Selon une nouvelle étude, environ deux tiers des fleuves les plus longs du monde ne coulent plus librement, ce qui compromet leur capacité à déplacer les sédiments, à faciliter la migration des poissons et à fournir d’autres services écosystémiques vitaux. Et avec plus de 3 700 grands barrages en construction, l’avenir des cours d’eau à écoulement libre semble encore plus sombre, selon les chercheurs.
Pour avoir une vision globale de l’état des rivières, Bernhard Lehner, hydrologue à l’Université McGill de Montréal étudie depuis des années les effets des barrages sur des bassins versants entiers avec des chercheurs du WWF de Washington entre autres. À l’aide de notamment de données aériennes et satellitaires, l’équipe a examiné 12 millions de kilomètres de voies navigables et évalué leurs débits par segments de 4,5 km.
Les États-Unis et l’Europe quasi dépourvus de ces rivières
Traditionnellement, les chercheurs se concentraient sur les barrages lors de l’évaluation du libre flux d’une rivière. Mais dans cette évaluation, l’équipe a également pris en compte les impacts sur le débit créés par les levées de berges, d’autres structures de contrôle des inondations et les détournements d’eau pour l’alimentation en énergie, l’irrigation ou la consommation d’eau potable. « C’est une analyse de l’hydrologie globale plus complète que celle que nous avions auparavant», explique N. LeRoy Poff, hydroécologue à l’Université du Colorado de Fort Collins, bien qui ne faisant pas partie du projet.
Les chercheurs se sont notamment concentrés sur les 246 plus longs fleuves, qui englobent plus de 1 000 km d’eaux vives – dont le Nil et le Mississippi – en raison de leur impact écologique considérable. Seulement 90 de ces grandes rivières disposent d’un écoulement libre, indique l’étude parue dans la revue Nature. La plupart des rivières non bloquées se trouvent en Amazonie, dans l’Arctique et dans le bassin du Congo.
« Aux États-Unis, en Europe et dans les régions plus développées, les rivières longues et à écoulement libre n’existent pas vraiment», déclare N. LeRoy Poff. Et les rivières qui restent à écoulement libre « comptent parmi les endroits les plus importants pour les espèces d’eau douce», déclare Michele Thieme, écologiste en eau douce du WWF.
Le WWF a découvert que les plantes et les animaux d’eau douce sont en déclin deux fois plus rapide que les populations terrestres et marines. Et les rivières en général ont beaucoup de valeur cachée que les décideurs politiques ne comprennent pas pleinement, note Michele Thieme.
Un constat qui amène à des actions
Michele Thieme et Bernhard Lehner espèrent que cette évaluation aura un impact sur les décisions politiques globales et locales. Elle fournit une source de données immédiate aux pays qui s’efforcent d’atteindre les objectifs internationaux de gestion durable, notamment la protection des systèmes d’eau douce. La méthodologie de l’étude peut être appliquée plus localement avec des données à échelle plus fine pour aider à localiser ou à supprimer des barrages, afin de maintenir ou de restaurer des flux libres.
Le WWF, par exemple, préconise une utilisation accrue de l’énergie solaire ou éolienne pour réduire le nombre de barrages hydroélectriques, ce qui pourrait aider à protéger des zones telles que le delta du Mékong en Asie. L’ONG a également travaillé avec le Myanmar (Birmanie) et la Société financière internationale de la Banque mondiale pour tenter de garder les barrages au large des rivières Irrawaddy et Salween, deux des principales voies navigables de ce pays. Elle contribue également à la surveillance de base de la qualité de l’eau de la rivière Liard au Canada, qui relie le Yukon aux Territoires du Nord-Ouest et est l’un des derniers cours d’eau au pays.
La prise de conscience croissante de la valeur des rivières à écoulement libre conduit d’ores et déjà à des changements de politique, note le WWF. En février, la Slovénie a accepté d’interrompre le développement de l’énergie hydroélectrique sur son fleuve Mura, l’un des derniers refuges pour les loutres et le saumon du Danube. L’année dernière, le Mexique a établi des réserves d’eau dans environ 300 bassins hydrographiques, des eaux dorénavant réservées à la nature et non au stockage issu des barrages.
Commentaires récents