Bruno Chareyron, ingénieur responsable de la Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité réagit à la catastrophe nucléaire au Japon. La CRIIRAD dénonce « la sous-évaluation de la gravité des accidents survenus sur la centrale nucléaire de Fukushima Daiichi et le manque crucial d’information tant sur les quantités de radioactivité rejetées depuis vendredi que sur les niveaux de contamination de l’air » .
La situation a encore évolué cette nuit au Japon, peut-on affirmer aujourd’hui que la catastrophe n’est plus très loin ?
On est dans la catastrophe ! On enregistre aujourd’hui un niveau de radiation dans l’environnement de la centrale de Fukushima qui est 4 millions de fois supérieur au niveau naturel. On entre alors dans le domaine des fortes doses. Or, des gens sont encore sur place, on évoquait encore hier 300 à 400 personnes encore présentes dans la zone, dont les travailleurs de la centrale qui sont toujours dans les installations afin de limiter la casse.
On a atteint désormais des doses où les personnes vont avoir des séquelles. Et, dans d’autres groupes de populations plus éloignés, y compris maintenant à Tokyo puisque des radiations sont arrivés sur Tokyo, on va alors connaître un problème d’augmentation des risques de cancers à long terme.
Pouvez-nous nous rappeler quel phénomène a conduit à cette catastrophe ?
Pour mémoire, depuis le séisme de vendredi dernier, il y a eu une perte des capacités de refroidissement sur 6 ou 7 réacteurs nucléaires au Japon, dont 4 situés sur le même site à Fukushima et qui ont connu des incidents particulièrement graves. Il y a eu une fusion partielle du c?ur du réacteur nucléaire avec émission de radioactivité.
Dans un premier temps, cette émission de radioactivité était volontaire pour faire baisser la pression dans les cuves du réacteur. Mais, depuis hier, il y aurait une brèche dans l’enceinte de confinement d’un des réacteurs. Cela veut dire que les émissions de radiations sont encore plus importantes. On se situe donc maintenant dans une situation de perte de contrôle et d’émissions de radioactivité vraiment très importantes.
Cette brèche a été causée par l’explosion ?
C’est une suite de problématiques différentes qui a conduit à tout cela. Le séisme et le tsunami ont créé une situation d’incapacité à refroidir les réacteurs et donc les c?urs sont en surchauffe et dégagent de l’hydrogène explosif. Tous ces phénomènes mis bout à bout créent une situation qui devient difficilement maîtrisable.
Est-il encore possible de faire quelque chose ou la situation est-elle devenue totalement incontrôlable ?
La question est trop pointue vue d’ici. Il faudrait une compréhension extrêmement détaillée de ce qui se passe précisément, ce qui n’est pas le cas.
Le fait que le combustible utilisé dans la centrale de Fukushima soit du MOX aggrave-t-il la situation ?
Tout à fait. Le fait que sur une des centrales, Tepco précise qu’il s’agit de combustible MOX , c’est à dire un mélange d’uranium et de plutonium, aggrave effectivement la situation. Il faut savoir que le MOX est un combustible qui est plus chaud, qui est plus radioactif, et qui donc pose des difficultés particulières pour la sûreté. Et, en cas d’incident, il est susceptible de rejeter plus de radiations, plus de substances radioactifs, dont des taux de plutonium plus importants puisque ce combustible contient déjà au départ cette substance.
Des radiations ont été décelées ce matin à Tokyo, la ville ne serait donc plus à l’abri ?
La CRIIRAD l’avait indiqué dès lundi. L’évolution de la météo était plutôt inquiétante puisque les vents ont soufflé du nord vers le sud et donc les masses d’air contaminées se sont déplacées vers Tokyo. La situation pourrait peut-être évoluer dans le sens où le phénomène pourrait s’inverser avec une remontée vers le nord puis un déplacement vers le Pacifique. Il faut évidemment espéré que cela s’améliore.
Mais là, nous nous trouvons déjà dans uns situation où le niveau des rayonnements à Tokyo est nettement supérieur à la normale. Cela veut dire qu’il y a des particules radioactives dans l’air et qu’il existe un risque qu’elles se reposent au sol et se déposent sur la végétation, les champs, les végétaux, et donc sur les aliments.
D’autant plus qu’ils annoncent prochainement de la pluie?
Effectivement, s’il pleut, cela va accroître le dépôt des particules qui sont dans l’air sur le sol et donc accroître la contamination de la nourriture.
Cette catastrophe relance bien évidemment le débat autour du nucléaire en France. Une telle situation est-elle envisageable en France ?
Ce qu’il faut bien rappeler, c’est que les installations nucléaires françaises ne sont pas conçues pour résister à tous les types d’agression. Elles ne résisteraient pas par exemple à la chute volontaire d’un avion de ligne qui percuterait une centrale. Elles ne résisteraient pas non plus à des séismes d’intensité supérieure aux séismes pris en référence et majorés pour calculer la résistance de la centrale.
S’il est peu probable, un accident grave est évidemment possible, y compris sur une centrale française, et les autorités ne le nient pas. Elles préparent depuis plusieurs années des exercices de crise, des groupes de réflexion pour savoir comment gérer les conséquences d’un accident grave en France.
Au delà des risques naturels, il est donc très difficile de prendre en compte tous les risques liés par exemple à des actes de malveillance?
Que ce soit par rapport à des agressions naturelles, inondations, tremblements de terre? ou par rapport à des actes de malveillance, voire de terrorisme, il est évident que peuvent arriver des évènements graves qui conduisent à une catastrophe nucléaire en France.
Différents scénarios ont été préparés lors d’exercices ?
Chaque fois qu’en France il y a des exercices de crise, pourtant préparés à l’avance (les gens savent quand sera organisé l’exercice), le retour d’expérience de ces exercices montrent à chaque fois des difficultés concrètes qui n’ont pas été anticipées. Pour prendre un exemple, un exercice a été organisé il y a quelques semaines sur une installation de fabrication de combustible nucléaire dans la Drome, à Roman, et dans un rayon de 150 m, certaines personnes n’ont pas entendu la sirène !
On sait très bien qu’en cas de catastrophe, il faudrait évacuer des dizaines de milliers de personnes et dans certaines zones particulièrement engorgées comme la vallée du Rhône par exemple, on sera confronté à de nombreux problèmes. Toutes les personnes qui travaillent sur ce type de questions savent très bien que si un jour on en arrive là en France, ce sera très difficile à gérer.
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