Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest, est l’auteur de « Mediator 150 mg, sous-titre censuré » aux éditions Dialogues. Dénonçant dans ce livre les dégâts de ce médicament sur des milliers de victimes qui s’ignorent encore, le médecin breton évoque une véritable bombe sanitaire à retardement, dont l’Afssaps, grâce à deux études réalisées par la Cnam, l’une portant sur le risque de contracter une valvulopathie, l’autre sur la mortalité due à ces valvulopathies, semble enfin prendre la mesure.
A quelle pathologie était destiné le Mediator, médicament au c?ur de votre livre ?
C’est officiellement un antidiabétique et officieusement un coupe-faim. Il a été commercialisé il y a 33 ans comme adjuvant dans le cadre d’un traitement contre le diabète et pour les personnes ayant trop de triglycérides dans le sang et en surpoids. Ce n’est donc pas un traitement majeur. Mais il a massivement été utilisé comme coupe-faim chez des personnes non diabétiques.
Il a donc été mis sur le marché en 1976 et interdit en 2009, c’est pour cela qu’il a fait autant de dégâts ! Plus de deux millions de personnes ont consommé du Mediator.
Pourquoi a-t-il été retiré du marché en 2009 ?
La preuve scientifique a alors été apportée que ce médicament expose à un risque assez rare mais pas si exceptionnel, de l’ordre de 0,5/1000 personnes en ayant consommé, de destruction des valves du c?ur, provoquant une insuffisance valvulaire souvent multiple. En 1997, l’Isoméride, un proche cousin du Mediator, commercialisé par le même laboratoire Servier, a été retiré du marché parce qu’il pouvait détruire les valves du c?ur. Une fois absorbé, on a constaté que l’Isoméride se transformait en une sorte de petit « poison », la norfenfluramine, qui détruit petit à petit les valves cardiaques.
Or, lors de son absorption, le Mediator se transforme en ce même « poison ». Ce n’est donc pas tout à fait la même molécule mais c’est toutefois la même famille, et, que l’on consomme l’un ou l’autre, on est sans doute exposé de la même façon à un risque cardiaque. Or, l’Isoméride a été interdit en 1997 et le Médiator seulement en 2009. Aujourd’hui je n’en comprends toujours pas la raison.
Un rapprochement avait été fait puisqu’il existe des comptes-rendus de commissions de l’Afssaps datant de 1998 qui mentionnent le risque lié à la présence de norfenfluramine, après absorption de Mediator. L’Afssaps a alors décidé de surveiller ce risque, mais sans prévenir personne, ni les prescripteurs, ni les consommateurs. De plus, des valvulopathies ont été régulièrement notifiées à l’Afssaps à partir de 1999. Les médecins n’ont donc pourtant reçu aucune recommandation au sujet du Mediator jusqu’à son interdiction en 2009.
Cette affaire semble suivre le même processus qu’avec l’Avandia, lui aussi remis en cause actuellement en raison de risques cardiaques ?
Effectivement, il semble que l’on retrouve certains problèmes proches de transparence et d’expertise. Je ne connais pas bien le dossier de l’Avandia et ne m’avancerai pas plus loin sur ce sujet. Avec l’Avandia, la discussion semble un peu plus compliquée parce qu’il offre certains avantages, alors que le Mediator ne sert pratiquement à rien, c’est un mauvais médicament qui, de surcroit, a le plus souvent été utilisé à mauvais escient.
Cela parait surréaliste?
Mais ça l’est ! J’ai vraiment l’impression de vivre une histoire de fou. Quand le médicament a été retiré en novembre 2009, 300 000 personnes en prenaient encore tous les jours et aucune d’entre-elles n’a été informée des raisons de ce retrait. Il existe bien un lien sur le site de l’Afssaps destiné aux patients, mais d’accès difficile, et je n’ai pas rencontré grand monde ayant pensé à consulter ce lien. Les personnes touchées sont souvent de milieux défavorisés, connaissant mal l’outil d’internet.
A Brest, nous avons régulièrement des personnes qui viennent consulter pour des problèmes d’essoufflement et d’insuffisance cardiaque grave et chez qui on découvre des anomalies des valves du c?ur. Ces personnes qui ont consommé du Mediator n’avaient jamais fait le rapprochement entre les deux, encore maintenant.
Le problème, c’est que lorsqu’on constate des dégâts sur les valves, même si le médicament est arrêté, une insuffisance cardiaque peut se développer. Il n’y aura pas d’apparition de nouvelles valvulopathies, mais il en existe encore qui trainent et qui s’ignorent.
Comment se fait-il que personne d’autre n’ait évoqué ce problème avant 2009 ?
D’une part parce qu’il n’y a eu aucune information avant 2009, ni de la part de l’Afssaps, ni du laboratoire, sur la nature de cette molécule. Lorsque quelqu’un consulte pour un problème aux valves du c?ur, sans information, on ne fait pas le rapprochement avec une substance qui n’est même pas un traitement mais un adjuvant, que la personne consomme parfois depuis plus de 10 ans.
La revue « Prescrire », une revue médicale indépendante de tous les laboratoires et des pouvoirs publics et destinée principalement aux généralistes, avait évoqué le problème depuis l’arrêt de l’Isoméride. Elle évoquait très régulièrement le rapprochement avec le Mediator et se faisait alors tancer par l’Afssaps.
Par ailleurs, les petits curieux qui voulaient en savoir plus sur le Mediator, parce qu’ils avaient entendu parler d’un problème, appelaient le laboratoire qui commercialise ce médicament pour obtenir des informations. Or les réponses du laboratoire auxquelles j’ai eu accès étaient que ce médicament n’a aucune relation avec l’Isoméride.
Pourquoi cette affaire a-t-elle ressurgi dans l’actualité ?
Si la question est à nouveau posée, et si la Cnam s’en mêle, c’est grâce à l’extraordinaire énergie déployée par le député PS de Toulouse, Gérard Bapt, qui est cardiologue et qui a lu mon livre. Il a reposé la question censurée « Combien de morts ? » dans une tribune parue fin Août sur le site du journal Le Monde et donné une fourchette avancée dans une thèse universitaire de 500 à 1000 morts. Je faisais partie du jury de cette thèse dirigée par le Professeur Grégoire Le Gal. J’ai la chance de voir ma parole relayée par un parlementaire, et c’est très important parce que sinon le dossier n’aurait toujours pas avancé.
Une de mes préoccupations est de dépister les personnes souffrant de ce type de valvulopathie (insuffisance valvulaire qu’elle soit aortique, mitrale et/ou tricuspide) et qui l’ignorent encore. J’ai publié ce livre pour mettre entre les mains des victimes du Mediator, l’ensemble de la chronologie, des documents et des faits, afin de leur permettre de demander reconnaissance de leur handicap et indemnisation.
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