Bruno Comby, ingénieur de l’Ecole Polytechinque et ingénieur en génie nucléaire de l’Ecole Nationale Supérieure de techniques Avancées de Paris. Il est le Fondateur de l’Association des Ecologistes Pour le Nucléaire (AEPN). Alors que la France se pose la question de la sortie du nucléaire, Bruno Comby avance l’idée d’une augmentation de la part du nucléaire.
Vous vous présentez comme un écologiste partisan du nucléaire, est-ce bien compatible ?
Bien sur ! L’AEPN , l’association que j’ai créé et qui regroupe aujourd’hui 10.000 membres et signataires dans 60 pays est attachée au nucléaire, il n’y a aucun message caché ! Au contraire, c’est explicite : nous sommes des écologistes pro-nucléaire, et il y en a beaucoup !
Nous sommes des écologistes, donc nous sommes favorables à la protection de l’environnement, à une exploitation sure, propre et respectueuse de notre planète. Or, nous ne sommes pas dogmatiquement anti-nucléaire comme peuvent l’être d’autres groupes écologistes. Nous pensons qu’il faut avoir une attitude ouverte face au progrès scientifique, l’accepter lorsqu’il est utile et le rejeter lorsqu’il est nuisible.
S’agissant plus précisément du nucléaire, nous pensons que le nucléaire militaire n’est pas bon pour l’avenir de l’humanité. En revanche le nucléaire civil, sous réserve qu’il soit propre et respectueux de l’environnement apporte une contribution utile. Nous nous opposons donc à l’attitude dogmatique des écologistes anti-nucléaire qui ne veulent rien savoir alors qu’il n’y a pas que des inconvénients au nucléaire, il y a également de grands avantages.
Justement, quels sont les avantages du nucléaire ?
Du point de vue de la protection de l’environnement, la grande différence du nucléaire par rapport aux énergies dominantes qui sont utilisées aujourd’hui, à savoir, gaz , pétrole et charbon, c’est ce que j’appelle le ‘facteur un million’ : 1 g d’uranium produit aujourd’hui autant d’énergie qu’1 tonne de pétrole. Un gramme pour une tonne, c’est donc un rapport d’un million.
Sur le plan environnemental, cela signifie que la cicatrice que nous allons infliger à la planète est un million de fois plus faible. Avec ce facteur un million, on commence donc à se rapprocher d’une industrie qui ne manipule pas grand-chose.
A l’autre bout de la chaine, il reste bien évidemment des résidus transformés de la matière première. Mais on se situe alors sur la même échelle. Comme on avait un million de fois moins de matière, on a aussi un million de fois moins de déchets. Ce n’est pas une industrie ?zéro déchet’, mais quasiment.
Même si le nucléaire produit moins de déchets qu’une autre source d’énergie, ces déchets sont toutefois plus dangereux du fait de leur radioactivité ?
Votre question traduit bien l’attitude dogmatique dans laquelle on est enserré lorsque l’on évoque les déchets nucléaires. On parle de la question des déchets comme s’il n’y avait pas de solution. On utilise même le plus souvent le terme de ?problème des déchets’ alors que non seulement il existe une solution aux déchets nucléaires, mais il en existe plusieurs.
Tout d’abord on peut retraiter ces déchets nucléaires, et ce n’est pas un plan sur la comète d’un savant fou ! C’est une chose que se fait déjà de manière quotidienne, industrielle, parfaitement sure et propre. Il se trouve que la France est en pointe dans ce domaine, et l’objet même de l’usine de La Hague est le recyclage et le retraitement des matières nucléaires.
Lorsque l’on sort le combustible usé du réacteur, il contient encore 96% d’uranium imbrulé, 1% de plutonium et 3% d’un cocktail de substances diverses dont on ne connait pas encore d’utilisation possible. Au lieu de faire comme les Américains ou les Finlandais, et mettre à la poubelle l’ensemble de ces déchets, c’est un concept hautement écologique que de retraiter et recycler les déchets pour séparer la partie réutilisable, à savoir les 96% d’uranium et le 1% de plutonium. Il ne reste donc que 3%. On a donc divisé par trente la quantité de déchets, sachant qu’il y en avait déjà un million de fois moins que les énergies concurrentes.
Ces déchets ne sont par ailleurs pas rejetés ou introduits dans les écosystèmes, ce qui pourrait avoir des effets malheureux. Ils sont soigneusement isolés des écosystèmes et confinés avec un nouvel avantage : par définition, ils sont auto-biodégradables. Ils se décomposent spontanément avec le temps.
Mais cela prend beaucoup, beaucoup de temps ?
Il y a deux sortes de déchets : ceux qui se décomposent rapidement et ceux qui le font lentement. S’agissant de ceux qui se décomposent vite, ce n’est pas un problème puisqu’ils ne sont rapidement plus là. Maintenant, pour ceux qui durent plus longtemps, comme l’uranium dont la durée de vie est de 750 millions d’années pour l’uranium 235 et trois milliards d’années pour le 238, il n’est quasiment pas radioactif. Il émet en effet très peu et il n’est donc pas dangereux. On se situe dans des ordres de grandeur de radioactivité naturelle, qui n’est pas dangereuse.
Le ?problème des déchets’ n’est donc pas du tout un problème. En revanche, certaines organisations anti-nucléaire font un peu le mélange entre les deux catégories. Les déchets sont fortement radioactifs lorsque le combustible sort de la centrale, c’est vrai. Mais, ceux qui durent ne sont pas fortement radioactifs. On nous dit que les déchets sont extrêmement radioactifs et durent très longtemps mais cela est faux. La radioactivité décroit de manière exponentielle. Il n’y a donc qu’au début que cela représente un danger.
On a évoqué le début du cycle, la fin, et au milieu ?
Le nucléaire présente l’énorme avantage de ne pas rejeter de CO2, et ne contribue donc pas au réchauffement climatique.
Vous prônez une « nouvelle écologie », de quoi s’agit-il ?
Il existe une vieille vision de l’écologie, maintenant un peu dépassée, qui consiste à s’opposer de manière systématique à tout de manière générale et au nucléaire en particulier, symbole de la contestation permanente. Or, il existe désormais une nouvelle écologie, que je qualifie d’écologie intelligente, raisonnée et raisonnable, qui étudie le problème au lieu de faire des jugements lapidaires sans connaitre le sujet.
Dans cette écologie, on retrouve de très grands noms de l’écologie « historique ». Un des co-fondateurs de Greenpeace en 1971, Patrick Moore, fait partie de notre association, AEPN. Il était directeur international de l’organisation écologiste pendant une dizaine d’années, puis était président-fondateur de Greenpeace Canada pendant 16 ans. On ne peut donc pas le taxer de ne pas présenter de CV écologique ! Il a quitté Greenpeace après un désaccord fondamental, notamment sur la question du nucléaire. Il considère que Greenpeace se trompe sur ce sujet-là.
Nous comptons également parmi nous James Lovelock, le père de la théorie de Gaïa, qui définit la Terre comme un être vivant capable de se réguler afin de maintenir à sa surface les conditions idéales pour la vie, et qui représente le ciment idéologique du mouvement écologique né dans les années 60 et 70.
L’écologie occupe aujourd’hui le devant de la scène politique, comment vous positionnez-vous par rapport aux Verts ?
On se demande ce que l’écologie vient faire en politique. L’écologie, c’est avant tout une science. Peut-on imaginer un parti des mathématiques ? Ou un mouvement des républicains favorables à la physique ? L’écologie n’est ni de gauche, ni de droite, c’est une science qui mérite d’être étudiée dans les universités et qui n’a rien à faire en politique. C’est une anomalie qui j’espère sera corrigée. Pour notre part, nous pratiquons une écologie scientifique, où la politique n’a pas sa place. A l’AEPN, nous veillons soigneusement à ne pas être récupérés par qui que ce soit.
Quel avenir pour un mouvement comme le votre ?
Nous représentons la nouvelle tendance écologiste qui monte. Nous comptons de plus en plus de membres. Mais ce qui est difficile, c’est justement de prévoir l’avenir. Est-ce que l’on va se politiser, j’en doute, ce serait contraire à tout ce que l’on a fait jusqu’à maintenant. Alors, les partis d’écologie déjà politisés, pour l’instant strictement anti-nucléaire, vont-ils se prendre une grosse claque politique et comprendre ensuite qu’ils ont été trop loin et accepter le nucléaire ? Ce serait plutôt une bonne nouvelle.
Je pense que s’ils continuent de s’enfermer dans leur attitude dogmatique, complètement déconnectée de la réalité, ils vont finir par disparaitre. Ce seront d’ailleurs peut-être les électeurs qui vont régler le problème. Quand tout le monde se rendra compte que certains écologistes ne sont que des extrémistes incompétents, ils disparaitront alors de la scène.
Une des grandes questions qui inquiètent les électeurs est celle du coût d’une sortie du nucléaire?
Si l’on compare les tarifs de l’électricité en France et en Allemagne, puisque beaucoup d’écologistes nous présentent l’Allemagne comme le pays à suivre, le citoyen français paie son électricité 12 centimes le KW/h et émet dans l’atmosphère environ 6 tonnes de carbone par an. Un Allemand paie de son côté 23,6 centimes le KW/h, soit quasiment le double, et émet dans l’atmosphère pus de 10 tonnes par an de CO2. Alors il est vrai qu’ils ont beaucoup plus d’éoliennes que nous, mais ce ‘beaucoup’ représente un très faible pourcentage dans la production électrique finale. Et comme cela coute extrêmement cher à installer, ils complètent avec quelque chose de vite fait et pas cher, le charbon.
Au final, les Allemands se retrouvent avec 10% d’électricité d’origine renouvelable, et le reste est assuré par le charbon ou les exportations de gaz. Ils fonctionnent donc avec 10% de propre et 90% de sale, et nous, nous faisons l’inverse. Il faudrait donc que les Allemands se dépêchent d’imiter le modèle français.
Dans les discussions auxquelles on assiste actuellement en vue de 2012, on retrouve toujours la même question, très incomplète, qui est de savoir de combien il faut réduire la part du nucléaire en France. Suivant les opinions des uns et des autres, on en sort complètement, on s’arrête à 50% ou on maintient ce que l’on a actuellement.
Vous voulez augmenter la part du nucléaire en France ?
Cette question n’est jamais posée, est-ce qu’on ne pourrait pas penser à augmenter la part du nucléaire en France ? En effet, en même temps que l’on se pose toutes ces questions, arrivent en force les voitures électriques, qui présentent un avenir intéressant d’un point de vue écologique, notamment dans le cadre de la lutte contre le CO2. Cela demandera donc plus d’électricité, et donc plus de nucléaire, énergie totalement décarbonnée.
Pour conclure, je dirai que le phénomène que l’on rencontre en France est le même dans le monde entier. Il existe une espèce de dictature intellectuelle qui fait que l’on n’a pas le droit de parler du nucléaire comme d’une énergie propre. Quand on en parle c’est toujours du bout des lèvres. Or, la France est l’exemple type du fait que le nucléaire fonctionne et fonctionne même très bien. Si l’on développe l’énergie d’origine hydraulique et que l’on porte à 85% la part du nucléaire, on serait alors la première grande économie moderne à être totalement décarbonnée. Il suffirait d’une quinzaine de réacteurs supplémentaires et de cinq à dix barrages pour y parvenir.
A l’AEPN, nous ne nous demandons pas quand devons-nous sortir du nucléaire, ni combien de réacteurs faut-il arrêter, mais plutôt, de combien faut-il augmenter la production nucléaire en France pour faire face aux grands enjeux écologiques de l’avenir, à savoir décarbonner notre économie.
Commentaires récents