[Mise à jour : Cet article a fait l’objet d’un droit de réponse de la part de Fibre Excellence, que nous publions ci-dessous.]
Après avoir été inquiétée en France dans des affaires de pollution, la holding Fibre Excellence se retrouve une nouvelle fois accusée d’avoir contaminé des eaux, cette fois-ci au Canada.
La société Fibre Excellence est une holding rassemblant plusieurs entreprises papetières et d’exploitation forestière. Elle s’est implantée en France grâce au rachat d’une usine située sur les bords du Rhône dans le sud de la France. C’est alors que les riverains ont commencé à se plaindre de la pollution de l’air et de l’eau. Des contestations qui ont trouvé un écho au Canada où est située une autre usine de Fibre Excellence.
Northern Pulp : l’usine canadienne de Fibre Excellence accusée de pollution des eaux
Pour les natifs de la province de la Nouvelle-Écosse, au Canada, le nom de « Fibre Excellence » n’évoque rien. Celui de Paper Excellence par contre déclenchera à coup sûr une vague de protestations, notamment chez les habitants du détroit de Northumberland. Ce petit bras de mer situé près de l’île du Prince Édouard était autrefois réputé pour ses eaux claires et prolifiques en poissons. Du moins jusqu’à l’installation de l’usine de Northern Pulp.
Pour fonctionner, une usine papetière nécessite une grande quantité d’eau et de produits chimiques, dont des métaux lourds, qui après utilisation doivent être rejetés, bien souvent sans avoir été assainis. Afin de se débarrasser de ces eaux usées hautement polluantes, Paper Excellence, ou Fibre Excellence avait pour habitude de les rejeter directement dans la mer à proximité de Boat Harbour. Après de multiples actions en justice, l’entreprise a finalement été sommée d’en finir avec ses pratiques, et de fermer le tuyau de drainage permettant le déversement des eaux usées le 31 janvier 2020 au plus tard.
Une décision de justice ayant force de loi, Fibre Excellence a été obligée de se conformer à la volonté des juges, mais pas aux normes écologiques ayant conduit à cette décision. Un nouveau projet a donc vu le jour : construire un tuyau de drainage de 15 km de long pour déverser les eaux usées dans les eaux de Port Caribou, à seulement 4 km du rivage. Ce projet a fait l’objet d’un nouveau mouvement de contestation, particulièrement de la part des associations de pêcheurs, cette activité étant la principale ressource économique de la région.
Les représentants de Fibre Excellence ont affirmé que ce projet n’aurait « aucun impact résiduel significatif sur la qualité de l’eau de mer » tout en choisissant un emplacement qui « minimiserait l’impact dans les zones de pêche actives ». Ces arguments n’ont en rien rassuré les pêcheurs du détroit de Northumberland qui ont rappelé que les 85 millions de litres d’eau polluée qui devront être rejetés par jour impacteront forcément les écosystèmes marins. Avis que semble partager le ministre le Premier ministre de la province qui a décidé, le 20 décembre 2019, de refuser ce nouveau projet de tuyau de drainage forçant ainsi l’usine de Northern Pulp à fermer le 31 janvier 2020 au plus tard. Une décision qui peut paraître justifiée aux vues des pratiques de cette même entreprise en France.
Une situation similaire sur le site de Tarascon
La situation en cours au Canada n’a pourtant rien d’étonnant lorsqu’on la compare à ce qui se passe depuis plus de 10 ans à Tarascon, dans le département des Bouches-du-Rhône. « Il y a quarante ans, les effluents liquides étaient rejetés au bord de la voie ferrée, dans des fossés ! L’eau de mon puits de forage était jaune, elle moussait »raconteDaniel Gilles, un viticulteur à la retraite. Depuis, les pratiques de l’usine de Fibre Excellence ont connu d’autres échos défavorables notamment dans le Rhône.
L’usine de Tarascon est à l’origine de la production de 250 000 tonnes de pâte à papier par an et est responsable de l’émission de 4 000 tonnes de diverses Matières en Suspension (MSE) ainsi que de particules de phosphore, de chlore et de métaux lourds. Pour « compenser » cette pollution, Fibre Excellence, comme toute entreprise polluante, se devait donc de payer une redevance à l’Agence de l’Eau Rhône-Méditerranée-Corse. Malgré de nombreuses relances judiciaires, l’entreprise n’a pourtant jamais payé cette redevance, accumulant plus de 17 millions d’euros d’arriérés en 2018. Fibre Excellence s’est depuis engagée à régler sa dette, obtenant au passage une remise de 8,6 millions d’euros.
Une surveillance toujours en cours
En 2019, Fibre Excellence essaye donc de blanchir son image, d’un côté en réglant, en partie, la redevance dont elle devait s’acquitter, de l’autre, en réalisant d’importants travaux afin de réduire son impact environnemental. C’est ce qui a été fait avec l’installation d’un filtre électrostatique sur les chaudières à écorces ayant eu, selon la direction, un « effet drastique sur la réduction des poussières dont le taux d’émission est en dessous de la norme européenne ».
Si un effort a été fait sur certaines infrastructures, d’autres restent tout de même très polluantes. C’est le cas notamment du four à chaux qui ne respecte pas les valeurs limite d’émission de poussières et de composés soufrés. Fibre Excellence reste donc sous étroite surveillance de la Préfecture des Bouches-du-Rhône qui souhaite que les engagements de l’entreprise soient plus rapidement réalisés. « L’entreprise s’est engagée à une mise aux normes pour le mois de novembre, nous lui avons signifié une mise en demeure pour que cela soit fait dans des délais plus courts, dès septembre. Nous les suivons de très près ».
Que ce soit au Canada ou en France, Fibre Excellence ne semble se conformer aux exigences écologiques qu’une fois mise au pied du mur par la justice. Et même dans ce cas, ces aménagements ne semblent pas être adaptés aux demandes des riverains. Pas étonnant lorsque l’on sait que Fibre Excellence est en réalité une filiale indirecte du groupe Sinar Mas (information contestée par l’entreprise qui affirme être » une société indépendante détenue par M. Jackson Widjaja »), dont la responsabilité judiciaire a été de nombreuses fois engagée, notamment dans des affaires de déforestation en Indonésie.
———-
Droit de réponse de l’entreprise « Fibre Excellence »
« En réaction à l’article publié sur votre site le 20 décembre 2019 concernant Fibre Excellence et l’usine Northern Pulp, nous aimerions vous fournir des informations complémentaires afin de revenir sur les informations incorrectes que contient l’article:
- L’usine de pâte à papier est en activité en Nouvelle-Écosse depuis 1967. Paper Excellence a acheté l’usine de Northern Pulp en 2011 et l’exploite sous l’égide de son entité Fibre Excellence. L’usine possède une station de traitement des eaux usées située à proximité, dans la lagune de Boat Harbour : les eaux usées sont traitées à Boat Harbour, et seulement ensuite rejetées dans l’océan.
- Depuis la reprise de Northern Pulp en 2011, Paper Excellence a investi des sommes élevées dans l’amélioration de la performance environnementale de l’usine, ce qui a permis de réduire considérablement les émissions en termes d’odeurs et de particules ainsi que les émissions de gaz à effet de serre.
- À la suite de l’adoption de la Loi Boat Harbour en 2015, qui exige la fermeture de l’usine de traitement d’ici le 30 janvier 2020, Northern Pulp a travaillé à la conception d’une nouvelle installation.
- Une première étude environnementale a été soumise au gouvernement de la Nouvelle-Écosse en février 2019, présentant un plan alternatif de traitement des eaux qui permettrait de traiter les effluents sur place avant de les acheminer au milieu du détroit de Northumberland. Depuis 2015, 68 études au total ainsi qu’un rapport final contenant des informations détaillées sur le projet ont été réalisés.
- Suite à cette évaluation approfondie, le nouveau Ministre de l’Environnement a demandé une deuxième phase d’études environnementales, qui pourrait prendre plusieurs années.
- Par conséquent, Fibre Excellence n’est pas en mesure de mettre en œuvre le nouveau projet de traitement des eaux. Cette situation, combinée à la décision du gouvernement de ne pas accorder de délai supplémentaire dans le cadre de la Loi Boat Harbour, force l’usine à cesser ses activités.
- L’industrie forestière est essentielle pour l’économie des régions rurales de la Nouvelle-Écosse, générant plus de 11 500 emplois et 800 millions de dollars de PIB. Northern Pulp est un acteur clé de cette industrie et sa fermeture entraînerait une contraction importante de l’activité, ayant des répercussions non négligeables sur l’économie et l’emploi dans la province.
- Les mesures prises par le gouvernement mettent malheureusement un terme à un nouveau projet visant à améliorer considérablement la performance environnementale de l’usine tout en préservant une activité industrielle clé pour la région.«
Commentaires récents