Par Michel Tarrier, entomologiste, écologue, philosophe et militant écologiste radical. Celui qui se baptise « écosophe » vient de publier « L’agroterrorisme dans nos assiettes » aux éditions Broché, un livre brûlot contre l’industrie agroalimentaire dont il tire ici une Tribune. Dérangeant mais intéressant?
Apanage des pays riches, la consommation de viande ne cesse d’augmenter dans le monde. L’élévation du niveau de vie dans les pays émergents amplifie les effets déjà catastrophiques d’une surconsommation de viande non soutenable et inutile. Hypocrite précaution : cet article vous dispense de vidéos aux images insupportables… Restons donc stupides et gardons notre vilaine conscience !
La consommation de la viande et du lait est partout en hausse. Elle s’accroit considérablement dans des pays comme la Chine. Depuis un demi-siècle, la production mondiale de viande est passée de 44 millions à plus de 220 millions de tonnes. La société humaine consomme annuellement plus de 53 milliards d’animaux par an ; dans l’ordre : poulets, canards, porcs, lapins, dindes, moutons, chèvres, bovins et chevaux. Dans le premier monde, 98 % de la totalité des animaux avec lesquels nous sommes en interaction servent à l’alimentation.
Les abattoirs nord-américains tuent quotidiennement 25 millions d’animaux par jour. Selon les estimations de la FAO, la production planétaire de viande et de lait doublera d’ici 2050. À cette occasion, les éthiciens agitent de plus en plus la question de notre responsabilité morale à l’égard des animaux. Les États-Unis transforment chaque jour 1000 tonnes de viande de b?uf en hamburgers, et chaque citoyen nord-américain dévore durant sa vie 9 b?ufs de 500 kg. Un Français mange 100 kg de viande par an, trois fois plus qu’il y a un demi-siècle.
La plupart de ceux qui se prétendent écologistes sont tout autant zoophages et les partis verts et ONG environnementales se refusent d’aborder le sujet, y compris dans le cadre de la fameuse cantine scolaire Bio du WWF où la barbaque trône en maître.
Aux États-Unis, 70 % des céréales sont destinés aux animaux d’élevage, contre seulement 2 % en Inde. Dans un parc d’engraissement américain de 37.000 bovins, 25 tonnes de maïs sont distribuées chaque heure. 90 % des cultures de soja, dévoreuses d’écosystèmes majeurs, vont aux animaux d’élevage pour la grande bouffe occidentale. Pour satisfaire à la demande, entre 1977 et 1980, le Brésil a augmenté de 400 % ses exportations de soja. Simultanément, 38 millions d’habitants étaient sous-alimentés et 10.000 petits Brésiliens mouraient de faim, Il faut 7 kg de céréales et 10.000 litres d’eau douce pour produire un seul kilogramme de b?uf.
Un consommateur humain qui passe au tout végétal, ne serait-ce qu’une fois par semaine, fait montre d’une solidarité planétaire de l’ordre de 5.000 litres d’eau par an. Le choix du mode alimentaire est donc déterminant dans la valeur de l’empreinte écologique de chacun. Si toutes les céréales utilisées pour le bétail américain étaient consommées directement, elles nourriraient 800 millions d’humains.
La production carnée est au premier rang des causes du détournement calorique planétaire : 500 calories d’énergie alimentaire issues d’un steak d’un demi-kilogramme demandent 20.000 calories de carburant fossile à produire. Les voilà les chiffres de la gabegie !
Dans le système nord-américain qui nous obnubile, la moitié de l’eau dont la majeure partie est non-renouvelable, est dilapidée au profit de l’arrosage d’une agriculture servant à la nourriture des animaux d’élevage. La pollution des eaux, dont celle de nature pesticidaire, est en grande partie le fait des rejets de l’élevage productif.
C’est aux méfaits de l’élevage qu’il faut attribuer 85 % de l’érosion de la fertilité des sols (déboisement, création de déserts agraires, désertification), et 20 % de l’augmentation de l’effet de serre causé par le méthane, gaz largement produit par les vaches que nous mangeons. On saccage 17 mètres carrés de forêt tropicale, abritant une phytomasse de 75 kg de plantes vasculaires et de vie animale, pour produire un steak haché de b?uf, chiffre évalué pour l’Amérique centrale. 200 millions d’hectares de forêts tropicales ont été rasés depuis 50 ans pour faire place à des pâturages d’engraissement ou à des fermes « modèles » de bovidés. En attendant d’amputer ce qui reste au profit des agrocarburants de première génération, nous transformons déjà des forêts en hamburgers tout en participant au réchauffement du globe.
Dans les pays traditionnellement voués au pastoralisme, notamment ceux musulmans, le surpâturage de rente a succédé aux modestes troupeaux familiaux. Cette charge outrancière des troupeau, qui se superpose à des paysages très sensibles parce que semi-arides, induit l’anéantissement irréversible des écosystèmes. C’est une tragédie sans remède et qui sera bientôt source de famine par tarissement des ressources naturelles, perte d’absorption des sols et assèchement des nappes phréatiques.
Outre le fait qu’une alimentation végétarienne réduit le risque de mort par attaque cardiaque de 50 à 4 %, et divise par trois le risque de cancer du sein et des ovaires, on voit bien que l’exploitation des animaux par la boucherie est aussi l’une des grandes causes de la faim dans le monde. Il est donc pour le moins stupide de la part des carnivores bien-pensants d’argumenter la famine du tiers-monde pour relativiser le souci d’un meilleur respect dû aux animaux.
L’élevage en batterie entre dans les pratiques les plus ignominieuses de notre humanité. Poules, dindes, cochons, bovidés sont industriellement torturés au nom de la recherche d’un profit maximal. Mais la morale est que ce mauvais traitement retombe sur la santé de ceux qui consomment cette chair pétrie de souffrances et de poisons.
À la production de la viande s’ajoute celle laitière, intensive : l’exploitation du cheptel bovin est éthiquement inqualifiable. L’image de la vache – reine des près – paissant paisiblement dans la verte prairie et se laissant traire avec allégresse par l’aimable fermière toute rougeaude est un pur produit d’agence qui cache une bien affligeante réalité. Comme tout mammifère, notre brave vache a besoin de mettre bas une fois l’an. Il n’en est plus question sous le motif de l’esclavage laitier auquel elle est soumise. Et si on laisse le veau téter, la vache va freiner la descente de son lait et nuire à la productivité imposée par le Crédit Agricole de son fermier-proxénète.
La fin justifie les moyens. Le veau lui est donc retiré quelques jours après sa naissance. Les vaches sont très maternelles et le stress qui en résulte est incommensurable. Si le veau est une future génisse, elle ira rejoindre le bataillon d’autres vaches laitières. Sa première grossesse aura lieu à deux ans, puis elle sera à nouveau fécondée trois mois après chaque vêlage, par insémination artificielle dans 70 % des cas. Elle sera maintenue en lactation sept mois au minimum par an et l’éleveur continuera à la traire même pendant sa grossesse.
Ce productivisme outrancier est si exténuant qu’il réduit le potentiel de longévité de l’animal, de vingt années à seulement cinq. C’est ainsi que les trois quarts de la viande bovine proviennent de vaches laitières sacrifiées pour causes de stérilité ou de rendements médiocres. Séquestrés dans des caissettes à claire-voie, les veaux à viande sont dans l’incapacité de se retourner, car tout exercice augmenterait leur développement musculaire, durcirait leur chair, et ralentirait leur prise de poids. La diarrhée, due à un régime inadapté mais savamment calculé pour leur causer une anémie donnant une chair blanche, rend les lattes glissantes, et les veaux tombent souvent, se blessant les pattes.
C’est pourquoi à leur arrivée à l’abattoir, beaucoup d’entre eux peuvent à peine marcher. 50 % de la production d’antibiotiques vont aux animaux d’élevage, sont administrés par ingestion subthérapeutique et se retrouvent dans nos corps et dans les sols. Pour « faire » un veau de boucherie, il faut donc : le priver de sa quantité suffisante de lait maternel, le transporter à l’encan par camion dès son plus jeune âge, le faire vivre au voisinage d’animaux malades et mourants, le vendre à des usines où, enchaîné à vie dans un cageot individuel de quelques 60 centimètres de large, on lui ôtera toute faculté de marcher, de s’allonger, de s’ébrouer et de jouer, le maintenir à l’obscurité pour diminuer son agitation, le priver de litière, le nourrir par des surplus de lait écrémé gouvernemental, lui supprimer toute nourriture solide, le rendre anémique, l’infester de maladies respiratoires et intestinales.
La vie faite à nos frères mammifères les cochons et les bovidés est invivable, mais l’immense majorité du milliard et demi d’animaux mangés en France sont des volailles. La vie de 90 % de ces oiseaux qui se déroule en batterie sous lumière permanente est un supplice. Les gentils végétaliens ne doivent pas se tromper d’adresse car la poule de ferme, aux ?ufs d’or bio, ne court plus les poulaillers.
6 milliards de poulets sont abattus chaque année au sein de l’Union européenne. Plus de 90 % des poules pondeuses sont soumises à un élevage intensif, dont le sadisme extrême est le recours à un suréclairage incessant, visant à accélérer la croissance en exploitant la photophase. Les volailles sont entassées dans des hangars sans fenêtre, pouvant contenir de 10.000 à 70.000 individus. Les poules sont incarcérées dans des séries de cages superposées dont chacune contient 4 à 5 sujets.
Chaque poule ne dispose pas plus de 550 centimètres carrés, c’est-à-dire l’équivalent d’une feuille de papier A4. Le gallinacé n’est finalement heureux que lorsqu’il arrive dans le four où il dispose enfin de quatre fois plus d’espace « vital »? Dans une indifférence totale, c’est l’animal qui paie le plus lourd tribut à notre perversion carnivore.
En renonçant au régime carné, ou en reléguant la viande à une consommation subsidiaire, il s’agit tant de mettre un terme aux affres environnementaux du pâturage intensif, que de soulager considérablement la faim dans les pays exploités, d’assurer aux pays exploiteurs une alimentation moins pathogène et dégénérative, d’établir un rapport moins barbare entre les animaux éleveurs que nous sommes et les animaux élevés, lesquels le sont très généralement dans des conditions abominables. L’effet dissuasif que l’on pouvait espérer de la vache folle, véritable effet boomerang de nos viles exactions, n’a duré qu’un temps. Attendons donc la prochaine et méritée volée de bois vert pour nous lamenter sur des méfaits qui ne sont que bel et bien mérités.
Salmonellose dans les ?ufs de batteries, vache folle au prion, poulets à la dioxine, viande de porc aux nitrates et aux nitrites se transformant dans notre corps en nitrosamines hautement cancérogènes, charcuteries à la listériose, cancer du pancréas par les viandes grillées, cancer du colon proximal et distal dus aux viandes rouges et transformées, cancer du sein (dit à récepteurs hormonaux positifs), les carnivores sont prêts à affronter les pires maux pour continuer à mettre de la souffrance animale et du cadavre dans leur assiette, et à permettre le plein emploi à la filière bouchère.
Une dernière réflexion sur le sujet : à quel délire paranoïde correspond le fait de « déguster » de l’agneau et de caresser son chien ? Inversons pour comprendre la gratuite relativité de cette attitude. Si nous mangeons du mouton, alors acceptons que les Chinois bouffent du chien, parce que nous ne valons guère mieux. Catégoriser en valeurs comestible ou sentimentale notre rapport à l’animal, et notamment aux mammifères monophylétiques (ancêtre commun), auxquels nous appartenons, est une démarche psychopathe. Sommes-nous complètement dingues ?
La viande rend malade, mais nous continuons à en manger de plus en plus…
La viande est source d’infernales cruautés, mais nous continuons à en manger de plus en plus…
La viande est objet de disparités entre les peuples, mais nous continuons à en manger de plus en plus…
La viande induit déforestation, désertification, pollution, mais nous continuons à en manger de plus en plus…
Même pas honte de vivre avec une mauvaise conscience !
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