et que chacun doit contribuer à la hauteur de ses moyens à la solidarité nationale ? Je n’en suis pas sûr.
Pourquoi cette inégalité sociale est-elle si peu dénoncée ?
Parce que cela est un sujet tabou. Les avantages ou privilèges de certaines catégories de personnels, le plus souvent dans des entreprises nationales, sont généralement liés à l’économie de la reconstruction après la seconde guerre mondiale. Ce sont des entreprises très syndicalisées et la paix sociale relative dans ces entreprises s’est construite autour du maintien de ces privilèges. Il existe une sorte de Yalta syndical ou social qui impose une chape de plomb sur certains sujets comme celui-ci.
Que pensez-vous d’Henri Proglio, le nouveau président d’EDF ?
Il remplit bien sa mission en tous cas ! Il obtient satisfaction dans chacun de ses arbitrages et on peut donc considérer qu’il est efficace. Désigner EDF au capitanat de l’équipe de France nucléaire est-elle une bonne mesure ? Si à l’échelon politique, on considère que la présence d’EDF ne sera pas gênante sur les marchés internationaux, et bien c’est à l’échelon politique que l’on demandera des comptes le moment venu.
Pour conclure, quelles décisions doit-on prendre pour mettre un terme au « scandale EDF » ?
Je crois que la décision serait d’organiser des conditions sincères de concurrence sans barrières d’entrée, qui sont aujourd’hui juridiques techniques et commerciales. Et sur ce point, autant dire que la France est un vieux pays !
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