Alors que la transition énergétique est sur toutes les lèvres des dirigeants du continent, peu d’entreprises africaines se sont pour l’heure saisies de l’opportunité du développement des énergies renouvelables. À quelques exceptions près comme Congo Energy, filiale du Groupe Forrest International, les acteurs de l’hydroélectrique, de l’éolien ou du photovoltaïque présents sur le marché africain sont pour l’essentiel des entreprises américaines, asiatiques ou européennes, à l’instar d’EDF.
Un marché de 1,3 milliard d’habitants à fort potentiel
La transition énergétique se poursuit en Afrique : source de développement économique et efficace levier de communication politique, le thème est porteur et les initiatives se multiplient. En mai 2013, les chefs d’État et de gouvernement africains s’étaient d’ailleurs dotés d’une feuille de route intitulée “Agenda 2063” pour atteindre une croissance et un développement durables sur tout le continent, en particulier en matière énergétique.
Un vaste programme, lorsque l’on sait que l’Afrique subsaharienne représente à elle seule 13% de la population mondiale, mais que 300 millions de personnes y vivent encore sans électricité, car le taux d’électrification ne dépasse pas les 50%. Selon un rapport de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), l’Afrique ne représente que 3% des capacités mondiales installées en électricité renouvelable et, sur les 2 800 milliards de dollars investis dans le monde dans ce secteur entre 2000 et 2020, 2% seulement l’ont été sur le continent. Ainsi, en 2019, seuls 2% des capacités de production d’électricité renouvelable nouvellement mises en service provenaient d’Afrique, alors même que le continent prévoit de doubler sa demande en énergie d’ici 2040. Au-delà des problèmes universels des EnR que sont l’intermittence du solaire et de l’éolien, s’ajoutent des problèmes spécifiques à l’Afrique : un manque de réseaux de distribution, de cadres réglementaires et de compétences, ainsi qu’un sous-investissement très handicapant.
Mais cet Agenda 2063 est loin d’être irréaliste compte tenu des gigantesques ressources naturelles de l’Afrique : des centaines de kilomètres de côtes, des taux d’ensoleillement records, et des cours d’eau impressionnants (le Nil et ses 6600 km qui en font le deuxième plus grand fleuve du monde, ou le Congo et ses 4700 km). C’est ce dernier atout qui a pour l’heure été – de loin – le plus exploité, avec plusieurs grands barrages, au Cameroun, en République démocratique du Congo ou plus récemment en Angola ; et d’autres pays sont intéressés tels que le Zambèze, le Nigeria, ou l’Afrique du Sud. À côté de ces grandes infrastructures se sont récemment développées des petites unités autonomes, telles que des maisons équipées d’un panneau solaire et d’une batterie ou des mini-centrales dans des villages.
Des opportunités saisies par EDF
En ce qui concerne l’énergie hydroélectrique, le français EDF a signé en novembre 2019 un accord d’exclusivité avec le gouvernement du Cameroun concernant la construction et l’exploitation d’un barrage sur le fleuve Sanaga. Ce projet de plus d’un milliard d’euros donnera naissance à une centrale d’une puissance de 42 mégawatts, soit, à titre de comparaison, environ un tiers de la puissance installée du réseau interconnecté d’un pays comme le Togo. Il y a un an, le 25 février 2021, le groupe français annonçait aussi sa prise de participation dans deux entreprises en activité au Kenya : une acquisition de 50% du capital d’Econet Energy Kenya – spécialisée dans les panneaux solaires sur toiture pour des dispositifs d’autoconsommation – et un accord pour entrer au capital de l’entreprise britannique Bboxx Kenya, positionnée sur le même secteur, à hauteur de 23%.
En Côte d’Ivoire enfin, EDF s’est alliée à l’américain Off Grid Electric pour lancer l’offre solaire Zola, spécialisée dans les micro-kits solaires destinés aux particuliers isolés. Une entreprise commune qui vient de lever 90 millions de dollars et qui cherche à prendre pied sur le secteur extrêmement porteur du photovoltaïque « en leasing », en vendant aux particuliers et aux entreprises africaines des kits solaires incluant des panneaux et des lampes, mais aussi des équipements (radio, télévision, etc..) à basse consommation. Avec ce modèle économique original, Off Grid Electric et EDF ambitionnent de fournir un accès à l’énergie à 2,2 milliards d’individus, en Afrique et en Asie dans les prochaines années.
Congo Energy, filiale made in Africa de Forrest International
EDF n’est pas la seule entreprise étrangère à avoir pris conscience de l’énorme potentiel du renouvelable africain : au Maroc, la méga centrale solaire de Ouarzazate (l’une des plus importantes au monde avec 480 hectares, soit l’équivalent de 600 terrains de foot) a ainsi comme promoteur et opérateur la Saoudienne Acwa Power. En Éthiopie, les importants projets hydroélectriques mis en chantier ont quant à eux été pour la plupart signés avec des entreprises chinoises.
Même si elles sont encore trop rares, certaines entreprises africaines tirent cependant leur épingle du jeu : c’est par exemple le cas de Congo Energy, une filiale du groupe Forrest International créée en 2013. En République Démocratique du Congo (RDC), le groupe présidé par George Forrest a ainsi misé sur la construction et la rénovation à grande échelle d’installations hydroélectriques et solaires. Cette entreprise fut la première de son secteur en RDC à obtenir la certification ISO 9001 (une norme internationale relative au management de la qualité) et à réaliser des partenariats avec des acteurs majeurs du secteur tels que les entreprises françaises Schneider Electric ou Sunna Design, un concepteur de solutions innovantes en matière d’éclairage public solaire.
Sous la houlette de Congo Energy, des réalisations majeures made in Africa fleurissent depuis quelques années en RDC, de la remise en service totale ou partielle des centrales hydroélectriques d’Inga, de Sanga ou de Nzilo, à la construction d’une centrale de production solaire d’1 mégawatt à Manono, la plus grande centrale solaire 100% off-grid de la région.
Congo Energy installe aussi des éclairages à l’énergie solaire sur les artères principales de Lubumbashi, la deuxième ville de RDC. Des éclairages solaires qui garantissent un éclairage toute la nuit, sans black-out, ce qui n’est pas peu dire dans un pays où les délestages sont fréquents. Via sa filiale en travaux publics EGMF, le Groupe Forrest a aussi participé à la réalisation du parc éolien du lac Turkana, le plus grand d’Afrique avec ses 365 éoliennes.
Si le groupe Forrest demeure l’une des seules entreprises africaines capables de faire sortir de terre de puissantes infrastructures productrices d’électricité, ces dernières années, d’autres entreprises africaines spécialisées dans l’énergie sont apparues, avec des modèles différents et plus modestes. C’est par exemple le cas de la start-up kenyane M-Kopa qui propose un modèle de développement original, en fournissant aux foyers africains des kits prépayés comprenant un panneau solaire de 4 watts, un boîtier de contrôle mural, trois lampes et un chargeur de téléphone, le tout financé à des paiements échelonnés dans le temps. L’objectif ? Fournir un accès à l’électricité dans des zones qui ne sont pas raccordées au réseau national.
À l’heure où les dirigeants africains souhaitent faire entrer de plain-pied le continent dans la course aux énergies renouvelables, il serait regrettable que les investissements consentis ne profitent pas avant tout à des entreprises africaines. Ce grand « bond en avant » énergétique pourrait en effet être durable à tous points de vue, en profitant à l’économie locale via la création de compétences et d’un écosystème entrepreneurial pérenne.
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