Marc Girard, mathématicien de formation, et médecin conseil en pharmacovigilance. Auteur de plusieurs livres polémiques sur la médecine et le médicament, il vient de faire paraître « Médicaments dangereux ? A qui la faute ? » aux éditons Dangles, un appel à la vigilance citoyenne en matière de santé publique, au lendemain des scandales du sang contaminé, de l’hormone de croissance, des vaccins contre l’hépatite B, contre la grippe A ou aujourd’hui du Mediator.
A en croire votre dernier livre, les Français ont de bonnes raisons de se méfier des médicaments, comment en est-on arrivé là ?
Les Français ont de bonnes raisons d’être inquiets, à propos des médicaments qu’ils consomment mais également de bien d’autres choses, du nucléaire, de l’agroalimentaire, des incidents aéronautiques, de la finance? Mon livre, qui a pour sous-titre « Ce que les commissions d’enquête ne vous dirons jamais », vise à mettre au jour ce qu’on ne dit jamais ou que l’on entend très peu, et à articuler tous ces éléments disparates en une réflexion globale, en identifiant les invariants de cette crise de la civilisation.
Pourquoi cette indignation intervient ?elle aujourd’hui ?
A cause des mutations du capitalisme depuis environ 30 ou 40 ans, lequel s’est abrité derrière la « critique artiste » (Boltanski et Chiapello) née de mai 1968 pour anéantir les plus immuables règles du vivre-ensemble et aboutir à l’état de sauvagerie justifiant aujourd’hui les révoltes qui pointent partout en Europe ? et ailleurs.
La santé est elle aussi victime de la recherche du profit maximum ?
Tout à fait, la recherche du profit maximum, la destruction de tous les cadres d’équilibre social et la brutalité de l’exploitation de l’homme par l’homme. On le touche du doigt en médecine, où pour des raisons de gros sous, on altère ce qu’il y a de plus précieux, à savoir le corps humain. Une mutation énorme a consisté à s’apercevoir qu’il y avait beaucoup plus de bien-portants que de malades et donc à déplacer le marché de la maladie vers la « prévention ».
Un seul exemple : un des grands risques de santé publique aujourd’hui d’un point de vue médical est la résistance aux antibiotiques de certaines bactéries ; on est à la veille de retourner à une situation du type 18e / 19e siècle. Or, il n’y a qu’à comparer l’innovation en termes d’antibiotiques, dérisoire, avec l’inventivité incroyable des fabricants en matière de vaccinations, qui visent des risques minimes voire imaginaires.
L’industrie pharmaceutique est-elle la principale responsable de cette situation ?
Bien entendu, on a tous stigmatisé l’industrie pharmaceutique, moi le premier. J’aurais tendance aujourd’hui à nuancer mon propos. Comme tous les autres secteurs industriels, l’industrie pharmaceutique est en voie de destruction par les lobbies prédateurs qui se moquent de la pharmacie, et qui cherchent simplement les secteurs porteurs et rentables pour les sucer jusqu’au sang. L’industrie pharmaceutique a échappé aux professionnels de la pharmacie, les pharmaciens, pour devenir une source de profit parmi d’autres pour les lobbies.
Avec la médicalisation de l’industrie pharmaceutique, le monde du médicament a été envahi par des médecins, alors que faire du médicament, c’est le métier des pharmaciens. Depuis le début des années 80, on assiste à la colonisation de l’industrie pharmaceutique par les médecins, lesquels n’ont pas du tout été formés à ce métier. Dans la mesure où, selon une répartition traditionnelle des rôles dans l’histoire de la santé, ceux-ci sont en position hiérarchiquement supérieure par rapport aux pharmaciens malgré leur défaut patent de compétence en matière pharmaceutique, force est de constater qu’ils fonctionnent finalement comme les hommes de paille des lobbies.
Pourquoi est-ce choquant que des médecins participent à l’élaboration d’un médicament ?
Ça dépend où et comment ! Ce qui est particulièrement choquant c’est que le directeur de l’Affssaps soit un médecin. Prenez le sang contaminé, l’hormone de croissance? il n’y a pas besoin de l’industrie pharmaceutique pour avoir des scandales médicamenteux, c’étaient là des secteurs extra-pharmaceutiques. En revanche, que disent ces affaires-là ? Voila ce qui se passe quand on laisse des médecins jouer à la marchande. On laisse des médecins à l’?uvre dans une pharmacie à la déontologie commerciale, laquelle n’a rien à voir avec celle à laquelle ils ont été formés ! Quant aux questions d’assurance qualité, les médecins ne connaissent simplement pas.
Gouvernement et Affssaps ont fait des propositions pour changer les choses après la triste affaire du Mediator, cela va-t-il dans le bon sens selon vous ?
Pour moi, l’affaire Mediator, c’est le scandale dans le scandale ! En réalité il a fallu attendre la saison 2010-2011 pour que les autorités conscientisent l’ampleur de la perte de confiance des gens dans le système sanitaire. Déjà avec le H1N1 en 2009-2010, les gens avaient bien compris que cela devenait n’importe quoi, car ils sont moins cons que ce que pensent les politiques, et l’échec de la campagne vaccinale l’année suivante a alerté les autorités.
Le gouvernement nous dit aujourd’hui, « on a reçu le message 5/5, et on va tout réformer ». Or, on ne réforme rien du tout. Le 4 mai, une réunion organisée par le Parlement avait pour but de voir comment rétablir la confiance des Français dans la vaccination, et à élargir la politique vaccinale le cas échéant par de nouvelles obligations. Or en montrant la réalité des conflits d’intérêts qui sont derrière les vaccinations, l’affaire du H1N1 aurait dû provoquer un mouvement exactement inverse et conduire à une réévaluation critique des obligations vaccinales arrêtées il y a un siècle dans un contexte sanitaire complètement différent.
Si je ne suis pas un anti-vaccinaliste, j’ai entamé une action publique pour alerter les parlementaires et les pousser à réfléchir sur cette question de la contrainte vaccinale. Un dernier exemple de cette réforme en trompe-l’?il, après le départ de Marimbert à la tête de l’Agence du médicament : qui a-t-on mis à sa place ? Un cancérologue, alors qu’il n’y a pas de secteur plus « maqué » avec l’industrie pharmaceutique que la cancérologie !
Concrètement, que proposez-vous pour redonner confiance aux Français ?
Contrairement à ce que laisse croire le rapport Even et Debré, l’actuelle réglementation pharmaceutique comporte des dizaines de milliers de pages. A l’Afssaps, la réglementation sur les conflits d’intérêts date de 1996, les premiers décrets sur la pharmacovigilance remontent à 1984. Le vrai problème, ce n’est pas l’absence de réglementation : c’est qu’elle ne fonctionne pas.
On fait comme si Servier était l’hypertrophie de tous les vices du système, alors que quand on connait un peu le milieu, on sait que Servier est quelqu’un qui a un respect pointilleux de la réglementation. Il est juste très intelligent et sait parfaitement en exploiter les failles, pour aboutir à ce qu’on a vu.
A ceux qui pensent que si Servier n’avait pas été un « salaud », on n’aurait pas eu Mediator, je leur donne un contre-xemple. Dans l’histoire du vaccin contre l’hépatite B, le premier fabricant international a alerté les autorités, dès le début des années 90, sur un risque de sclérose en plaques, le fabricant l’insérant dans sa propre notice interne.
En pratique, en septembre 1994, malgré cette alerte de santé publique majeure, Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, décide de lancer une campagne vaccinale dans les écoles, c’est-à-dire sur l’un des groupes les plus protégés en recherche clinique, la population pédiatrique. Là où je suis d’accord avec Even, c’est lorsqu’il affirme que si le cyanure arrivait sur le marché aujourd’hui, l’Afssaps mettrait deux ans avant de le retirer ! Et à mon avis, il est optimiste !
Ce constat d’une réglementation qui ne fonctionne pas, on le retrouve partout. La réglementation financière n’a pas empêché la crise de 2008. La réglementation très pointilleuse du nucléaire n’a pas empêché la catastrophe de Fukushima.
Cette crise est-elle franco-française ou est-elle mondiale ?
Elle est internationale. Mais pour se limiter au domaine de la santé, il faut comprendre que le problème de fond, c’est la médicalisation : cette tendance moderne à donner des réponses médicales à toutes les questions de la société, dans un contexte où la santé et le corps humain sont devenus de simples marchandises parmi d’autres.
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