Denis Merville, médiateur de l’énergie depuis novembre 2007. Chargé d’informer les consommateurs sur les questions énergétiques mais aussi de recommander des solutions aux problèmes rencontrés, le médiateur,par ailleurs maire de Sainneville en Seine-Maritime, commente la publication de son rapport annuel qui s’inquiète notamment de la question récurrente de la précarité énergétique. Une situation qui risque de perdurer avec le retard de l’élargissement annoncé des tarifs sociaux.
Vous venez de publier votre rapport annuel. Après 5 ans en tant que médiateur de l’énergie, quel bilan faites-vous de votre activité ?
Depuis 2008, nous avons traité 72.000 litiges, renseigné 5 millions de personnes avec Energie-Info et publié plus de 4.700 recommandations. Nous faisons des propositions aux pouvoirs publics comme aux opérateurs pour trouver des solutions aux problèmes concrets rencontrés par les consommateurs.
Après 5 ans, nous constatons certains acquis. On peut citer notamment la réversibilité, à savoir la possibilité pour tout consommateur ayant quitté le dispositif réglementé, d’y revenir. Cela n’était pas possible auparavant.
Nous avons également permis d’accélérer les remboursements des trop payer pour les consommateurs. Il était choquant de constater les délais pratiqués par les opérateurs, qui mettaient près d’un an à rembourser les clients. Cette question a fait l’objet de l’une de mes premières réclamations, traduite depuis dans la loi Nome.
C’est le principe, mais dans les faits ? Sous combien de temps les consommateurs sont-ils aujourd’hui remboursés en cas de trop payer ?
Désormais, les consommateurs sont remboursés dans les 15 jours, quelque soit le montant.
Nous avons également pu élargir le champ des tarifs sociaux, ce qui a permis à plusieurs dizaines de milliers de foyers d’en bénéficier.
S’agissant justement du tarif social, vous évoquez un important retard à l’allumage du dispositif, par rapport aux promesses politiques de sa généralisation à tous les ayants droit ?
Nous alertons depuis plusieurs années sur la question de la précarité énergétique qu’il faut combattre. Même si ce n’est pas la fonction initiale du médiateur, nous sommes de plus en plus sollicités par des consommateurs qui peinent à régler leur facture d’énergie.
Cela concerne combien de foyers en France ?
D’après les chiffres, cette précarité énergétique concernerait 2 millions de foyers. Dans les faits, 1,2 million de foyers bénéficieraient réellement du tarif social, malgré la loi Nome de décembre 2010, qui prévoit en principe, l’automatisation des fichiers pour accélérer les procédures.
Cette question devient criante avec la crise et les prix de l’énergie qui augmentent. Le nouveau gouvernement a élargi le champ des ayants droit mais les opérateurs nous disent qu’ils n’ont pas encore les fichiers correspondants.
La loi Brotte élargit également ce champ des ayants droits aux personnes qui sont au-dessous du seuil de pauvreté. Mais là, il n’existe pas vraiment de fichiers spécifiques, si ce n’est Bercy qui détient les déclarations fiscales, à condition qu’ils acceptent de les transmettre et qu’ils en aient le droit, ce qui n’est pas si évident.
Bref, avec les problèmes d’appels d’offres à lancer, d’échanges de fichiers, de vote de loi, tout cela va prendre 1 à 2 ans au mieux. Donc cela veut dire que l’hiver prochain risque d’être difficile.
Quelles solutions rapides pour l’hiver prochain ?
On plaide depuis plusieurs années pour le « chèque énergie » attribué en complément de l’allocation logement. Ce dispositif simple permet de couvrir les frais de chauffage, le poste énergie qui coûte le plus cher. Pas de problème de fichiers, les bénéficiaires sont connus. Pour les personnes en difficulté qui se chauffent au bois ou au fioul, on peut imaginer de relancer le dispositif d’aides à la cuve sous conditions de ressources.
S’agissant du fameux compteur intelligent qu’on attend toujours, quelle est votre position ?
S’agissant du compteurs intelligent, nous avons toujours plaidé pour que le consommateur soit associé à la démarche. Il faut que cela soit un outil de sobriété énergétique comme l’a souligné la ministre et pas seulement un outil au service des opérateurs. C’est désormais un avis largement partagé, ce qui va dans le bon sens.
Nous avons participé aux discussions récemment avec Delphine Batho pour relancer le dossier. Ce compteur était conçu à l’origine par les opérateurs pour limiter les pointes de consommation. Le consommateur n’était pas vraiment associé à ce dispositif.
Avec l’Ademe, nous avons toujours dit que ce compteur devait permettre au consommateur de connaître sa consommation, pour mieux la maitriser. Avec la technologie qui a évolué, cela peut se faire aujourd’hui par un afficheur déporté. Le consommateur peut en principe suivre sa consommation par internet, par SMS.
J’ai constaté que Michèle Bellon (présidente d’ERDF ? NDLR) partage désormais largement cet avis, en faveur d’un compteur plus communicant. Les choses devraient désormais avancer plus rapidement. Il faut désormais lancer l’appel d’offres.
Qui va payer ?
En principe, cela ne doit pas coûter plus cher pour le consommateur. ERDF doit faire des économies grâce à une meilleure gestion. Même si rien n’est jamais gratuit, ce compteur ne doit pas être facturé en plus au consommateur.
Comment expliquez-vous la formidable surdité des Français vis-à-vis de l’ouverture du marché de l’énergie, un marché qui leur semble toujours aussi virtuel pour les consommateurs ?
On constate en effet que 90% des Français sont toujours chez les opérateurs historiques. Selon notre dernier Baromètre Energie-Info, beaucoup de consommateurs ignorent encore qu’ils peuvent changer de fournisseur. Un tiers d’entre eux pensent encore que EDF et GDF forment la même entreprise.
Cela peut notamment s’expliquer par la complexité de certains termes. Deux tiers des Français ne savent pas ce que sont les tarifs réglementés. Ils considèrent que le prix de l’électricité, c’est EDF, et le prix du gaz c’est GDF. Il reste encore beaucoup de communication à faire dans ce domaine, même si nous l’avons fait à notre niveau et avec nos moyens.
Quelles sont les autres recommandations que vous formulez cette année ?
Outre la question du chèque énergie, nous considérons qu’il faut faire plus pour le social dans le calcul de la CSPE (Contribution au Service Public de l’Electricité ? NDLR) car on sait très bien que c’est pas l’Etat qui va payer, il n’en a pas les moyens. Il y a des arbitrages à faire car dans le même temps, l’énergie renouvelable coûte cher, environ 3,5 milliards d’euros.
Cette facture de 3,5 milliards d’euros par an pour les énergies renouvelables est sujette à caution, son coût est en réalité beaucoup plus important au regard du rattrapage à prévoir de plusieurs milliards en faveur d’EDF…
C’est vrai que cette CSPE n’a pas été augmenté comme elle l’aurait dû. Aujourd’hui, EDF va pouvoir récupérer les milliards qui lui étaient dû dans les tarifs.
Est-ce que vous avez votre mot à dire dans le jeu de dupes qui se joue entre la Commission de régulation de l’énergie et le gouvernement à chaque demande d’augmentation des tarifs de l’énergie ?
En principe non, même si cela concerne très concrètement les consommateurs qui nous posent des questions et nous font part de leurs difficultés. Par exemple, avec le rattrapage des prix du gaz, les Français vont recevoir des factures horriblement compliquées, et ils vont forcément nous interroger.
Nous plaidons en faveur du respect des prix de marché plutôt que de fonctionner de la sorte, en faisant du stop and go, pour au final aboutir à des rattrapages inévitables. Dans le même temps, il faut bien entendu avancer vers plus de sobriété énergétique et rénover les logements. L’énergie la moins chère, c’est celle que l’on ne dépense pas.
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