Un amendement déposé à la dernière minute par le gouvernement a semé le trouble dans le secteur des énergies renouvelables et plus particulièrement de l’éolien offshore. L’exécutif souhaite renégocier le tarif d’achat de l’électricité produite par les éoliennes en mer. Une volonté qui n’a pas franchi l’obstacle du Sénat, mais qui demeure intacte au grand dam des professionnels envahis par un sentiment d’insécurité juridique. L’éolien français offshore entre dans une période d’incertitudes dont nul ne peut prévoir la longueur et ses conséquences.
Les vents de l’éolien en mer seraient-ils contraires ? La question se pose après la décision inattendue du gouvernement de déposer un amendement au projet de loi Société de confiance débattu au Parlement en ce mois de mars 2018. Cet amendement déposé en urgence visait à renégocier le tarif d’achat de l’électricité pour les projets de parcs éoliens attribués en 2012 et 2014. Une remise en cause d’appels d’offres validés par l’Etat et qui a suscité une levée de boucliers des sénateurs au premier rang desquels figurent les élus des principaux départements concernés (Vendée, Loire-Atlantique, Calvados, Cote d’Armor et Seine-Maritime). Le député LR Christophe Priou a notamment fait savoir qu’un tel amendement « repousserait fatalement le lancement des parcs offshore, alors que les régions ont investi 600 millions d’euros dans les infrastructures portuaires pour maximiser les retombées économiques des projets lauréats ».
Le combat politique est engagé
Cette prise de parole a largement été entendue puisque le Sénat a rejeté l’amendement gouvernemental. Les présidents des régions concernées veulent nouer le dialogue avec le ministère de la Transition écologique et solidaire et déplorent « l’absence de concertation tant avec les acteurs de la filière EMR (Énergies marines renouvelables) qu’avec les collectivités territoriales concernées ». Ils soulignent aussi le « caractère rétroactif » de l’amendement qui est « de nature à amoindrir la confiance des investisseurs comme des industriels de la filière ». Une confiance pourtant essentielle pour des projets qui coûtent plusieurs dizaines de millions d’euros.
Les industriels ne peuvent pas prendre en charge l’intégralité des coûts d’une technologie en plein développement et qui nécessite la mobilisation de capitaux importants. Sensibilisés à l’intérêt d’une transition énergétique rapide, les pouvoirs publics se sont engagés auprès des industriels à hauteur de 600 millions d’euros comme l’a rappelé Christophe Priou. Une somme conséquente qui n’effraie pas un Gouvernement qui vise justement une participation moins forte de l’Etat. Sommé de se justifier l’exécutif explique que « le tarif accordé [aux lauréats des appels d’offres de 2012 et 2014] est très élevé et ne correspond plus aux prix actuels de l’éolien en mer, entrainant des rémunérations excessives pour les candidats retenus ». L’Etat entend donc faire des économies en renégociant des tarifs plus en phase avec les développements technologiques enregistrés au cours de ces dernières années.
Le gouvernement cherche à faire des économies et joue une grande partie de sa crédibilité sur ce sujet. Il précise donc que le tarif d’achat de 190 euros par mégawatheure pour une période de vingt ans n’est plus viable et qu’une renégociation est nécessaire. La Commission de Régulation de l’Energie (CRE) apporte de l’eau au moulin gouvernemental puisque, selon elle, les six appels d’offres de 2012 et 2014 engendreraient un coût de 40,7 milliards d’euros. C’est pourquoi malgré l’échec de l’adoption de l’amendement, l’exécutif ne désarme pas et rappelle qu’ « à ce jour, aucun contrat d’obligation d’achat n’a été signé et aucune de ces installations n’est construite ». Autrement dit, il est toujours possible de revenir sur les accords passés et le secrétaire d’Etat à la Transition écologique, Sébastien Lecornu, ne cache pas que les objectifs du Gouvernement « restent les mêmes ». Les industriels sont appelés à s’adapter aux évolutions (rapides) du marché sans que cela ne leur soit préjudiciable dans la mesure où si un projet venait à être annulé, les dépenses déjà consenties seraient remboursées par l’Etat.
Insécurité juridique et coup dure pour l’éolien offshore ?
Pour les entreprises en question, cette solution n’en est pas une, car en plus de geler des projets qui ont fait l’objet de milliers d’heures de travail, revenir sur de tels accords distille une « insécurité juridique » qui pourrait être fatale à tout le secteur des énergies renouvelables au-delà même des parcs éoliens offshore. L’association France Energie Eolienne, qui regroupe les principales entreprises du secteur, déplore une attitude gouvernementale qui vient rompre « le climat de confiance » et « fragilise les engagements à long terme qui étaient pris ».
Le changement de rythme intervient à un moment d’autant plus délicat que les projets susceptibles d’être remis en question commencent à se concrétiser avec notamment une usine de nacelles nouvellement construite par General Electric à Saint-Nazaire. Les 15 000 créations d’emplois prévus grâce à l’émergence du secteur éolien marin se retrouvent mis en difficulté et cela suscite une incompréhension d’autant plus grande qu’elle semble aller contre les objectifs définis par le ministère de la Transition écologique et solidaire.
A juste titre, le ministère dirigé par Nicolas Hulot assure que l’éolien offshore constitue une ressource de choix pour la France. Doté du second potentiel européen derrière la Grande-Bretagne, l’Hexagone a pourtant pris du retard par rapport aux pays nordiques et à l’Allemagne. Un retard qui s’il venait à être comblé, permettrait d’atteindre l’objectif de 40 % d’électricité renouvelable d’ici à 2030.
Les appels d’offres lancés depuis 2011 dans le cadre de la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) visent à atteindre 6 000 mégawatheures à l’horizon 2020. Remettre en cause les six projets de Courseulles-sur-mer (Calvados), Fécamp (Seine-Maritime), Saint-Brieuc (Côtes d’Armor) et Saint-Nazaire (Loire-Atlantique), du Tréport (Seine-Maritime) et de Yeu/Noirmoutier (Vendée), revient à faire un trait sur cet objectif. Entre volonté de faire plus d’économies et nécessité de mettre en place une industrie éolienne forte, la marge de manœuvre de l’exécutif est mince.
Faire le pari d’une renégociation sous contrainte met également en difficulté des entreprises françaises clefs de la transition énergétique, lesquelles permettent de dépasser le simple stade des incantations. Avec des projets à Fécamp, Courseulles-sur-mer et Saint-Nazaire pour EDF Energies Nouvelles et trois autres projets au Tréport, Yeu/Noirmoutier et Dunkerque pour Engie, les deux grands énergéticiens sont les plus concernés. Leurs projets engendrent des milliers d’emplois comme le soulignent régulièrement ces entités, et doivent permettre à la France de rattraper le retard pris sur des pays comme la Grande-Bretagne et la Chine. Car la France ambitionne d’être un moteur mondial de la transition énergétique et une remise en cause de son environnement des affaires est de taille lui faire perdre encore plusieurs longueurs.
Alors que rien ne laissait prévoir une crise de confiance dans ce secteur, les prochaines semaines risquent d’être déterminantes quant à l’avenir de tout un pan de transition énergétique française. Les futurs messages envoyés aux industriels et aux élus seront d’une importance capitale, car si l’amendement n’est pas passé, la confiance s’amenuise grandement. Et comme le sait tout gouvernement, sans confiance rien n’est possible.
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