Plus de deux ans après l’investiture de Donald Trump, les États-Unis n’ont pas pris le virage pro-charbon annoncé par le président américain. Au contraire, la production d’énergies renouvelables est même en forte croissance. Explications.
En climato-sceptique convaincu, Donald Trump avait fait craindre le pire au monde entier en promettant pendant sa campagne de relancer les industries fossiles, et notamment les mines de charbon. Et cinq mois seulement après son entrée à la Maison blanche, il avait confirmé sa détermination à privilégier la croissance économique aux dépens de la planète en annonçant la sortie des États-Unis de l’Accord de Paris. Or, plus de deux ans après son élection, c’est tout le contraire qui semble se produire dans le paysage américain. En 2018, la part d’énergies renouvelables a atteint 18 % du mix énergétique US, soit deux fois plus que 10 ans auparavant. En 2017, première année sous l’ère Donald Trump, elle a même bondi de 14 % par rapport à 2016, la progression la plus importante jamais enregistrée dans le pays. Dans le même temps, le charbon chéri par le nouveau président continue de perdre du terrain. Sur la dernière décennie, la part de production électrique issue de cette filière très polluante a chuté de 50 à 30 %. Rien qu’en 2018, près de 13 GW de capacités devaient disparaître, soit l’équivalent de huit réacteurs nucléaires nouvelle génération (EPR)… « Nous ne prévoyons pas de ralentissement pour les prochaines années, affirme Ethan Zindler, associé au sein de l’organisation Bloomberg new energy finance (BNEF), au sujet des énergies renouvelables. La croissance devrait se poursuivre au rythme de 20 GW de capacités supplémentaires par an ou plus d’ici 2025. » Et d’après le scenario privilégié par l’autorité américaine de l’énergie (EIA), la proportion de renouvelables devrait dépasser celle de nucléaire dans le mix électrique d’ici 2020 et de charbon vers 2035.
Le solaire et l’éolien plus rentables et pourvoyeurs d’emplois
Deux principales raisons semblent expliquer l’échec de Donald Trump à refossiliser l’Amérique. D’une part, la nouvelle administration américaine n’aurait pas encore touché aux larges crédits d’impôts finançant le secteur des énergies vertes depuis les années 1990. « Les élus Républicains au Congrès ont toujours soutenu les crédits d’impôt, ce qui a probablement contribué à convaincre le président de ne pas les remettre en question », explique Matt Riley, chargé de l’éolien chez Engie aux États-Unis. Et malgré la diminution programmée des subventions fédérales dans les années à venir, le secteur devrait continuer à croître en raison de ses prix très compétitifs, d’après les experts. En moins de dix ans, celui des turbines éoliennes a été divisé par deux, et par dix pour les modules photovoltaïques ! Au Texas, terre de pétrole et de gaz par excellence, l’éolien serait déjà la source d’énergie la moins chère. En Californie, c’est le solaire qui devrait produire l’électricité la plus économique d’ici 2020. L’autre explication à l’essor des énergies vertes est une conséquence de cette compétitivité croissante : depuis plusieurs années, le secteur est devenu une source importante de revenus et surtout d’emplois dans les États ruraux, qui ne manquent pas d’espace pour installer des parcs éoliens et des centrales solaires.
Un puissant courant vert…
Selon l’American Wind Energy Association (AWEA), plus de 85 % des capacités éoliennes seraient ainsi installées dans des districts ayant voté Trump en 2016. À l’échelle locale, près d’une trentaine d’États auraient adopté une politique pro-EnR, à l’image de la Californie, qui vise un bilan carbone neutre à l’horizon 2045. Comme le « Golden State », nombre de régions disposent de conditions de vent et d’ensoleillement particulièrement favorables au développement des énergies vertes. Le soutien de la population et des entreprises, notamment les géants du web, incite aussi à poursuivre cette « révolution énergétique à laquelle on assiste en Europe comme aux États-Unis », estime Frank Demaille, patron d’Engie en Amérique du Nord. « Les États-Unis sont un très gros marché. […] Il ne faut pas prendre au pied de la lettre ce qui se dit à Washington sur le charbon : les Américains, sur la côte ouest ou est, sont très pro-énergies vertes et demandent ça de leurs fournisseurs. » « Pour certains, c’est une réponse à la question du réchauffement climatique et de la lutte pour l’environnement ; pour d’autres, c’est pour la création d’emplois dans les États, ou encore pour l’indépendant énergétique », résume Tristan Grimbert, directeur général d’EDF Renouvelables sur le continent nord-américain.
EDF en pole position
Témoins du verdissement du secteur énergétique américain, les groupes français en sont également les acteurs privilégiés. À commencer par EDF, qui multiplie les projets d’envergure. Début mars 2019, le leader français a officialisé la construction de cinq centrales solaires à Jacksonville en Floride (310 MWc), qui génèrera assez d’électricité pour subvenir aux besoins de plus de 48 500 foyers. L’électricien a également annoncé la future mise en service du parc éolien de Stoneray (100 MW) dans le Minnesota, qui alimentera 47 000 ménages et créera 150 emplois. En janvier, EDF Renouvelables avait déjà signé un contrat pour une centrale solaire à Mount Morris, dans l’État de New York, pour une capacité installée de 212 MWc permettant d’approvisionner 39 000 foyers. Avec 16 GW de projets éoliens, solaires et de stockage, l’entreprise figure déjà parmi les principaux producteurs d’énergies renouvelables en Amérique du Nord. Elle ambitionne de doubler ses capacités installées dans le monde pour les porter à 50 GW d’ici 2030. « La stratégie de notre groupe, CAP2030, vise à être leader dans la génération d’énergie bas carbone et à développer des services dans notre secteur, explique Xavier Girre, Directeur exécutif groupe en charge de la direction financière groupe chez EDF. En particulier, nous sommes engagés à réduire notre émissions de CO2 de 40 % entre 2018 et 2030. Nous développons la mobilité électrique ainsi que 30 GW de capacité solaire d’ici 2035. Je considère qu’il est crucial d’être également à la pointe de la finance verte et durable, afin de compléter cette stratégie et de donner à nos investisseurs à plus haute visibilité sur ce que nous faisons au sein de nos activités. »
Engie en embuscade
Engie aussi prend position sur le marché des EnR nord-américaines. Après avoir alimenté pendant longtemps les ménages US en gaz et en fioul, l’ex-GDF Suez a pris tardivement le virage du vert, mais il a misé massivement sur les énergies alternatives depuis l’arrivée d’Isabelle Kocher à sa tête. D’ici 2021, la nouvelle directrice générale ambitionne de doubler le chiffre d’affaires sur le territoire nord-américain, qui s’élève à 3,5 milliards de dollars par an. Pour ce faire, elle a cédé de nombreux actifs fossiles afin de réinvestir dans les énergies vertes. À Holyoke, dans le Massachusetts, Engie a ainsi remplacé la centrale à charbon en cours de démantèlement par un parc solaire de 17 000 panneaux photovoltaïques. À Colombus, le groupe a également signé un contrat pour une durée de 50 ans afin de pourvoir aux besoins énergétiques du campus de l’université de l’Ohio, ses 68 000 étudiants, 48 000 salariés, plus de 600 hectares de pelouses et de bâtiments ainsi qu’un stade de 100 000 places… Au total, le groupe français a déjà installé une dizaine de parcs éoliens et 350 fermes solaires outre-Atlantique. Il travaille sur un portefeuille de projets d’environ 1 000 MW par an. L’essor des énergies renouvelables et le déclin des énergies fossiles se traduit déjà en réduction des émissions de CO2 aux États-Unis. Comme dans 17 pays européens développés mais contrairement à la Chine et l’Inde, le bilan carbone américain s’est amélioré ces 15 dernières années grâce à une consommation d’énergie en baisse. Entre 2006 et 2016, les rejets de CO2 ont diminué d’1,2 % par an aux États-Unis, selon le rapport annuel de BP. Un tournant historique pour la première économie mondiale, qui compte pour 15 % des émissions carbone de la planète…
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