Roland Desbordes, physicien, président de la Criirad, s’exprime sur le non lieu prononcé par la justice concernant l’affaire du nuage de Tchernobyl. La Commission de Recherche et d’Information Indépendantes sur la Radioactivité avait été précisément créée en 1986, en réaction contre les informations erronées diffusées en France lors de la catastrophe de Tchernobyl.
Quelle a été votre réaction après le non-lieu prononcé il y a quelques jours par la justice sur l’affaire du nuage de Tchernobyl ?
C’est difficile de répondre. Malgré toutes les demandes des parties plaignantes, il n’y a toujours pas d’études scientifiques sur l’impact sanitaire exact du nuage de Tchernobyl dans l’hexagone. On ne connaît toujours pas les chiffres exacts des cancers de la thyroïde par exemple.
L’Etat a fait volontairement traîné les choses, à tel point qu’après 10 ans d’instruction, la justice n’a pas pu disposer d’études épidémiologiques pour appuyer son jugement.
Sur la forme, vous n’avez donc rien à redire sur le non lien prononcé ?
On savait à l’avance que cela serait difficile. La juge avait été dessaisie, provoquant la suspension de l’instruction dès janvier dernier, alors qu’on était en attente de résultats d’études sur la Corse en particulier. Le dossier était incomplet et a permis à la justice de disculper prématurément le Pr Pellerin. Il a pourtant été établi qu’il avait menti et laissé consommer des produits potentiellement dangereux.
En l’absence de chiffres officiels, dispose-t-on au moins d’estimations sur l’impact sanitaire de ce nuage ?
Pas encore, mais nous devrions disposer de premiers chiffres sur la question d’ici un an ou deux, grâce à l’initiative par exemple de la collectivité territoriale corse qui a décidé de financer elle-même une étude à ce sujet, qui devrait montrer une augmentation flagrante des cancers de la thyroïde.
On espère que ces initiatives permettront de rouvrir le dossier. De notre côté, nous ne lâchons pas le morceau. Nous allons en effet nous pourvoir en Cassation dans les prochains jours, même si nous ne nous faisons pas trop d’illusions sur ce recours. A terme, l’objectif est surtout de porter plainte contre l’Etat français devant la Cour européenne.
Du côté de la Criirad, disposez-vous de relevés attestant de l’importance de la radioactivité qui a traversé l’hexagone en 1986 ?
Oui bien sûr, c’est même pour cela que la Criirad s’est créée. Nous avons pu montrer que les normes en vigueur ont été dépassées, par exemple en ce qui concerne de nombreux produits commercialisés à l’époque. Dans cette affaire, nous avons particulièrement insisté sur le fait que les pouvoirs publics n’ont rien fait pour protéger les enfants.
A la même période, qu’ont fait nos voisins européens ?
Sans être toujours satisfaisantes, des mesures ont été prises en Europe, comme en Allemagne où les gens ont été avertis, des produits retirés de la vente, et des espaces publics fermés. La France est le seul pays d’Europe à n’avoir pris aucune mesure pour protéger ses citoyens du nuage de Tchernobyl. C’est pour cela que 25 ans après, cette affaire fait encore polémique.
Que sait-on de l’impact sanitaire de ce nuage dans les autres pays européens ?
On enregistre généralement une légère augmentation des cancers de la thyroïde, notamment en Allemagne, en Grande-Bretagne et en Belgique. Mais cette hausse plutôt faible est logique puisque ces pays ont pris des mesures pour protéger leur population. Il serait intéressant de comparer objectivement ces chiffres européens avec les données françaises.
Pour l’heure, la France ne dispose d’aucun chiffre sur le nombre de malades de la thyroïde par exemple ?
En France, nous ne disposons d’aucun chiffre puisqu’aucune étude épidémiologique n’a été réalisée. Il existe bien sûr beaucoup de témoignages de malades ou de médecins mais qui n’ont évidemment aucune valeur juridique.
25 ans après le passage de ce nuage radioactif de Tchernobyl, et 6 mois seulement après celui de Fukushima, estimez-vous que les choses ont tout de même évolué dans le bon sens ?
Non, surtout dans la gestion de crises. On l’a bien vu au Japon, on s’en rend compte avec l’accident de Marcoule. Les autorités ne sont pas encore prêtes à informer correctement la population en cas d’accident.
Pourtant, les pouvoirs publics ont communiqué très rapidement, quelques heures seulement après l’accident de Marcoule?
Les autorités ont communiqué mais pas informé. 48 heures après cet accident, je vous mets au défi de trouver un seul chiffre officiel pour prouver qu’il n’y a eu aucun rejet radioactif. L’Etat dit qu’il n’y a pas eu de rejet, c’est possible, mais nous ne disposons toujours d’aucun chiffre concret qui le prouve.
Le site de Marcoule dispose pourtant de nombreux instruments de mesure pour contrôler l’air et plus généralement l’environnement. La communication a évolué mais l’information n’est pas encore au rendez-vous.
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