Thierry Charles, directeur de la sûreté des installations nucléaires, et porte-parole de l’Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire, commente la situation à la centrale de Fukushima Daiichi, plus de trois mois après le début de la catastrophe japonaise.
Quelle est aujourd’hui la situation sur place à la centrale de Fukushima Daiichi ?
On peut dire que la situation est aujourd’hui stabilisée. Les c?urs des 3 premiers réacteurs, dont une partie a fondu, continuent à être refroidis en permanence. Une partie du combustible fondu s’est écoulé dans des cuves percées et du corium s’est vraisemblablement répandu dans l’enceinte de confinement.
Pourquoi cette catastrophe n’a-t-elle touchée que 3 des 6 réacteurs de cette centrale ?
Cette crise concerne essentiellement les 3 premiers réacteurs qui étaient en fonctionnement lors du séisme. Les réacteurs 5 et 6 étaient arrêtés lors de la catastrophe et le c?ur du 4e a été plongé dans la piscine. Les réacteurs 1, 2 et 3 n’ont pu être refroidis suffisamment rapidement, et leurs combustibles ont donc partiellement fondu dans leurs cuves, la dégradant suffisamment pour permettre le passage de ce corium dans l’enceinte de confinement.
Quelle est le travail quotidien de Tecpo actuellement ?
Leur mission première est de remplir d’eau les réacteurs. Les japonais injectent tous les jours environ 500 m3 d’eau sur les c?urs des réacteurs pour garantir leur refroidissement. Concrètement, ils pompent l’eau de l’extérieur pour l’envoyer dans des canalisations existantes raccordées aux réacteurs. Les volumes injectés sont de l’ordre de 5 à 10 m3 d’eau par heure par réacteur.
Par ailleurs, les japonais veulent garantir l’inertage de l’enceinte de confinement en évitant tout risque d’explosion. Chaque réacteur se trouve dans une cuve, elle-même entourée par une enceinte de confinement remplie aujourd’hui d’azote, un gaz inerte injectée depuis plus de 3 semaines par les japonais pour empêcher tout risque d’explosion.
On est encore dans un dispositif d’urgence?
Oui, car cette eau massivement injectée en circuit ouvert coule dans les bâtiments qui se remplissent et donc menace de déborder si rien n’est fait. Le site a accumulé plus de 100 000 m3 d’eau fortement radioactive dans ses bâtiments, ce qui gêne les techniciens pour pouvoir intervenir dans les installations.
D’où l’usine de décontamination qui vient d’être mise en service?
Exactement, elle a démarré même si elle connaît quelques problèmes de fonctionnement. L’objectif est de retrouver un refroidissement en circuit fermé en pompant l’eau dans les bâtiments, pour la traiter en retirant les particules polluantes, et pour produire à la sortie une eau peu radioactive.
Il s’agit là d’une situation intermédiaire, car la solution ultime programmée en principe à la fin de l’année, c’est de mettre en place un refroidissement en circuit fermé, qui pourra refroidir les c?urs des réacteurs de manière opérationnelle dans la durée.
Après ces mesures d’urgence, quelle est le calendrier prévisible à Fukushima ?
Il faudrait attendre plusieurs années avant de pouvoir intervenir pour démonter les installations. Cela devrait durer 2 à 3 ans, même si le refroidissement devrait nécessiter progressivement de moins en moins d’eau.
Mais le but n’est évidemment pas de laisser cette centrale en l’état. Les japonais travaillent par exemple au renforcement de la piscine qui accueille actuellement le réacteur n°4 pour s’assurer de tout risque lié à un nouveau séisme.
Concrètement comment obtenez-vous les informations en provenance de Fukushima ?
Tepco envoie ses informations à l’AIEA qui les retransmet à l’IRSN. Tepco diffuse également ses informations directement via son site internet et l’Ambassade de France nous fournit également des informations collectées au Japon. Cet ensemble d’informations nous permet de disposer d’une assez bonne vision de la situation à Fukushima.
Considérez-vous que Tepco fait de la rétention d’informations en minimisant notamment la situation ?
Tepco annonce régulièrement des éléments nouveaux, tout simplement parce que ses employés découvrent au fur et à mesure des interventions, la réalité de la situation. On constate que les japonais diffusent plutôt les informations en temps réel, à l’occasion des découvertes qu’ils font dans les installations.
Par exemple, Tepco a annoncé récemment qu’il allait relâcher un peu d’air irradié. Il faut en effet que ses techniciens rentrent dans les bâtiments normalement fermés, qui contiennent l’enceinte de confinement pour faire un état des lieux précis de la situation. Les japonais ont donc mis en place un système de ventilation qui aspire l’air des bâtiments pour le traiter et le rejeter à l’extérieur, pour faire décroître l’ambiance radioactive à l’intérieur des bâtiments avant d’y rentrer.
Dans l’état actuel des connaissances et des éléments nouveaux révélés par Tepco, les informations collectées ne modifient pas la compréhension de la situation sur place et les risques potentiels de cette centrale. Il faut néanmoins noter qu’après les rejets massifs enregistrés en mars dernier, le site émet encore des rejets diffus. Il y a encore un peu de vapeur radioactive qui s’échappe ou un peu d’eau qui ruisselle, mais qui ne provoquent qu’une pollution très locale.
Sans l’imposer, l’AIEA a évoqué la possibilité de mettre en place des contrôles supranationaux des centrales nucléaires, l’IRSN y est-elle favorable ?
C’est compliqué car dans le domaine nucléaire, l’implication est très forte, les dispositifs d’autorisation étant nationaux. Nous sommes favorables au partage de la connaissance et de l’information au niveau international. Au niveau européen, on tend vers une harmonisation de la sûreté, même si on est encore loin d’une autorité supranationale dans ce domaine.
N’est-ce pas inquiétant que le monde dépende ainsi du bon vouloir des pays nucléarisés à respecter ces bonnes pratiques ?
Le nucléaire demeure un pouvoir régalien des Etats, difficile à faire évoluer. Pour l’heure, c’est à l’AIEA et aux pays environnants d’exercer si besoin les pressions suffisantes pour garantir cette sûreté nucléaire.
En France, considérez-vous que l’IRSN a l’indépendance et l’autonomie suffisantes pour pouvoir critiquer des installations d’EDF ou d’Areva ou des avis de l’ASN ?
Oui, sans problème. En tant que tiers expert public, l’IRSN ne dépend pas de l’ASN, qui est l’autorité française. L’IRSN peut tout à fait apporter aux autorités publiques un avis différent de l’ASN.
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