Fabrice Nicolino, journaliste auteur entre autres de « Pesticides, révélations sur un scandale français » (avec François Veillerette), « La faim, la bagnole, le blé et nous », « Bidoche, L’industrie de la viande menace le monde », l’écologiste militant publie aujourd’hui « Qui a tué l’écologie » (aux éditions Les Liens qui Libèrent), une sévère critique du bilan du mouvement écologiste et en particulier de la banque des quatre : le WWF, Greenpeace, France Nature Environnement et la Fondation Nicolas Hulot, dont il souligne les zones d’ombre et les contradictions.
Vous vous interrogez sur ceux qui ont tué l’écologie, mais qu’est-ce qui vous fait dire qu’elle est morte ?
L’idée était de faire un bilan de l?écologie, après environ quarante ans d’activité des grandes associations écologistes comme le WWF, Greenpeace, France Nature Environnement et plus récemment la Fondation Nicolas Hulot. Pendant cette période, la situation écologique de la planète s’est considérablement aggravée, menaçant aujourd’hui tous les éco-systèmes qui sont interconnectés. La crise des océans est liée avec celle du climat, qui elle-même à une résonance sur celle des sols arables, qui elle-même influe sur la famine dans le monde, et ainsi de suite.
Cette crise globale est inquiétante et même angoissante. Est-ce que le travail entamé par ces écologistes a été utile et de nature à trouver des solutions ? Chemin faisant, en me documentant sur ces grandes associations que j’appelle un peu durement la bande des quatre, je me suis rendu compte de choses terribles.
Je suis membre moi-même depuis 1987 de Bretagne Vivante, une association qui fait partie de France Nature Environnement. Je m’inclus donc également dans ce bilan. Il n’est pas question de m’exclure de ces critiques. Nous avons échoué à inverser le courant, tous autant que nous sommes.
Les associations écologistes ont joué un rôle terriblement néfaste, notamment au moment du Grenelle de l’environnement. Elles ont donné leur crédibilité et leur caution à une politique qui est restée globalement inchangée, en échange d’un peu de respectabilité. Ces associations ont accepté de faire croire que dans ce Grenelle on allait aborder les vraies questions.
La respectabilité de ces associations a-t-elle été conquise sur des renoncements ?
Oui bien sûr. Les associations ont vieilli, leurs responsables ont vieilli et sont devenus des notables. Beaucoup d’entre eux ont accepté la légion d’honneur, des postes qu’on leur a distribués. Cela n’est pas un crime, mais c’est un constat.
Rappelons-nous que Nicolas Sarkozy parlait du Grenelle de l’environnement comme d’une révolution écologique. Ces associations de la bande des quatre ont apporté leur caution à cette promesse, alors que ces mêmes associations avaient accepté dès le départ que la question du nucléaire soit exclue du Grenelle, ce qui est proprement incroyable. Au moment même ou le Grenelle s’engageait, Nicolas Sarkozy tentait, en véritable VRP du nucléaire, de vendre une centrale nucléaire à Khadafi, à qui on avait déplié le tapis rouge à Paris en décembre 2007.
Pas question également de parler des biocarburants. C’est pourtant un problème essentiel écologique, mais aussi moral. Dans de nombreux pays du Sud on détourne une partie très importante de la production de plantes alimentaires pour fabriquer des carburants destinés aux automobiles du Nord, dans un monde où environ 1,2 milliard de personnes souffrent de la faim. Les associations officielles de la bande des quatre ont accepté que cette question des biocarburants ne soit pas à l’ordre du jour du Grenelle.
Vous soulevez la question sensible de l’indépendance financière de ces associations…
Ce n’est pas un secret d’Etat, le budget de France Nature Environnement est financé par 65 à 70% d’argent public. Il n’y a là aucune indépendance, c’est même ridicule de penser autre chose. C’est d’ailleurs l’association la plus sage qui accepte étrangement le plus d’accommodements avec le gouvernement. Le lien est évident avec son mode de financement.
La Fondation Nicolas Hulot, c’est autre chose même si c’est très confus. Nicolas Hulot ne s’était par exemple jamais prononcé clairement sur le nucléaire, avant d’évoquer récemment une éventuelle sortie du nucléaire depuis son lancement à l’élection présidentielle. Un rapport parlementaire s’est étonné récemment de la mansuétude de la Fondation Nicolas Hulot sur le nucléaire, en se posant la question si elle ne pouvait s’expliquer par la présence d’EDF à son conseil d’administration.
Sait-on à quelle hauteur EDF participe au financement de la Fondation Nicolas Hulot ? Nicolas Hulot joue-t-il la transparence à ce sujet ?
Non pas précisément, mais il y a également TF1 ou L’Oréal. Même si c’est un homme que je respecte, qui a fait beaucoup de choses, Nicolas Hulot a un énorme fil à la patte, le liant financièrement et depuis toujours au monde industriel, très largement responsable de la destruction des écosystèmes. Il a clairement quelque chose qui ne tourne pas rond.
Dans ce domaine, le WWF est encore bien pire d’une certaine façon. Cette association a de grandes accointances avec différentes multinationales comme Monsanto, avec lequel il participe à une table ronde destinée à trouver ensemble un label soi-disant durable, pour la commercialisation du soja. Le soja est pourtant une arme de destruction massive des écosystèmes en Amérique latine et des communautés paysannes notamment indiennes. S’asseoir aux côtés de Monsanto pour l’aider à vendre du soja dans le monde avec un label écolo, c’est prendre une responsabilité gigantesque, qu’il n’assume pas d’ailleurs en France.
Vous sentez-vous proche de climato-sceptiques comme Claude Allègre, eux-aussi globalement très critiques vis-à-vis du mouvement écologiste ?
Pas du tout. Claude Allègre est un homme que je méprise. Je n’ai rien à voir avec cet homme. Je crois même avoir été le premier en France à attaquer Claude Allègre sur la question du climat, dès 1997, en affirmant qu’il racontait n’importe quoi. Je prends la crise climatique très au sérieux et pas du tout Claude Allègre, ni les climato-sceptiques.
Ce que je crois en revanche, c’est qu’il n’y a pas de vache sacrée ni d’icône qui doive échapper à la critique. On demande à tout le monde de s’expliquer, pourquoi devrait-on se taire sur le mouvement écologiste ?
Comment expliquez-vous la complaisance des médias, généralement peu critiques vis-à-vis du mouvement écologiste ?
Parce que précisément ces associations sont devenues des icônes. Si vous prétendez défendre le bien ce qu’elles font à longueur d’année, vous devenez intouchable. Encore peu de personnes osent les critiquer. Je révèle des choses graves encore jamais évoquées en France comme par exemple que le WWF a été financé par Mobutu, l’ancien dictateur du Zaire ou encore par Charles de Chambrun, ancien maire de Saint-Gilles, ancien député lepéniste du Gard. J’évoque aussi des liens entre des responsables de tout premier plan du WWF et l’ancien régime de l’apartheid en Afrique du Sud par l’intermédiaire d’Anton Rupert.
Pourquoi le WWF a-t-il de telles fréquentations ?
A l’origine, le WWF n’a pas été créé par des écologistes mais des aristocrates qui chassaient la grande faune sauvage en Afrique comme les girafes, les éléphants et les lions. A la fin des années 50, voyant la situation se dégrader, ces grands chasseurs ont voulu préserver des espaces pour continuer à y chasser. Le premier président du WWF est le Prince Bernhard des Pays-Bas qui a un passé exécrable, membre notamment du parti nazi. Ce sont des faits historiques.
Tous ces gens étaient aux antipodes des écologistes d’aujourd’hui. N’ayant pas d’état d’âme, ces fondateurs du WWF ont créé un club sélect des 1001 donateurs très riches, dont l’association refuse d’ailleurs de donner la liste. Officiellement, le WWF est une association transparente et ouverte, mais dans les faits, elle refuse de livrer ces informations, même si on sait par exemple qu’on retrouve parmi ces généreux donateurs Robert McNamara, l’ancien secrétaire d’Etat américain à la Défense, responsable notamment des affreux bombardements lors de la guerre du Vietnam.
Ou ce que j’ai écrit est vrai, et cela pose des problèmes colossaux en terme de morale publique, ou ce n’est pas vrai, et il faut me traîner devant un tribunal.
Quelle est la réaction des écologistes à vos révélations ?
Tout le monde est gêné. Je suis accusé par les écologistes de jouer contre mon camp. La vérité c’est que les associations actuelles ont fait leur temps. C’est un bilan de faillite, même si c’est dur à reconnaître. Créées pour résoudre la crise écologique, ces associations ont échoué, c’est ridicule de dire le contraire alors que la situation écologique est devenue infiniment plus grave des dizaines d’années plus tard.
On pourrait vous dire que le combat ne fait que commencer ?
Vous avez tout à fait raison, le combat ne fait que commencer. Il faut tout remettre à plat. La question n’est pas de savoir de quelle étiquette on parle, si elle écologiste ou pas, à la limite je m’en fous, ce que je souhaite c’est qu’on s’unisse tous pour trouver des solutions véritables et efficaces de manière honnête.
Dans ce tableau plutôt pessimiste de l’écologie, on reste encore très franco-français, alors que la crise écologiste est évidemment planétaire?
Il faut bien sûr sortir de la France. Le Grenelle de l’environnement est une opération franchouillarde qui laisse penser que la question de l’écologie peut se résoudre à l’échelle de la France. C’est ridicule de croire que les écosystèmes s’arrêtent aux frontières de la France.
Y-a-t-il des écologistes qui trouvent grâce à vos yeux ?
Oui, bien sûr, pour n’en citer qu’un, je pense par exemple à l’indienne Vandana Shiva, qui est tout à fait admirable, à la fois philosophe et scientifique. Elle incarne une autre façon de concevoir le combat écologique en écrivant des textes de haut niveau tout en menant des actions concrètes et efficaces. Son association a réussi à sauver 2 000 variétés de riz, autour d’une ferme au pied de l’Himalaya. Cela n’a l’air de rien mais c’est très important. On pense qu’il reste seulement 8 000 variétés de riz en Inde, alors qu’il y en avait 100 000 il y a un siècle. C’est l’avenir du monde.
Nous avons à faire à un monde industriel qui a complètement échappé à notre contrôle, ce que ne veulent pas reconnaître les associations écologistes, parce qu’elles sont trop liées à cet univers. C’est comme le monstre de Frankenstein, il a complètement échappé à son créateur. Aujourd’hui, c’est l’industrie qui impose sa volonté à nos sociétés, sans faire le bonheur par ailleurs des populations. On consomme contraint et forcé, une multitude d’objets tous plus inutiles les uns que les autres, tout en détruisant la planète. La question fondamentale est de savoir comment reprendre le contrôle de ce monstre.
Cette ambitieuse révolution sociétale ne dépasse-t-elle pas largement le champ de compétences des écologistes ?
Effectivement, l’enjeu est trop important pour les écologistes. C’est le combat le plus difficile de toute l’histoire humaine. On se heurte à des murs physiques infranchissables. Il faudrait engager une révolution intellectuelle et morale pour changer la hiérarchie des priorités. Évidemment c’est très difficile. C’est plus facile de prétendre qu’on va corriger la situation actuelle en faisant des modifications à la marge, malheureusement ce n’est plus suffisant. Il faut s’attaquer au système lui-même.
La candidature de Nicolas Hulot vous paraît-elle capable de créer une dynamique aussi ambitieuse et radicale ?
Non, je ne pense pas que cela soit une bonne nouvelle. Nicolas Hulot est un homme je respecte et que j’estime et qui a apporté beaucoup à la société française. Mais il est lié à l’univers industriel et a cautionné un Grenelle de l’environnement qui a fait perdre 3 ans à la France.
On peut critiquer les avancées certes modestes du Grenelle, mais il a tout de même permis de développer les énergies renouvelables ou de s’engager dans la réduction des pesticides?
C’est du pipeau. J’ai une anecdote d’ailleurs au sujet des pesticides. Au moment du Grenelle, j’étais chez moi fin octobre 2007 lorsqu’un ami participant à ces tables rondes au nom de l’une de ces associations, m’appelle très enthousiaste en m’affirmant qu’ils venaient d’obtenir une victoire extraordinaire, la France s’engageant à réduire de 50% en 10 ans l’utilisation des pesticides. Pourtant déjà très critique sur ce Grenelle, j’avoue que j’ai considéré qu’il s’agissait là d’un engagement très fort. Mais dans la même matinée, j’apprends le reste de l’histoire.
Suite à cette annonce visiblement prématurée, des témoins m’ont rapporté que Jean-Michel Lemétayer, président de la FNSEA est sorti inquiet de la réunion, sans doute pour passer quelques coups de fil. Revenant ensuite triomphalement à la réunion, c’est finalement lui et pas le gouvernement, qui a annoncé que la France s’engageait à réduire de 50% en 10 ans l’utilisation des pesticides, mais en rajoutant, « si c’est possible », ce qui figure dans le Grenelle. Et comme cela ne va pas être possible, il n’y aura pas de réduction de 50% des pesticides en 10 ans.
C’est une réalité en faux semblant. C’est de l’enfumage que l’on retrouve avec les éoliennes, le photovoltaïque, et dans tous les domaines. Je défie quiconque d’apporter la preuve que le Grenelle représente une véritable révolution écologique, telle qu’elle était promise à l’époque par le gouvernement.
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