Loin d’atteindre son but initial, le marché du carbone a fait l’objet le 1er mars 2017 d’un nouvel accord au sein de l’Union européenne pour réformer son fonctionnement. Tandis que les futurs quotas restent à définir, les interrogations planent toujours sur la capacité de l’Europe à atteindre ses objectifs en matière d’émissions de gaz à effet de serre.
Près de 10 ans après son lancement en Europe, le marché du carbone (ou ETS pour Emission trading scheme) est en passe d’effectuer une mue en négociation depuis bientôt deux ans. 15 jours après les eurodéputés, les ministres européens de l’Environnement sont à leur tour tombés d’accord sur la réforme de l’ETS, créé en 2005 suite au protocole de Kyoto. Lancé en 2008 par Bruxelles, le marché européen du carbone s’est rapidement heurté à la crise économique mondiale ainsi qu’à un surplus de quotas, évalué entre 2 et 3 milliards d’euros. La réforme du marché du carbone, qui devrait s’appliquer à partir de 2020, a pour objectif d’augmenter le prix de la tonne de GES, aujourd’hui autour de 5 euros, pour inciter les entreprises à investir dans des technologies propres et à émettre moins de CO2. L’accord trouvé le 1er mars 2017 constitue en cela un « pas important », selon la Commission européenne, afin d’atteindre d’ici 2030, 40 % de réduction des émissions de GES par rapport à 1990 et 43 % par rapport à 2005, conformément aux engagements pris lors de la COP21.
Les « droits à polluer » en discussion
Le prix des quotas, également connus sous le nom de « droits à polluer », est à présent au centre des débats entre deux groupes de pays européens, partagés quant à l’effort à consentir pour l’environnement. D’un côté, l’alliance entre la France, la Suède et le Benelux demande à ce qu’il passe à 20 euros, montant minimum d’après eux pour que les industriels transforment leurs processus de fabrication. En juillet 2015, ils ont déjà permis la création d’une réserve de stabilité du marché (RSM), qui consiste à retirer une partie des quotas en surplus, et dont le rythme de remplissage sera maintenant doublé. Les pays du nord ont également obtenu, à partir de 2024, l’expiration des droits à polluer au bout de cinq ans. Mais face à eux, un deuxième groupe, composé de l’Italie, l’Autriche, la Grèce et tous ralliés derrière l’Allemagne, fait preuve de réticence au changement pour préserver la compétitivité immédiate de leur industrie. Ces pays demandent notamment à ce qu’un quota supérieur soit attribué aux secteurs à forte consommation d’énergie, une forme de gratuité que Bruxelles doit également arbitrer. La Grèce a d’ailleurs obtenu une compensation de 20 millions de quotas supplémentaires afin de « faciliter » les échanges commerciaux avec ses nombreuses îles.
Un effort mondial croisant, mais insuffisant ?
Selon l’ONG Carbon market watch, le nouvel accord européen sur le marché du carbone constitue « un pas dans la bonne direction pour lutter contre des surplus massifs », même si « les mesures proposées ne suffiront pas à atteindre les objectifs fixés par l’accord de Paris ». D’après la Banque mondiale, les systèmes de taxe carbone ou d’échange de quotas pourraient permettre de réduire le coût de l’atténuation du changement climatique de 32 % d’ici 2030. Et d’ici le milieu du siècle, un marché international du carbone aurait le potentiel de diminuer ces coûts de plus de moitié, selon l’organisme. « Plus nous coopérons à travers le marché du carbone, plus les économies seront importantes et plus le potentiel d’augmenter l’ambition des pays à court terme sera grande », a déclaré en octobre John Roome, directeur du changement climatique à la Banque mondiale. Avec l’ouverture programmée d’un marché du carbone en Chine cette année et au Canada en 2018, 25 % des émissions mondiales de GES seront couvertes par le prix du carbone, selon Thierry Fornas et Gérard Maradan, fondateurs de l’agence de conseil en stratégie carbone EcoAct. « La réforme actuellement proposée par le Parlement européen permettra, au mieux, d’atteindre un prix de 20 euros la tonne en 2030, analysent-ils dans une tribune. Or, l’on sait que pour amorcer la transition du charbon vers le gaz, le seuil se situe autour de 30 euros. C’est donc le niveau minimal que le marché carbone devrait atteindre dès 2020, avant d’envisager ensuite une hausse progressive. »
La France, en avance grâce au nucléaire
Pour parvenir à atteindre ces objectifs, certains pays ont plus de progrès à réaliser que d’autres. En France, la production électrique, déjà bas carbone à 94 % selon le Réseau de transport d’électricité (RTE), émet six fois moins de GES par habitant que la moyenne des pays d’Europe. La prise de conscience de l’importance de la décarbonisation a déjà permis une baisse des émissions de GES de 16 % depuis 1990. Si l’Hexagone est tellement en avance sur ses voisins européens, qui pour la plupart espèrent atteindre le niveau français d’ici à 2050, c’est grâce à l’importance de son parc nucléaire, qui compte 19 centrales et 58 réacteurs sur l’ensemble du territoire. Deuxième plus grande nation au monde dans ce secteur derrière les États-Unis, la France est le pays où la part de l’atome est la plus grande avec 77 % de la production énergétique issue du nucléaire. Source d’électricité à prix compétitif, la filière atomique présente également l’avantage de ne pas émettre de CO2dans sa phase de production.
En prenant en compte toutes les étapes, les centrales d’EDF produiraient même l’énergie la plus propre du mix énergétique français avec 4 g de CO2 par kWh contre 6 g pour l’hydraulique, 8 à 20 g pour l’éolien, 14 à 80 g pour le photovoltaïque, dues essentiellement à la construction des installations. C’est 150 fois moins que le charbon, qui comme toutes les énergies fossiles émet beaucoup plus de GES. Moins intermittent que les énergies renouvelables, encore fortement dépendantes des conditions météorologiques, et plus souple grâce à des réacteurs capables d’ajuster leur puissance à plus ou moins 80 % en 30 minutes, le nucléaire doit permettre, avec les énergies vertes, de se rapprocher de l’objectif européen de 40 % d’émissions de GES en moins d’ici 2030. Au Royaume-Uni, la complémentarité des deux filières se traduit par le doublement des investissements dans les EnR (de 12 à 22 milliards de dollars) entre 2013 et 2016 et le projet de construction de deux réacteurs nucléaires à Hinkley Point pour un coût total de 44 milliards d’euros en 2025.
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