Marie Grosman, agrégée en sciences de la vie et spécialisée en santé environnementale. Elle est conseillère scientifique de l’association « Non au mercure dentaire » (http://www.non-au-mercure-dentaire.org/) et auteur en 2011 de « Menace sur nos neurones. Alzheimer, Parkinson? et ceux qui en profitent » aux éditions Actes Sud.
70% des amalgames dentaires présents dans la bouche des Français contiendraient du mercure, ce chiffre est-il réaliste ?
Il s’agit d’une estimation très approximative du conseil de l’ordre des dentistes qui date de 2005. Il s’agit précisément de la proportion d’obturations à base d’amalgames par rapport à l’ensemble des obturations molaires et prémolaires.
J’ai posé la question le 14 octobre dernier à Jean-Claude Ghislain, directeur de la DEDIM, le département en charge de l’évaluation des dispositifs médicaux à l’Afssaps. Ils ne possèdent pas à ce jour de statistiques fiables, et sont en train de rechercher des informations.
L’utilisation d’amalgames au mercure est-elle encore d’actualité chez les dentistes ?
Cette pratique se rencontre encore fréquemment aujourd’hui, et concerne la majorité des dentistes. Ce que l’on appelle plus communément « plombages » sont des amalgames dentaires qui contiennent 50% de mercure.
Cette utilisation est toujours préconisée aujourd’hui dans les facultés dentaires, en premier lieu chez les enfants, avant même les composites (matériau d’obturation blancs qui ne contient pas de mercure).
Pourquoi utiliser toujours ces amalgames?
Les dentistes mettent en avant deux arguments, que l’on retrouve dans la position officielle de l’OMS : la pose d’un composite n’est pas possible en présence d’humidité et nécessite la pose d’une « digue » (rectangle en caoutchouc placée dans la bouche autour de la dent à soigner, non remboursé par la Sécurité sociale) ; mais surtout, la mise en ?uvre d’un composite est beaucoup plus longue que pour un amalgame. Les dentistes qui arrêtent de poser des amalgames soulignent que cette pratique représente une perte importante de revenus. Par ailleurs, la profession dentaire et la presse professionnelle ont toujours professé l’innocuité des amalgames et leur supériorité sur les alternatives, ce qui n’incite pas les praticiens à modifier leurs pratiques.
Quels risques présentent ces amalgames chez le patient soigné, et chez les dentistes eux-mêmes qui les manipulent ?
Ces risques concernent d’abord les professionnels, dentistes et surtout les assistantes, souvent plus exposées au mercure. En 2005, le gouvernement norvégien s’est excusé officiellement auprès des assistantes dentaires pour avoir laissé perdurer ce dispositif qui les a intoxiquées : 25 % d’entre elles souffraient de troubles neurologiques !
De multiples publications font état d’un taux élevé de suicides, de dépression, de troubles de l’humeur, d’insomnies, de fatigues? symptômes de l’éréthisme mercuriel, dus à une exposition prolongée à de faibles doses de mercure.
Les femmes (dentistes ou assistantes) souffrent également plus souvent de problèmes d’infertilité et s’exposent à un risque de fausse-couche plus important. Enfin, le risque de voir apparaitre une tumeur du cerveau appelée le glioblastome est triplé. A tout cela s’ajoutent des problèmes neurologiques avec par exemple, une perte de dextérité manuelle.
Et chez les patients ?
Pour les patients, il est délicat de faire le lien entre une maladie et le nombre d’amalgames dentaires. Cependant, une grande étude épidémiologique rétrospective réalisée en 2004 a montré un risque accru de sclérose en plaques pour chaque amalgame supplémentaire. L’étude n’a pu conclure en ce qui concerne la maladie de Parkinson ou encore la maladie d’Alzheimer, la cohorte ayant moins de 45 ans.
Une autre étude récente montre qu’à chaque amalgame correspond une perte de décibels, dans certaines fréquences. D’autres études toxicologiques, menées chez l’animal ou sur des cellules humaines in vitro, montrent que l’inhalation prolongée de vapeurs de mercure à faibles doses, comme c’est le cas avec l’amalgame dentaire, est impliquée dans la maladie d’Alzheimer et la plupart des maladies neurodégénératives, dans des maladies autoimmunes, des maladies cardiovasculaires, et pour les enfants, l’autisme, l’hyperactivité avec déficit d’attention et la perte de points de QI.
Aujourd’hui, le très grand nombre de publications scientifiques sur la question démontre que l’exposition mercurielle due aux amalgames contribue à l’épidémie de maladies chroniques.
Tous ceux qui ont des amalgames au mercure dans leur bouche ont-ils des raisons de s’inquiéter ? L’effet nocif dure-t-il dans le temps ?
L’exposition est plus importante au moment de la pose et encore plus au moment de la dépose lorsque celle-ci n’est pas faite correctement, en respectant un protocole précis. Entre les deux, pendant toutes ces années où l’amalgame est dans la bouche, il continue à émettre jour et nuit des vapeurs. Au cours de notre enquête, nous avons mesuré les vapeurs de mercure s’échappant des amalgames à l’aide d’un appareil utilisé dans l’industrie (appareil Jerome), et constaté que la concentration en mercure de l’atmosphère buccale des porteurs d’amalgames est très largement supérieure aux recommandations de l’OMS.
De fait, quand un dentiste enlève un morceau d’amalgame, il est considéré comme un déchet très dangereux interdit de poubelle à cause des émanations de vapeur de mercure. Et c’est un petit morceau que vous aviez auparavant dans la bouche !
Pourtant, ces amalgames sont considérés comme très dangereux par les fabricants qui, craignant sans doute de futurs procès, l’indiquent clairement sur les fiches de sécurité remises aux dentistes : si elles étaient affichées dans la salle d’attente, les patients ne voudraient certainement pas qu’on leur pose des amalgames ! En Californie, ces fiches précisent même que ce produit est dangereux pour le cerveau du f?tus. Autrement dit, les dentistes sont bien avertis que les amalgames sont extrêmement dangereux avant d’être mis dans la bouche, puis après la dépose : finalement, la bouche serait le seul endroit sans danger pour stocker du mercure? On voit à quel point le droit du patient à un consentement éclairé est bafoué.
Existe-t-il des normes protectrices en la matière à l’étranger ?
Trois pays européens ont banni l’amalgame : la Norvège, le Danemark et la Suède. Mais au niveau européen, il n’existe pas de législation. Cependant l’Union européenne a entrepris la révision de la stratégie communautaire sur le mercure et a décidé de revoir l’intégralité du cycle de vie de l’amalgame. Toutefois, elle s’intéresse plutôt au risque pour l’environnement qu’au risque sanitaire.
A l’échelon européen, il n’existe aucun test de toxicité cellulaire du fait de l’ancienneté de l’amalgame. Pourtant si l’on décide de faire une expertise qui prenne en compte toutes les études scientifiques indépendantes (c’est-à-dire non publiées dans des journaux dentaires, pour la plupart financés par les fabricants d’amalgames), la conclusion ne ferait pas grand doute.
C’est ce qu’a fait la Suède en 2003 : l’audit officiel de Maths Berlin conclut : « Sachant que le mercure est un toxique polyvalent agissant à différents niveaux du métabolisme cellulaire, l’amalgame doit être considéré comme un matériau non adapté aux soins dentaires. [?] Considérant l’influence inhibitrice sur le cerveau en développement, il n’est pas compatible avec les données de la science d’utiliser des amalgames chez l?enfant et la femme en âge de procréer. [?] Pour des raisons médicales, l’amalgame devrait être supprimé des soins dentaires dès que possible ».
Pourquoi certains dentistes évoquent encore « un vieux fantasme » quand on leur parle des problèmes liés à ces amalgames ?
Sans doute parce qu’il y a une désinformation efficace.
On est en plein conflit d’intérêt. C’est la même chose pour la fédération dentaire internationale qui chapeaute toutes les associations de dentistes dans le monde entier : elle est financée, entre autres, par les fabricants d’amalgames et de grosses firmes industrielles, souvent pharmaceutiques.
En France, l’Union française de santé bucco-dentaire, organisme privé en charge de la prévention orale, est financé lui aussi par un fabricant d’amalgame et par des firmes internationales de l’agro-alimentaire comme M&M’S Mars, un comble pour des dentistes. L’OMS aussi est très proche du lobby dentaire.
Comment faire évoluer cette situation pourtant alarmante ?
La solution la plus efficace est sans doute de passer par l’approche environnementale, pour éviter de se heurter de front au monde médical, qui est le gardien du temple de l’amalgame et de ses méfaits. C’est ce qu’ont dû faire les pays qui ont interdit l’amalgame : ils ont dû contourner l’aspect santé et passer par les ministères de l’environnement.
Lors du dernier congrès qui se tenait la semaine dernière à Nairobi, nous avons bien démontré, en nous appuyant sur des publications scientifiques, l’existence d’alternatives satisfaisantes aux amalgames, notamment les ciments verres ionomères (CVI), qui disposent d’une longévité au moins égale à celle des amalgames. Ils sont sans risque pour la santé et l’environnement, et économiquement moins chers que les amalgames.
La région Afrique a pris une position très ferme : refusant de devenir « la poubelle des pays riches » (l’Afrique et l’Asie représentaient les futurs marchés pour les marchands d’amalgame, qui ont bien compris que celui-ci n’en a plus pour longtemps dans les pays développés) : elle réclame la fin de l’usage du mercure dentaire dans les 3 ans qui suivent la signature du traité (donc 2016 à 2018). Elle a été suivie par la région Asie-Pacifique et le Grolac (Amérique latine). Les Etats-Unis et l’Australie sont pour la disparition programmée des amalgames.
L’Union européenne n’a pas encore pris position : elle organise une conférence au printemps afin d’arrêter celle-ci avant la 4e session des négociations, en juin 2012 à Punta del Este (Uruguay). Il serait incompréhensible qu’elle s’accroche encore aux plombages en dépit de toutes les connaissances. Rappelons que le Plan Environnement et santé français cible le mercure comme une des substances les plus préoccupantes, demandant d’en réduire l’exposition de 30 % d’ici 2013, l’année de la signature du traité.
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