Thomas Porcher, docteur en économie et professeur en marché des matières premières à l’ESG-MS. Dans un petit livre très didactique publié le 2 mai aux éditions Max Milo (4,90 ?), intitulé « Le mirage du gaz de schiste », le spécialiste des questions énergétiques fait la lumière sur les réels enjeux économiques de cette énergie en France, détruisant beaucoup de contrevérités assénées par les lobbies industriels.
Vous venez d’écrire un petit essai économique sur le gaz de schiste, pourquoi parler de mirage alors qu’on ne sait toujours pas la nature de nos ressources ?
Les lobbies industriels parlent de miracle économique du gaz de schiste pour tenter de lancer son exploitation en France. Je pense qu’il s’agit plutôt d’un mirage économique. Les chiffres évoqués sont pour la plupart faux.
Pourquoi minimiser le gisement d’emplois que cette production pourrait représenter en France alors que les USA recrutent en masse depuis plusieurs années, ayant créés 600 000 emplois selon certaines estimations ?
Quelque soit la nature des réserves françaises que l’on ne connaît pas encore, la création d’emplois qu’on nous annonce est erronée. Pour atteindre les 100 000 emplois évoqués en 2020 en France, il faudrait forer massivement les sols. Après forage, un puits n’emploie en fait qu’un seul emploi.
L’exploitation gazière est une production de rente. La forte création d’emplois enregistrée aux Etats-Unis s’explique par un forage intensif et difficilement imaginable en France.
Le chiffre évoqué par les experts de Sia Conseil ne prend pas en compte le solde des créations et des destructions d’emploi de cette activité, au fil du cycle de production d’un puits. La réalité c’est qu’il faudrait forer 90 000 puits en France dans les 7 prochaines années pour obtenir ces 100 000 emplois évoqués. C’est 35 nouveau puits par jour qu’il faudra forer jusqu’en 2020.
Vous déconstruisez ce que vous appeler le mythe du trésor dans le jardin, de quoi s’agit-il ?
A la différence des Etats-Unis, le sous-sol français appartient à l’Etat. On nous dit que les propriétaires américains qui autorisent l’exploitation de gaz de schiste sur leur terrain gagnent beaucoup d’argent et qu’on pourrait faire de même en France. Des gens comme Claude Allège soutiennent qu’il faut changer le code minier français pour qu’il soit plus favorable aux propriétaires et que les populations concernées y soit plus favorables.
Je considère que cela est faux. Une étude a démontré que tous les terrains situés dans un périmètre de 2 000 mètres autour d’un seul puits de gaz de schiste perdaient automatiquement 30% de leur valeur. Lorsque les puits se multiplient, certaines propriétés n’ont plus aucune valeur sur le marché de l’immobilier.
En gros, une réforme du code minier français pourrait rendre l’exploitation du gaz de schiste intéressante financièrement à quelques propriétaires, mais très défavorable à une grande majorité d’autres ?
Oui, c’est cela. Il faut cependant vérifier que ces propriétaires qui reçoivent pendant quelques années une redevance des industriels qui exploitent ce gaz dans leurs sols, ne perdent pas plus de l’autre côté, avec la dévaluation de leur patrimoine immobilier. Mais dans le cas de la France, les industriels n’auraient même pas besoin de creuser dans les jardins, mais à côté, ce qui nuiraient aux propriétaires sans en tirer le moindre bénéfice.
Au c?ur de ce débat, on évoque la possibilité de faire baisser la facture énergétique des français, comme aux Etats-Unis. Pourtant, vous affirmez que « les compagnies feront des profits énormes sans gain significatif sur la facture des consommateurs » ?
Il existe 3 marchés du gaz dans le monde qui fonctionnent selon des règles différentes. A côté du marché américain qui est un marché de spot, où l’offre et la demande commande directement le prix du gaz, le marché européen fonctionne à partir de commandes sur le long terme.
Pour qu’une production de gaz de schiste française ait un impact sur les prix, il faudrait que la France n’importe quasiment plus de gaz, ce qui ne sera pas le cas. Si le gaz de schiste produit en France sera potentiellement moins cher que le gaz importé, il sera néanmoins vendu au même prix que le gaz importé car le gaz tarifé sur le même marché européen. Cela créera simplement des rentes de situation au seul profit des industriels qui sont évidemment pressés d’en bénéficier.
Pourquoi évoquez-vous également le mythe de l’indépendance énergétique alors que cette production nationale de gaz pourrait nous permettre de moins dépendre des importations énergétiques ?
L’Agence Internationale de l’Energie a annoncé qu’en 2030, les Etats-Unis seront indépendants en matière d’énergie, grâce aux gaz et huiles de schistes. Le problème c’est que les experts de l’AIE obtiennent ce résultat en lissant simplement les chiffres actuels jusqu’en 2030.
Au rythme actuel, il faudra donc que les Etats-Unis continuent de forer 1 puits toutes les 8 minutes, 24 heures sur 24, pendant près de 20 ans, soit 70 000 puits chaque année. Cela ne se passera pas comme ça. Le monde n’est pas figé.
Est-ce que le territoire américain mais aussi les Américains eux-mêmes pourront supporter le forage de 1,7 million puits ? De même, est-ce que les autres pays producteurs de gaz vont rester sans rien faire ou ne vont-ils pas être tentés de s’organiser en cartel, comme l’ont fait les producteurs de pétrole avec l’Opep ?
L’AIE s’est régulièrement trompé dans ses estimations. En 2000, cette agence pensait que le prix du pétrole se vendrait autour de 24 dollars en 2010 et 28 dollars en 2020. Il se vendait déjà plus de 100 dollars en 2010. Les Etats-Unis se seront certainement pas indépendants énergétiquement en 2030 mais en l’annonçant, l’AIE légitime la politique américaine actuelle qui s’apparente plus à une ruée vers l’or qu’à une politique réfléchie et durable, au seul profit de quelques industriels contre l’intérêt général.
Sans copier les excès américains, n’est-il pas possible d’imaginer un modèle d’exploitation différent, plus respectueux de l’environnement et de l’intérêt général ?
Pour que cette production de gaz soit économiquement rentable, il faudra produire de manière suffisamment importante. Il n’y a aucun intérêt à produire de manière homéopathique.
On a pourtant besoin de gaz qu’on importe massivement, pourquoi ne pas le produire ?
Bien sûr, qu’on a encore besoin de gaz et que d’ailleurs la facture énergétique repose en priorité sur les plus pauvres. Dans le cas d’une réforme importante du code minier français et d’une alternative à la fracturation hydraulique, pourquoi ne pas y réfléchir, même si la plupart des gens qui sont favorables aux gaz de schiste sont parisiens ou vivent très loin des zones concernées par l’exploitation de gaz de schiste.
En guise de conclusion, vous conseillez de ne pas exploiter ce gaz de schiste maintenant en France, pour des raisons environnementales mais surtout économiques car « garder le gaz sous terre, c’est un peu comme conserver une épargne »?
Les lobbies industriels sont pressés d’exploiter ce gaz de schiste car ils veulent profiter du code minier actuel qui leur est économiquement très favorable. Mais il n’y a aucune raison de se presser. Si on rate la transition énergétique, on conservera toujours ce gaz sous terre qui sera utilisable à l’avenir avec des techniques certainement plus propres. On laissera même cette richesse potentielle aux générations futures, car les prix du gaz sont structurellement orientés à la hausse.
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