La coupe rase, un épiphénomène utile aux forêts ?

coupe rase épiphénomène utile aux forêts ?

Exploitation déraisonnée, choc paysager, destruction de la biodiversité… Les arguments ne manquent pas pour pointer du doigt la coupe rase. Pourtant, certains professionnels forestiers font valoir que cette pratique minoritaire n’est qu’un maillon de la gestion forestière française et qu’elle pourrait ne pas être dénuée d’intérêt pour les forêts. Explications.  

En matière de gestion forestière, la coupe rase cristallise toutes les tensions. Elle est devenue, malgré elle, symbole d’une exploitation déraisonnée et écocide. « Les forestiers portent un regard circonspect en général sur ces critiques. Elles s’appuient sur des cas réels, mais ponctuels et locaux, qui sont montés en épingle et généralisés, grâce à une utilisation, il faut le reconnaître, très performante des réseaux sociaux », regrette à ce sujet Philippe Riou Nivert, ingénieur forestier spécialisé dans les résineux. 

Un épiphénomène très encadré

Si la coupe rase souffre d’une si mauvaise presse, c’est avant tout par son caractère impressionnant. Elle consiste en l’abattage de la totalité des arbres d’une parcelle sur une exploitation forestière, après que plusieurs récoltes successives – aussi appelées éclaircies – aient été réalisées. Ne laissant derrière elle qu’un champ vide, du moins en apparence. La société civile, les associations et organisations environnementales s’inquiètent de la perte de biodiversité, de l’impact paysager et de la non-remise en état par l’exploitant. 

Des craintes infondées selon les forestiers, tant la coupe rase est une pratique anecdotique. L’épiphénomène ne représente que « 0,25% de la surface de la forêt de production », rappelle Philippe Riou Nivert. La coupe rase, aussi peu utilisée soit-elle, est en plus très contrôlée. René Roustide, membre du conseil d’administration du syndicat Fransylva Haute-Loire, explique dans Haute-Loire-paysanne (journal d’informations agricoles) que « lorsqu’un propriétaire procède à une coupe à blanc sur une surface de plus de 1 ha, ce dernier est tenu de replanter dans les cinq ans sous peine d’une amende de 1800 € ha ». Pour Lionel Say, directeur de la Coopérative Forestière Bourgogne Limousin (CFBL), le terme de « récolte avant reboisement » est en ce sens plus approprié que le terme « coupe rase ». 

Une obligation de reboisement qui s’accompagne d’autres contraintes pour le gestionnaire forestier. « Toute coupe de bois est une récolte raisonnée, elle s’inscrit le plus souvent dans un document de gestion durable et un engagement de certification (PEFC, FSC®) », rappelle la Coopérative forestière CFBL. L’organisation ajoute que les coupes blanches peuvent être proscrites sur les sites Natura ou inscrits. Dans les cas où la forêt n’a pas de document de gestion durable, elles se limitent à des surfaces de 2 ou 4 ha selon les départements et doivent faire l’objet d’autorisations préalables. Et « lorsqu’elles sont autorisées, un certain nombre de précautions doivent être prises : par exemple, la préservation des cours d’eau ou des niches écologiques pour la faune (tels des arbres morts ou à cavités, des îlots de vieillissement ou de sénescence), la protection des milieux humides ou sensibles à l’érosion ». 

Encadrée, peu utilisée… les professionnels du secteur l’assurent : la coupe rase ne met pas en péril les forêts françaises. En témoignent des statistiques nationales encourageantes. Les peuplements, qui occupent 31% (18,6 millions ha) du territoire métropolitain, n’ont eu de cesse de croître ces dernières décennies. Selon l’Institut national de l’information géographique et forestière, qui vient de publier ses Indicateurs de gestion durable des forêts françaises, la France a gagné 2 millions d’hectares en 20 ans, et 1 milliard de mètres cubes de bois en quarante ans.  « Cette dynamique d’augmentation explique le stockage de carbone, dans le bois et dans le sol, qui avoisine 83 millions de tonnes de CO2 par an », explique Benjamin Piton, ingénieur forestier à l’IGN. Et d’ajouter : « Non seulement nos forêts sont en expansion, mais elles restent également riches de diversité, avec en moyenne cinq espèces d’arbres sur 2 000 m² de forêt. »  

Une utilité insoupçonnée ?

L’Office national des forêts (Onf) communique également sur l’intérêt de cette méthode. « Une coupe rase peut être effectuée pour des raisons sanitaires : la forêt est malade, les arbres sèchent sur pied à cause du manque d’eau et de fortes chaleurs, de maladies ou sont attaqués par des parasites ». Dans ce cas-là, le forestier n’a pas d’autre choix que de couper les parcelles « pour protéger les autres et valoriser le bois avant qu’il ne se dégrade totalement (à noter que le bois valorisé ne se décompose pas en forêt et conserve ainsi son rôle de puits de carbone, ndlr). » En outre, la coupe rase reste l’ultime recours lorsque l’essence en place n’est pas adaptée au changement climatique et doit céder sa place à d’autres essences mieux acclimatées.

De l’avis des forestiers, elle contribue au renouvellement des forêts, et non à leur déboisement, et ne signifie pas une disparition totale de la forêt et de la biodiversité qui s’y niche. « D’un point de vue biologique, la coupe permet le développement d’une biodiversité importante qui n’existe pas dans les peuplements fermés », assure Philippe Riou-Nivert. Des essences pionnières, comme les saules ou les bouleaux, naissent ainsi de ces coupes rases. Il ajoute que « certaines espèces ne vivent que dans des terrains éclairés, comme les engoulevents (une espèce d’oiseau, ndlr) ». Autant de fonctions qui ne doivent pas éclipser des mauvaises pratiques dommageables, reconnaissent les principaux intéressés. 

 

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