Bruno Cahen, directeur industriel à l’Andra (Agence nationale pour la Gestion des Déchets Radioactifs). Depuis la défection des 2 communes auboises en lice pour accueillir le futur centre de stockage des déchets FAVL (faible activité à vie longue), l’Etat a donné deux ans supplémentaires à l’Andra pour parvenir à définir un projet techniquement plus abouti et politiquement moins conflictuel.
Vous venez de présenter un projet d’entreposage des déchets FAVL et MAVL à Morvilliers, de quoi s’agit-il ?
Le projet à l’étude depuis plus de 5 ans comprend deux bâtiments d’une capacité globale de 4 500 m3. L’un d’entre-eux est un centre de transit destiné à remplacer celui existant en région parisienne et qui sera démantelé. Ce bâtiment doit pouvoir accueillir tout type de déchets, et notamment ceux issus des hôpitaux. L’autre unité d’entreposage en attente de stockage, devra pouvoir accueillir des déchets à vie longue.
Ce projet s’accélère aujourd’hui par la volonté du gouvernement qui a demandé à l’Andra de concevoir et de mettre en service une solution de remplacement des sites actuels d’entreposage et de stockage des déchets hors industrie nucléaire, qu’on appelle « petits producteurs », avant la fin 2012.
Justement, s’agissant des déchets FAVL, où en êtes-vous dans l’épineux projet de centre de stockage ?
Pour rappel, ce projet de stockage des déchets d’origine principalement électro-nucléaire vise une capacité d’environ 200 000 m3. Pour l’heure, ces déchets sont entreposés chez EDF, CEA, Areva, et Rhodia, et ces entrepôts peuvent durer jusqu’à l’ouverture du stockage.
Après l’appel à candidatures, 2 sites avaient été retenus mais avant même la poursuite des travaux d’investigation géologique, les 2 communes retenues ont retiré leur candidature. Cet échec, nous a montré que nous étions perfectibles sur l’accompagnement préalable, auprès des populations. On a bien compris le message et on y travaille.
« Il faut qu’on retravaille »
Comment avez-vous analysé les raisons de cet échec, un manque de débat, de transparence ?
Les raisons sont toujours complexes et multiples mais la raison principale, c’est la forte pression subie à titre personnel par les élus de la part des opposants à ce projet. Sur ce dossier, l’Andra avait pourtant accordé un maximum de temps au débat, en présentant notamment le projet lors de nombreuses réunions publiques.
Les gens sur place avaient bien compris deux choses. Tout d’abord, ils ont conscience qu’un stockage radioactif n’est pas anodin. Mais c’est maintenant bien maîtrisé. Après il y a des gens pour et des gens contre. Mais la question posée était aussi de savoir quelles activités et quels emplois peut générer ce site ? C’est sur cet aspect projet de territoire qu’il faut qu’on retravaille.
Le vrai problème sur ce dossier, c’est que les politiques étaient d’accord, mais que les riverains n’en voulaient pas ?
C’est le problème rencontré par tout projet de gestion des déchets, qu’ils soient radioactifs ou conventionnels avec les décharges ou les incinérateurs. La question n’est pas de savoir s’il y a une opposition. C’est normal qu’il y ait une opposition. A la limite, c’est le contraire qui serait inquiétant. Après le temps du débat, la question est de savoir si on respecte la volonté des élus en charge de décider de l’usage des sols, de la politique de gestion des déchets.
Mais la question n’est-elle pas aussi celle du manque de courage politique des élus locaux comme nationaux ?
Après le retrait de ces candidatures, l’Etat nous a dit de reprendre le temps de la concertation, pendant deux ans. Pendant cette période, l’Etat demande aux producteurs de déchets et à l’Andra de se pencher sur les moyens de réduire le volume des déchets, et d’optimiser leur stockage et leur traitement en termes de conception.
En revanche, l’Etat nous a demandé de ne plus travailler sur la localisation du stockage, sachant que nous avons toujours 30 sites candidats. La question de la localisation se reposera ensuite.
Comment jugez-vous la vive polémique suscitée par le récent transport de déchets radioactifs vers l’Allemagne ?
L’Andra n’est pas directement concernée. Ce n’est pas le premier transport de ce type, et à chaque fois, il y a une forte mobilisation des anti-nucléaires. Les déchets repartis en Allemagne étaient issus du retraitement de combustibles usés et sont destinés à un stockage profond. Ce sont les mêmes types de déchets français, qui seront transportés vers notre futur centre de stockage réversible profond (déchets de haute activité et à vie longue, HA et MAVL).
Serez-vous capable de faire face au démantèlement annoncé des vieilles centrales nucléaires françaises ?
C’est très étalé dans le temps. Il existe 3 familles de déchets nucléaires : les déchets d’exploitation et de maintenance, les déchets de démantèlement, et les déchets de combustible. Nous accueillons déjà au quotidien, dans notre centre de Morvilliers, des déchets de démantèlement des plus anciennes installations de production de plutonium notamment.
Globalement, nous avons encore du temps devant nous. Mais il y existe aujourd’hui un défi à relever avec les producteurs. Il s’agit de réduire au maximum le volume des déchets produits. Il y a pour cela deux pistes.
Premièrement, au moment du démantèlement, il faut séparer au maximum les éléments radioactifs des autres éléments qui pourront être stockés normalement, comme n’importe quel autre déchet industriel ordinaire, ce qui permettra de réduire le volume à stocker. Deuxième piste, essayer de recycler dans le nucléaire certains matériaux, comme la ferraille, qu’on peut compacter, fondre et réutiliser dans certains cas pour des éléments de nos stockages ou d’installations nucléaires.
Moins de 2% de la facture d’électricité
On évoque peu la question du coût des déchets radioactifs dans l’énergie nucléaire, à quelle hauteur se monte cette facture, et qui paye, EDF, le contribuable ?
A l’Andra, nous avons déjà réduit les coûts et nous continuons de les réduire même si bien sûr les coûts proportionnels augmentent. De notre côté, nous connaissons le volume de déchets reçus et le chiffre d’affaires correspondant. Pour la partie stockage de l’électro-nucléaire, c’est en gros 50 millions d’euros par an.
S’agissant des déchets hors nucléaire, qui sont directement et intégralement gérés par l’Andra, la facture globale est d’environ 4 millions d’euros par an. En tout, le budget de l’Andra est de 110 à 120 millions d’euros.
Globalement, qui paye la facture des déchets nucléaires ?
EDF règle de 70 à 80% de cette facture globale. Tout compris, en intégrant ce que font EDF et Areva de leur côté, les déchets électro-nucléaires représentent moins de 2% de la facture d’électricité et de l’ordre de 0,1 centime d’euro le kilowattheure.
Bruxelles vient de présenter début novembre un projet de directive imposant à l’avenir la construction de dépôts de déchets radioactifs d’au moins 300 m de profondeur, qu’en pense l’Andra ?
C’est intéressant et cela fait suite à une réflexion européenne menée depuis plusieurs années à ce sujet, associant les autorités de sûreté dont l’ASN en France, les exploitants nucléaires, dont l’Andra. Ce projet concerne les centres géologiques profonds des déchets de haute et moyenne activité à vie longue, mais pas nos installations industrielles actuellement en service dans l’Aube.
L’UE recense 15 pays disposant de centrales nucléaires, existe-t-il des centres de stockage définitif en Europe ?
Actuellement, il n’existe pas dans le monde de centre de stockage définitif de déchets radioactifs à vie longue de haute et moyenne activité.
Pourquoi ?
Tout d’abord, il n’y a pas d’urgence. Ces déchets doivent refroidir avant d’être stockés et doivent être entreposés avant. En France par exemple, on devra attendre 50 ans avant de stocker les déchets les plus radioactifs issus des centrales actuellement en activité. Cela ne concerne évidemment pas les déchets historiques qui peuvent d’ores et déjà être stockés.
Ensuite, il s’agit d’un stockage très complexe, nécessitant beaucoup de recherches, très encadré politiquement et suivi par les populations. Donc, il faut du temps pour les recherches et le débat et cela se compte en décennies. La France a débuté ses recherches avec la loi de 1991, il y a donc 20 ans et le stockage devrait être opérationnel en 2025.
L’Andra vient de lancer il y a quelques jours un site pédagogique, pourquoi cette initiative ?
L’une des missions de l’Andra est d’informer le public sur la radioactivité, les déchets et leur gestion. Nous avons constaté que l’information des populations, enfants, étudiants ou adultes en la matière est très faible. L’idée de ce site pédagogique (http://dechets-radioactifs.com/) est de repartir de zéro, en répondant à des questions simples sur la radioactivité, du type qu’est-ce que c’est ? quand l’a-t-on découverte ? Quels sont ses dangers, mais aussi quels sont ses bénéfices et ses usages ?
A l’origine, la radioactivité est naturelle, l’homme ne la fabrique pas mais il peut la transformer ou l’utiliser à son profit en matière médicale, comme la radio ou le scanner, pour la recherche en scrutant la matière, pour lutter contre le terrorisme, et bien sûr l’énergie. Si ces activités sont plus ou moins connues, les gens oublient souvent qu’elles produisent des déchets.
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