Philippe Joudrier, biologiste spécialiste des biotechnologies végétales et ancien directeur de recherche à l’Institut National de Recherche Agronomique (INRA), il a présidé le Comité d’experts spécialisé de l’Agence Française de Sécurité Sanitaire des Aliments de 2006 à 2009 (devenu désormais l’Anses). Membre de l’Association Française des Biotechnologies pour le Végétal, Philippe Joudrier commente et critique les résultats alarmants de l’étude de Gilles-Eric Séralini sur la toxicité des OGM.
Quel est votre réaction de scientifique aux résultats alarmants de Gilles-Eric Séralini sur la toxicité du maïs OGM ?
Je ne suis pas vraiment surpris, cette étude est dans la droite ligne de ce qu’il a l’habitude de faire. C’est la 6e ou 7e étude qu’il produit sur les OGM, et malheureusement pour lui, ses études ont toutes été invalidées par la communauté scientifique. Ce qui est un peu curieux ici, c’est que cette étude de toxicologie ait été réalisée sans toxicologue de métier dans l’équipe de recherche, surtout pour une recherche de 2 ans et qui semble avoir bénéficié de moyens importants.
Au-delà de ces réserves, ces résultats restent alarmants…
Tels que sont présentés ces résultats, ils semblent en effet très alarmants. Mais dès l’introduction, l’étude commence par un mensonge. Ce n’est du tout la première étude de toxicité réalisée sur le long terme. On en recense pas loin d’une cinquantaine dans la littérature scientifique dont certaines ont duré jusqu’à 3 ans avec des porcs. L’an passé, une méta-analyse a été publiée. Elle portait sur 24 analyses de toxicologie à long terme dont 12 transgénérationnelles et sur plusieurs générations de rats notamment, et n’a rien trouvé d’inquiétant.
Cette étude revêt deux aspects choquants. Pourquoi avoir sélectionné une race de rats dits « Sprague Dawley » connus pour développer des tumeurs notamment mammaires en condition de stress ? Est-ce parce qu’ils ne sont pas pas toxicologues, et n’y connaissant rien, ils ont choisi cette espèce au hasard ? Ou pour une autre raison que je vous laisse imaginer ?
L’étude de Gilles-Eric Séralini est-elle orientée ?
Je n’en sais rien, mais il est normal de s’interroger. Par ailleurs, l’étude a utilisé 200 rats ce qui peut paraître considérable. Mais elle a multiplié les conditions avec notamment 3 diètes alimentaires, ce conduit à multiplier les cohortes de rats. Finalement pour chaque sexe, il ne reste plus que 10 rats dans chaque cohorte.
Comment voulez-vous tirer des conclusions statistiques sur une base aussi faible ? C’est dommage d’avoir consacré autant de temps et d’énergie à cette étude, et ne pas avoir défini un protocole expérimental qui permette d’avoir une puissance statistique suffisante. D’autant qu’ils ont utilisé une méthode statistique assez peu conventionnelle, une sorte de voyage de pêche statistique, qui n’est pas utilisé par les toxicologues pour ce type d’étude.
Ces résultats méritent-ils d’être creusés ?
L’Anses ne va pas faire d’étude. Elle va simplement publier un avis sur l’étude de Gilles-Eric Séralini. Et je pense qu’elle va invalider cette étude, comme les précédentes l’ont été par la communauté scientifique.
Cette étude s’attache à démontrer par exemple que le glyphosate, l’élément actif du Round-up, a peut-être un effet sur la santé, ce qui est possible mais cela ne veut pas dire que les rats ont mangé des OGM, c’est un peu gênant. Dans certaines cohortes, il y a des rats mâles et femelles qui étaient en meilleure santé que les rats témoins. C’est également un peu gênant.
Par ailleurs, nous ne disposons pas encore des données brutes de cette étude mais seulement d’une partie de ces données.
Comprenez-vous que cette étude ait été réalisée dans le plus grand secret ?
C’est étrange. Par exemple, on ne sait pas précisément où a été réalisée cette étude. En principe, le laboratoire de Caen n’est pas équipé pour faire de la toxicologie. L’étude précise qu’elle a respecté les bonnes pratiques de laboratoire dites BPL, c’est la moindre des choses. Mais normalement, tous les tests en toxicologie sont réalisés par des laboratoires accrédités « qualité recherche » du type ISO 9000 ou 14000, ici cela ne semble pas le cas.
Si Gilles-Eric Séralini est farouchement du côté des anti-OGM, on vous classe généralement dans le camps des pro-OGM, comme votre association, l’AFBV, qui croire ?
A l’Association Française des Biotechnologies pour le Végétal, nous ne réalisons pas d’étude. Nous sommes tous des bénévoles qui combattons les mensonges scientifiques.
Votre association n’est pas la voix des industriels des biotechnologies ?
Nous ne sommes pas financés par Monsanto ou ses concurrents. Nous entendons simplement promouvoir la recherche sur les biotechnologies végétales que la France a abandonné depuis 15 ans. Il n’y a plus de recherche à l’Inra. Nous étions pourtant les premiers dans ce domaine. Depuis 1984, l’Inra n’a pas sorti un seul OGM.
Qu’on soit pour ou contre, il est anormal que la recherche ne puisse pas avancer. Quand j’entends José Bové qui dit aujourd’hui qu’il faut faire des expérimentations, il est un peu gonflé. A chaque fois qu’une expérimentation ait réalisée, elle est détruite. Faut arrêter de se moquer du monde.
Il n’y a plus un seul chercheur à l’Inra qui travaille sur les OGM à vocation alimentaire. On perd nos compétences. Conclusion, on se retrouve à importer des OGM d’autres pays. Un parlementaire a récemment posé la question de l’état de la recherche française. Il n’y a pas eu de réponse. Je ne sais même pas si nous disposerons bientôt d’experts capables de porter un jugement sur les OGM étrangers.
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