Par la CLCV, association de consommateurs qui défend le respect et le renforcement du principe du droit à l’eau, qu’il considère malmené en France. La question du droit à l’eau et les projets concernant l’accès social à ce service essentiel sont à nouveau d’actualité et la CLCV, qui porte ces questions depuis des dizaines d’années, s’en réjouit.
Rappelons que le droit à l’eau est affirmé clairement dans l’article premier de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006 : « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accéder à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ». Il y a aujourd’hui un consensus sur le fait que le droit à l’eau n’est pas effectif.
Réfléchir aux moyens de mieux mettre en ?uvre ce droit essentiel, c’est aussi examiner pourquoi il ne l’est pas totalement. Il ne suffit pas de s’en tenir au prix moyen de l’eau comparé aux revenus moyens. L’accès à l’eau est une question de solidarité qui relève de choix politiques et économiques.
1- Les obstacles au droit à l’eau doivent être levés
? L’accès au réseau d’eau potable : de plus en plus de personnes n’ont pas accès à l’eau du robinet, qu’ils soient SDF, mal logés, non raccordés ou pas encore raccordés, etc. Pour ces personnes, les débats en cours sont un non-évènement.
? Le prix de l’eau : pour les foyers les plus modestes ou les personnes seules, le coût de l’eau est trop élevé dans leur budget. A cela, plusieurs raisons : il y a en premier lieu les revenus insuffisants des abonnés. En second lieu, nous constatons depuis des années que les structures tarifaires peuvent être des obstacles directs à l’accès à l’eau et à l’assainissement. Enfin, la dégradation continue de la qualité des ressources en eau et le traitement de plus en plus complexe des eaux usées sont une cause essentielle de l’augmentation des factures.
Ainsi :
– la partie fixe de la facture (abonnement), qui n’est qu’une possibilité, est devenue majoritairement la règle ; or cette part fixe, selon nos enquêtes, peut encore atteindre jusqu’à plus de 280? par an, avec une moyenne de 85 ?! (avant l’interdiction des dépôts de garantie et avances sur consommation cela pouvait aller jusqu’à 450?) ;
– le coût d’ouverture ou de fermeture d’un compteur d’eau peut aller jusqu’à 250? (avec une moyenne proche de 50?). Par ailleurs, les conditions et les tarifs de raccordement au réseau sont souvent opaques et d’un montant excessif. Des « frais de dossier de création d’abonné » se rajoutent pouvant aller jusqu’à 150? ;
– la facture des particuliers finance des actions d’intérêt général comme le traitement des eaux pluviales, la protection des ressources, les réseaux incendie, la totalité de l’investissement de l’assainissement, etc. ;
– la fréquence inutilement rapprochée (en moyenne 4 ans) des contrôles d’installations d’assainissement non collectif, et l’interprétation extensible de la règlementation entraînent des montants de redevance excessifs et des travaux inutiles, au regard des exigences sanitaires et environnementales ;
– la modification du réseau public en zone rurale et périurbaine : de plus en plus, lors de la modernisation des réseaux de distribution, le compteur de l’abonné initialement situé dans l’habitation, est déplacé en limite de propriété. Cela entraîne une rétrocession de fait de la partie du réseau, jusqu’alors public, situé sur le domaine privé, sans que ce tronçon soit remis en état par le service. Des litiges apparaissent désormais en raison de la vétusté de cette partie de réseau désormais privée, entraînant fuites et surconsommation, pour des sommes importantes, et que les services ne veulent pas prendre en compte.
2- Le droit à l’eau et à l’assainissement doit être garanti par plusieurs principes
Pour la CLCV, il ne peut y avoir de réflexion sur l’accès social à l’eau sans qu’en préalable soient réaffirmés un certain nombre de principes :
– L’accès à l’eau doit être effectif pour tous : les communes devraient être tenues de mettre à disposition du grand public des fontaines d’eau potable gratuite ;
– Le coût de la gestion de l’eau doit être transparent : avant d’aborder la question du prix, il convient d’aborder celle du coût. Quelle est la réalité économique du coût de chaque opération, du captage à l’assainissement des eaux usées ? A cette transparence s’ajoute la nécessité de simplifier et rationaliser l’organisation des services publics de l’eau et de l’assainissement en trouvant pour chaque bassin de vie l’échelle la plus pertinente ;
– Le recouvrement des coûts doit être équitable : la contribution de chacun à l’intérêt collectif doit être proportionnelle à la responsabilité effective en matière de pollution et de consommation déraisonnable (particuliers, entreprises, agriculteurs, ?) ;
– La partie du réseau de distribution mis à la charge de l’abonné lors du déplacement du compteur en limite de propriété doit être modernisée avant son changement de statut.
Afin que ces principes soient mis en ?uvre, la CLCV demande que :
– tous les règlements de service soient modifiés pour intégrer l’article premier de la loi LEMA et affirmer ainsi le droit à l’eau ;
– les Commissions consultatives des services publics locaux (CCSPL) soient consultées sur les modifications tarifaires qui permettront au plus grand nombre d’accéder à l’eau (suppression des coûts d’ouverture et de fermeture des compteurs, de frais de dossier, limitation de l’abonnement à la location des compteurs, tarification progressive modulée en fonction de la composition des ménages, révision des règlements de service d’ANC en fonction de la nouvelle règlementation, etc.).
– soit menée une véritable politique de prévention des pollutions de la ressource en eau ; plus celle-ci est polluée, plus son traitement coûte cher?
– les produits les plus nocifs qui renchérissent le coût de traitement des eaux usées soient progressivement retirés.
Les services publics de l’eau et de l’assainissement ont toute latitude pour déterminer leur structure tarifaire. Il dépend de leur volonté politique d’engager une véritable concertation avec les représentants des consommateurs et usagers, pour rendre le droit à l’eau effectif. Le cadre juridique actuel permet tout cela, et des exemples existent.
La mise en ?uvre de ces mesures réduirait d’ores et déjà significativement le nombre de ménages qui ont des difficultés pour payer l’eau.
Sur un certain nombre de points, de nouvelles modifications législatives sont nécessaires. Il en va ainsi de la priorité à la prévention, de la protection des ressources, de la réduction des polluants dans les eaux usées, ou encore des sources de financements pour le traitement des eaux pluviales et les investissements pour l’assainissement. La CLCV demande qu’une large concertation s’engage sans tarder sur ces enjeux essentiels.
3- Un nouveau mécanisme d’accès social à l’eau doit être mis en ?uvre
La première des choses à faire, au titre de mesure préventive, est de mettre en ?uvre les propositions présentées ci-dessus.
Au-delà de cette action de fond, nous approuvons le principe de mesures spécifiques en deux volets : préventif et curatif, en portant la priorité sur le volet préventif.
Nous prenons en considération les données internationales communément admises qui fixent à un maximum de 3% de leur budget le coût de l’eau et de l’assainissement pour les ménages.
Pour aboutir aux compromis acceptables pour les consommateurs, nous faisons trois propositions.
? Clarifier un certain nombre de points
Les informations qui circulent sur les difficultés d’accès à l’eau paraissent incomplètes, imprécises quand ce n’est pas partiales. Ainsi la CLCV demande que soient mises en commun les informations fiables dont peuvent disposer les différents acteurs concernés, notamment sur :
– la nature des impayés de factures d’eau : catégories d’abonnés, montant moyen des arriérés, fourchette des sommes dues par catégorie, origine des impayés (raison économique, dysfonctionnements et fuites sur les réseaux après compteur individuel ou collectif?.) ;
– une estimation des dettes de charges locatives ou de copropriété lorsque les résidents ne sont pas abonnés directement au service et la part de ces impayés que l’eau représente;
– le nombre de dossiers traités et les sommes en cause dans le cadre du dispositif actuel de solidarité eau, et le coût de gestion de ces dossiers ;
– le nombre et le montant des abandons de créance décidés par les délégataires ou gestionnaires de services publics d’eau et d’assainissement, ou des aides octroyées encore par les Bureaux d’Aide Sociale des communes ou certaines CAF.
? Le volet préventif de l’accès social
La CLCV travaille sur cette question en faisant une approche globale de l’accès à l’ensemble des services essentiels garantie à tous sans discrimination ni marquage social, dans le cadre du droit commun. Elle a remis pour cela, avec l’association ATD Quart monde, un rapport au secrétariat d’Etat à l’écologie en février 2010, intitulé « Transformation des modes de vie, des comportements et de la consommation » dans le cadre de la préparation du pacte de solidarité écologique (téléchargeable sur www.clcv.org ou le site du Meeddm).
Elle considère en effet qu’il est préférable de mettre en place un dispositif préventif d’aide au paiement de la facture d’eau, dans le cadre d’un dispositif global de solvabilisation des ménages, qui s’appliquerait aux services essentiels (eau, électricité, gaz, téléphone, internet, assurance multirisque habitation obligatoire, redevances déchets ménagers?).
Ce mécanisme prendrait en considération les charges incompressibles du budget des ménages. On sortirait ainsi d’une logique de gestion service par service, ce qui simplifierait les démarches et permettrait de réaliser des économies d’échelle. Concrètement, à partir de moment où le total loyer ou remboursement d’emprunt pour l’accession+ accès aux services essentiels dépasse un certain seuil des revenus qu’elle estime à 30% du budget, une revalorisation des aides au logement prendrait ce dépassement en charge. Il convient pour cela de revoir la détermination de que l’on appelle le « forfait charges » dans la formule calcul des aides au logement (locatif et accession).
Enfin, il faut souligner que les ménages concernés subissent généralement un cumul d’inégalités (sociales, économiques, culturelles, environnementales) qui se concentrent souvent aux mêmes endroits. Ainsi, on peut constater que leur logement est souvent vétuste (problèmes d’isolation, fuites d’eau, équipements ménagers les moins performants, ?). Il est important d’agir sur les causes des problèmes plutôt que sur leurs conséquences. Dans le domaine de l’eau et de l’assainissement, le budget des Agences devrait aussi être sollicité par les collectivités pour financer les modernisations nécessaires, ce qui serait un juste retour de la contribution des ménages au budget des Agences.
En ce qui concerne l’eau et l’assainissement
Sans attendre que cette approche globale soit largement partagée au point d’aboutir aux modifications législatives nécessaires, la CLCV s’associe à l’idée d’une allocation spécifique eau + assainissement, versée par les Caisses d’allocation familiale, MSA ou CNV, aux ayant droits des allocations logement, dès lors que le coût de l’eau et de l’assainissement dépasse 3% du budget du ménage, sur la base des prix réels de chaque service et non d’une moyenne.
? Le volet curatif de l’accès social
Si l’ensemble des mesures préventives sont prises (conditions d’accès au service et structures tarifaires, modernisation des réseaux et équipements, allocation spécifique de solvabilisation), compte tenu du nombre somme toute réduit des impayés d’eau et d’assainissement, les situations d’impayés restantes doivent être marginales et le volet curatif correspondra alors à des interventions d’exception.
Il n’est pas certain qu’il soit judicieux pour cela de mettre en place un système d’aide lourd et coûteux. La CLCV demande que soit étudié la possibilité de traiter ces dossiers au plus près de personnes concernées et en direct, c’est-à-dire au niveau de chaque service ? comme cela s’est fait d’ailleurs pendant des années.
4- Le financement du dispositif
L’accès social à l’eau et à l’assainissement relève du droit commun et non de droits conditionnels, et doit être financé par la solidarité nationale (au sens large du terme) et non par la facture des abonnés. La CLCV n’acceptera pas que tout ou partie du prélèvement envisagé sur le budget des services soit répercuté sur les factures.
Le budget correspondant à la « part des charges » dans le calcul des aides au logement pourrait être abondé par le redéploiement des aides curatives actuelles et les économies de gestion engendrées, et en tant que de besoin, par les services publics locaux d’eau et d’assainissement ainsi que par un prélèvement sur les résultats des entreprises délégataires de missions de services publics.
Pour information, la CLCV fait la même proposition dans le cadre de son approche globale, pour les services d’énergie, de déchets ménagers, ainsi qu’une contribution des fournisseurs d’accès aux télécommunications et au multimédia, et des assureurs proposant des contrats multirisques habitation.
Elle est d’accord pour que ces financements soient versés au fonds national d’aide au logement (FNAL) chargé de financer l’aide personnalisée au logement pour ce qui concerne la partie allocation préventive.
En ce qui concerne le volet curatif, elle estime que la faible part que représenteraient les impayés résiduels, pourrait être prise en charge directement par chaque service. De nombreuses études montrent les marges de progrès encore possibles en matière de réduction des coûts de gestion pour que cela permette largement d’assumer cette charge.
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