Beaucoup moins médiatisée que la pollution de l’air, de l’eau et du sol, la pollution lumineuse n’en reste pas moins porteuse de risques pour la faune, la flore et même l’homme. La récente condamnation de l’État français a mis au jour ce fléau, contre lequel des solutions existent pourtant.
Mercredi 28 mars 2018, le ministère de la Transition écologique et solidaire a été rappelé à l’ordre pour appliquer les mesures prévues par le Grenelle de l’environnement sur les émissions de lumière. Conformément à la deuxième version de loi adoptée le 12 juillet 2010, l’État français aurait dû publier depuis longtemps des arrêtés afin de limiter la pollution lumineuse sur le territoire national. Constatant que rien n’avait encore été fait, la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA), l’Association nationale pour la protection du ciel et de l’environnement nocturnes (ANPCEN) et France nature environnement (FNE) ont saisi, en mars 2017, le Conseil d’État, qui a finalement condamné l’inaction du ministère. Ce dernier dispose à présent d’un délai de neuf mois pour s’exécuter, faute de quoi il encourt une amende de 500 euros par jour. « Ce refus d’agir de l’État rendait ineffectifs les dispositifs permettant de réduire la pollution lumineuse et le gaspillage énergétique », explique Raymond Léost, en charge des questions juridiques à FNE. « Il est regrettable que nos avancées auprès des parlementaires soient mises à mal par l’inaction des gouvernements successifs, et qu’il faille que les associations fassent un contentieux devant la plus haute juridiction pour obtenir la prise en compte des enjeux pluriels de la pollution lumineuse », ajoute Anne-Marie Ducroux, présidente de l’ANPCEN.
Près de huit ans plus tard, le groupement associatif a donc obtenu gain de cause pour que la loi sur la pollution lumineuse soit enfin appliquée, à l’image de l’arrêté concernant la fin de l’éclairage des bâtiments non résidentiels entre 1 h et 7 h du matin, dont le texte d’application n’a jamais été paraphé… Bien que tardif, ce signal positif intervient alors que certains territoires ont déjà depuis longtemps pris conscience des impacts négatifs de la surexposition à la lumière pour la santé et l’environnement, comme à la Réunion, où la 10e édition des Nuits sans lumières organisée par le Parc national de La Réunion, en partenariat avec la SEOR et le groupe EDF se tient actuellement du 5 au 29 avril 2018. Méconnue du grand public, la pollution lumineuse concerne pourtant près de 83 % de la population mondiale qui, du fait de la multiplication des éclairages en tout genre, n’est plus exposée à une obscurité totale pendant la nuit. Selon un atlas mondial publié en 2016, 99 % de la population américaine vivrait ainsi sous un ciel nocturne orangé. En France, seuls quelques rares zones géographiques connaîtraient encore des nuits noires, comme les Causses du Quercy, l’est des Landes ainsi que certaines portions d’Armorique et de Corse.
Des conséquences environnementales et sanitaires
« Le nombre de points lumineux a augmenté de 89 % en 25 ans » pour atteindre 11 millions d’unités, souligne l’ANPCEN, qui parle de « crépuscule permanent » pour désigner les parties du monde privées d’obscurité complète. Attribuée notamment à l’apparition des ampoules LED, dont la basse consommation a provoqué l’usage excessif par les particuliers comme les structures publiques et privées, la quantité de lumière artificielle émise la nuit aurait presque doublé depuis les années 1990 (+94 %), tout comme les durées d’éclairement (de 2 100 à 3 500 heures par an entre 1992 et 2005). En apparence inoffensive, cette recrudescence s’explique surtout par la hausse des éclairages activés en permanence dans les rues (lampadaires, enseignes publicitaires et vitrines des magasins), les bureaux et chez les particuliers. Ces nuisances sont visibles à l’extérieur des villes, en forêt, montagne ou en mer, et même de l’espace, ce qui perturbe particulièrement la faune et la flore. Insectes, oiseaux, chauve-souris, tortues marines et autres espèces voient ainsi leurs repères faussés par la lumière artificielle, eux qui se repéraient uniquement à la celle du soleil ou de la lune pour leurs migrations ou leurs déplacements nocturnes. Et tandis que la végétation est également chamboulée avec une dégénération précoce, la pollution lumineuse aurait aussi d’importants effets néfastes sur la santé humaine : troubles du sommeil, obésité, diabète et même cancer du sein, principalement causés par le manque de mélatonine, antioxydant naturel produit durant la nuit.
« Tous les soirs, 36 000 communes françaises sont concernées. On se demande pourquoi cette pollution lumineuse n’est pas prise au sérieux. Si on avait des robinets qui coulent à la place des lampadaires qui restent allumés, on s’inquièterait davantage, alertait Anne-Marie Ducroux l’an dernier. […] Heureusement, nous avons recensé plus de 12 000 communes qui diminuent d’elles-mêmes leur consommation la nuit. Il nous faut maintenant les mesures globales au niveau national car les effets de la lumière artificielle sur la biodiversité et sur la santé sont avérés. »
Les solutions de réduction lumineuse
Face aux impacts de la pollution lumineuse sur l’environnement et la santé, plusieurs solutions existent, qu’ont d’ailleurs adoptées de nombreuses collectivités. En Italie et en République tchèque, plusieurs régions ont ainsi instauré des politiques de réduction lumineuse, comme 800 autres adhérents du projet européen Greenlight lancé en 2000. S’inspirant de Tucson, en Arizona, la métropole de Lille renouvelle actuellement son parc d’éclairage public et planche même sur l’installation d’une trame noire de 2 km équipée de 300 lampadaires émettant des lumières qui préservent la tranquillité de la faune (insectes, chauve-souris, papillons, etc.). À Toulouse, la startup Kawantech a mis en service 520 lampadaires équipés de la technologie Hi’Light, qui permet d’activer l’éclairage grâce à un détecteur de présence longue portée (30 m) ultra-précis. Développé en partenariat avec Citelum, filiale d’EDF spécialisée dans l’éclairage, le système promet jusqu’à 80 % d’économies d’énergie et devrait s’étendre à d’autres villes françaises d’ici la fin de l’année. À Oslo, les rues de la capitale norvégienne sont également équipées de lampadaires avec capteurs de mouvement développés par la société Comlight. Même si le coût peut en refroidir certains comme à la Réunion, où seulement 3 500 points lumineux ont été remplacés par des appareils d’éclairage intelligent orientés vers le sol, ces technologies présentent l’avantage de pouvoir être pilotées à distance par des plateformes de gestion de l’espace urbain comme avec Muse, permettant ainsi des économies non négligeables.
Participant à la qualité de vie des riverains, la protection contre la pollution lumineuse séduit de plus en plus de villes françaises. L’ANPCEN vient d’en labelliser 374, portant à 574 le nombre de « villes et villages étoilés » sur le territoire hexagonal et à six millions d’euros les économies réalisées en 2017, selon l’association. Dernière en date, l’agglomération du Grand Besançon a débuté début avril 2018 des travaux pour désactiver 400 luminaires sur la rocade nord-ouest pour un gain estimé à près de 55 000 euros par an (10 500 euros contre 65 000 euros jusqu’à maintenant). De quoi convaincre d’autres candidats des bienfaits de la réduction lumineuse.
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