La distribution d’électricité, garante de l’aménagement équilibré des territoires, se prépare à de profondes mutations. Le règne sans partage de l’informatique et des communications électroniques, le développement de la domotique et des véhicules électriques, l’injection des productions locales, redéfinissent nos réseaux conçus sur un modèle très centralisé.
Demain, ils resteront interconnectés mais davantage organisés à l’échelon local. Que l’énergie électrique vienne à manquer sur un territoire et la quasi-totalité des activités humaines est désormais touchée, y compris même les services publics vitaux. Telle a été la malheureuse expérience de millions de consommateurs au plus fort des tempêtes qui se sont succédé depuis le début des années 2000.
Le système électrique français est organisé en délégations de service public. Sous l’égide de syndicats départementaux qui regroupent le plus souvent la totalité des communes, ERDF exploite les réseaux qui appartiennent aux collectivités territoriales. La proximité des élus avec les citoyens garantit l’adéquation de ce service public essentiel.
Or, depuis quelques années, le dialogue entre ERDF et les collectivités est fragilisé. Une fragilité amplifiée par le changement de statut du groupe EDF, SA depuis 2004, après 58 ans d’Etablissement public industriel et commercial d’Etat. En effet, loin de vouloir créer les conditions préservant, dans la durée, la qualité de la distribution d’électricité, ERDF tente d’imposer une profonde modification de l’économie générale des concessions, dans un sens plus favorable aux intérêts à court terme du groupe Edf, au détriment de l’intérêt général.
Pendant une dizaine d’années, les élus ont dénoncé de nombreuses dérives: chute des investissements sur les réseaux entre la fin des années 1990 et 2009, baisse de la qualité moyenne de l’électricité distribuée, aggravation de la « fracture territoriale électrique » (le temps de coupure par abonné variait en 2010 dans une proportion de 1 à 25 selon les concessions !). A force d’opiniâtreté, les concédants ont fini par convaincre ERDF de la nécessité d’inverser cette tendance extrêmement préoccupante et de reprendre ses investissements, qu’il y a lieu de poursuivre.
Les tempêtes mais plus encore de simples aléas climatiques avaient alors fait la triste démonstration de la fragilité du réseau. Un redressement s’est amorcé mais il faut rester prudent. Si la qualité de l’électricité s’est améliorée en 2011, il s’agissait d’une année exceptionnellement calme du point de vue de la météo. Et, avec 73 minutes de temps de coupure, on reste loin du niveau atteint en 2002 (42 minutes).
Plus récemment, ERDF a multiplié les initiatives visant à priver les collectivités des moyens d’exercer efficacement leurs attributions de régulateurs locaux. Ainsi, le concessionnaire a proposé à plusieurs villes de renouveler de manière anticipée des concessions, avec des cahiers des charges largement remaniés à son avantage : attribution à ERDF de la propriété des compteurs communicants et des futurs « smart grids » (ces équipements stratégiques pour l’avenir appartiennent aux autorités concédantes), suppression des provisions pour renouvellement en contrepartie de l’élaboration, par le concessionnaire, de « schémas directeurs » sur lesquels le concédant n’aura qu’un vague avis consultatif, revalorisation démesurée de l’indemnité due en fin de contrat par le concédant à ERDF si la concession ne lui était pas ensuite réattribuée, suppression de toute maîtrise d’ouvrage de travaux par le concédant (ce qui lui ferait perdre toute expertise pour orienter les travaux réalisés sur son territoire ou contrarierait les efforts de coordination de travaux sur voirie soutenus par nos collectivités).
Qui plus est, ERDF vient de procéder ? unilatéralement et dans toute la France ? à un allongement de la durée d’amortissement des réseaux. Cette opération financière et comptable aura pour conséquence d’augmenter en fin de concession leur valeur nette comptable, et donc la dette virtuelle du concédant vis-à-vis d’ERDF. S’ajoute, pour le concédant la double peine liée à des reprises sur provisions venant améliorer les résultats de la maison mère aux dépens du service public.
Ce constat est d’autant plus consternant que le professionnalisme et l’attachement au service public des milliers d’agents d’ERDF sont incontestables. C’est bien une politique d’entreprise imposée à l’ensemble des collaborateurs qui est en cause. Son objectif est clair : réduire durablement la capacité d’action des autorités organisatrices et améliorer les conditions de profitabilité de la filiale d’EDF et donc du groupe coté en bourse.
Cette stratégie s’inscrit dans le contexte d’une possible ouverture à la concurrence des concessions électriques, un débat ouvert par la récente proposition de directive européenne sur les concessions. Pensant se créer ainsi les conditions d’une position de facto dominante en cas de mise en concurrence, ERDF fait le choix de s’affranchir du fondement démocratique des concessions et de tout véritable contrôle public local. Est-ce le bon choix ? Certainement pas.
En tout état de cause, certaines dérives qui ont été dénoncées ne doivent plus perdurer. Les élus en charge de l’organisation du service public et redevables devant leurs concitoyens de sa bonne exécution, appellent de leurs voeux la restauration de relations de confiance et de partenariats équilibrés, empreints de respect mutuel. Un vigoureux changement de cap s’impose. Tel est le message que nous adressons aussi à l’Etat qui, selon l’article 3 de la loi du 2 février 2000 relative au service public de l’électricité, est chargé, avec les collectivités, de la mise en oeuvre et du bon accomplissement des missions de ce service public essentiel pour la nation.
Motion du conseil d’administration de la FNCCR ? novembre 2012 – Texte adopté à l’unanimité par le Conseil d’administration de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)
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