Marc Fellous, Professeur Emerit de Génétique à l’Université Paris 7, ancien responsable de l’Unité d’immunogénétique humaine à l’Institut Pasteur, et des unités INSERM U527 à l’Institut Cochin. Il a été président de la Commission du génie biomoléculaire chargé de l’étude des risques liés aux OGM par les ministères de l’agriculture et de l’environnement. Marc Fellous vient d’être assigné en justice le 23 novembre dernier par Gilles-Eric Séralini, professeur de biologie moléculaire et militant actif contre les OGM, pour diffamation liée à une lettre adressée à France 5 qui souhaitait dénoncer l’absence de débat scientifique.
Vous êtes actuellement en procès avec Gilles Eric Seralini qui vous attaque en diffamation. Cette action a mobilisé beaucoup de militants anti-OGM contre vous, pourquoi concentrez-vous une telle opposition ?
L’affaire est à replacer dans un contexte très spécial. La rumeur lancée par les anti-OGM est une rumeur de peur. Elle dit que les OGM sont dangereux et qu’il faut absolument combattre ce type de biotechnologie. Selon moi, une telle pratique a deux conséquences majeures.
En tant que citoyen, j’estime que les messages de peur doivent être fondés sur des bases scientifiques, afin de connaître toutes les raisons d’avoir peur et savoir si ces raisons sont étayées par des arguments scientifiques. Par ailleurs, en tant que chercheur, je constate qu’une telle rumeur contraint les scientifiques qui veulent travailler sur les biotechnologies à partir à l’étranger et notamment aux Etats-Unis. J’ai en tête l’exemple d’un chercheur qui après la destruction de son travail à Colmar, a du s’exiler en Californie pour poursuivre ses travaux. Idem pour un chercheur de Strasbourg qui a du lui aussi poursuivre ses recherches aux Etats-Unis.
Parallèlement, quand je rencontre des chercheurs de pays d’Afrique qui étaient en étroite collaboration avec la recherche française en matière de biotechnologies végétales, comme pour le Burkina Faso, ils me disent ne plus vouloir travailler avec nous et envoyer leurs étudiants en formation aux Etats-Unis, au Canada ou au Brésil. En tant que chercheur, cette situation m’inquiète car elle concerne un domaine où l’on disposait d’une grande avance et qui est en train de se désertifier.
Mais pourquoi cette mobilisation contre vous ?
En raison de ce contexte, j’ai trouvé que donner la parole uniquement à Gilles-Eric Séralini lors de cette émission sur France 5, une émission dédiée à la santé, connue, bonne et très sérieuse, n’était pas la bonne façon d’informer le public. Il serait plus judicieux que les deux parties s’expriment et que le public se forge ainsi une opinion. J’ai donc écrit une lettre à France 5 et au Conseil supérieur de l’audiovisuel dans laquelle je déplorai ce manque d’équilibre dans l’information.
J’ai alors employé des mots qui ont peut-être choqué Gilles-Eric Séralini, qui est un chercheur militant. Lorsque l’on regarde ses prises de position dans les journaux, il n’est pas infondé de dire qu’il est chercheur militant et ce n’est pas en soi une critique. Einstein était par exemple un grand chercheur militant.
J’ai également qualifié ces militants de marchands de peur : quand un chercheur comme Gilles-Eric Séralini diffuse un message en disant que les OGM sont dangereux, je pense que cela fait peur et les gens auront tendance à le croire. Toute la communauté scientifique française, des académies, des sciences, de l’agriculture, de médecine ou vétérinaire, ne sont pas du tout d’accord avec les dires et publications de Gilles-Eric Séralini.
Les articles ne confirment pas que les OGM sont dangereux, ils se contentent d’analyses statistiques et nous remettons en cause ses interprétations. Mr Séralini, dans ce contexte, ne s’est donc pas comporté comme un scientifique, avec des propos trop affirmatifs qui remettent en cause toutes les expériences publiées
Alors pourquoi selon vous, alors que l’on entend très souvent les anti-OGM dans les médias, ces derniers ne donnent-ils pas la parole aux scientifiques et aux chercheurs partisans comme vous de la recherche sur les biotechnologies ?
Je pense qu’il s’agit là du problème de l’information scientifique dans les médias. Les messages portés par les anti-OGM sont des informations chocs à sensation qui frappent les opinions. Quand on dit que c’est dangereux, cela fait peur et cela plait beaucoup aux médias. Si l’on affirme que ce n’est pas dangereux, pourquoi en parler puisqu’il n’y a rien de sensationnel ?
Ce qui est grave dans notre société, c’est que quand une rumeur est lancée, c’est impossible de revenir en arrière et cela produit un effet boule de neige. Il faudrait demander à des sociologues de la communication d’analyser cette question.
Vous êtes président de l’AFBV, l’association française des biotechnologies végétales, soupçonnée d’avoir des liens étroits avec l’industrie agro-semencière. Etes-vous un scientifique indépendant ?
Je suis docteur en médecine, je travaille dans les hôpitaux, ma spécialité est la fertilité chez l’homme et la femme, et je n’ai aucun lien avec l’industrie agronomique. J’ai eu par exemple il y a maintenant 20 ans, un brevet sur l’utilisation de l’interferon en cancérologie. Le vice-président de mon association, le professeur Georges Pelletier, dirige le grand centre de génomique des plantes, une structure républicaine financée avec le l’argent public.
Parmi nos 300 adhérents, une trentaine appartient en effet à l’industrie. Le reste est composé de chercheurs, de biologistes, de citoyens. Je trouve tout à fait normal qu’il y ait, dans ce type d’association de biotechnologies, des adhérents du public et du privé.
Pourquoi attaque-t-on le privé ? Selon moi, il faut que les deux secteurs public et privé interagissent. Aujourd’hui, avec les difficultés rencontrées par la recherche pour trouver des postes de chercheurs et d’ingénieurs, heureusement que le privé est là pour nos futurs étudiants. Dans ces domaines de recherche appliquée, de tels liens entre privé et public sont à l’inverse bien développés dans de nombreux pays Européens comme l’Angleterre, la Belgique ou l’Espagne.
Ce qui est important, ce n’est pas le mot indépendance, on est tous indirectement liés. Ce qui est primordial c’est la transparence, combien sont-ils et y a-t-il conflit d’intérêt. Et ces informations sont clairement publiées sur Internet, en toute transparence. Le lien public-privé est indispensable. A défaut, nous risquons de perdre beaucoup de notre image et notre compétitivité dans le monde.
S’agissant de transparence, c’est justement l’un des reproches que l’on fait à la recherche sur les OGM ?
Tout s’explique. La France connaît une situation inquiétante : les programmes de recherches dans les domaines des biotechnologiques végétales donc les OGM sont mis en veilleuses Les chercheurs ne s’engagent plus dans ce type de recherches, d’autant plus que leurs expériences sont le plus souvent détruites par les « faucheurs » comme par exemple les expériences sur les vignes de l’Inra à Colmar.
Comment voulez-vous que ces chercheurs soient motivés par ce type de recherche. Plus grave encore, les grandes compagnies privées Françaises comme Limagrain, Biogemma ne peuvent plus faire de la recherche en France, et vont la faire en Espagne ou en Argentine.
Nous n’avons pas encore besoin de certains OGM en France pour l’instant, mais nous avons besoin de développer des recherches en biotechnologies végétales. Ces biotechnologies végétales ne se limitent pas aux OGM. Cela concerne par exemple la sélection de nouvelles variétés végétales à l’aide de nouveaux marqueurs génétiques ou le séquençage de végétaux comme le blé et le maïs qui apporte beaucoup d’informations. Ces domaines sont malheureusement en pleine désertification en France.
Toutes ces questions scientifiques n’ont-elles pas pris aujourd’hui une tournure trop politique ?
Non, selon moi, elles ont pris une tournure scientifique. C’est un débat entre scientifiques, ceux qui disent que c’est très dangereux et ceux qui préfèrent comme moi peser leurs mots et attendre des données exactes pour vérifier dans quel cas cela peut être dangereux ou pas en appliquant le principe de précaution.
Des structures existent comme le CGB ou maintenant le HCB, qui émettent des expertises de haute qualité. Mais, apparemment, quand ces expertises scientifiques ne vont pas dans le sens des militants anti-OGM, ces derniers accusent les experts en question d’être de connivence avec les grands semenciers.
On ne se situe plus dans une logique de débat scientifique mais plutôt dans l’idéologie. Au lieu de m’attaquer, pourquoi Gilles-Eric Séralini n’organise-t-il pas un colloque avec des scientifiques pour débattre du sujet. Pourquoi amener le débat devant les juges ?
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