Si les pompiers ont enfin rangé leurs lances, les traces des incendies de l’été 2022 mettront sans doute des années, voire des décennies, à cicatriser. Certains arbres, comme les pins, possèdent d’étonnantes capacités de régénération naturelle, mais celles-ci ne suffiront pas dans un double contexte de multiplication et d’intensification des feux et de réchauffement climatique. L’heure est à présent à l’action pour assurer le repeuplement des forêts ravagées par les flammes.
La fin de l’insouciance. Avec sa sécheresse sans fin, ses vagues de chaleur à répétition et ses épisodes orageux dévastateurs, l’été 2022 restera, à bien des égards, tristement historique. Mais l’image qui restera gravée dans les mémoires des Français sera, sans doute, celle des terribles incendies qui ont ravagé plusieurs massifs forestiers en Gironde. Si le record de 88 000 hectares de forêts brûlés en 1976 n’est pas encore battu, les plus de 50 000 hectares partis en fumée sur le territoire métropolitain depuis le début de l’été font de l’année 2022 la pire depuis seize ans, selon le décompte du Système européen d’information sur les feux de forêts (Effis). Au-delà des chiffres, ce sont à chaque fois des drames écologiques et humains qui se jouent : des animaux blessés ou tués, des arbres calcinés, et parfois le travail d’une vie envolé en quelques minutes. Ses pins exsudant de la résine « sont perdus, alors ils pleurent et moi je les pleure », se désole ainsi un propriétaire forestier de Landiras (33), qui a vu ses 400 hectares de bois se consumer sous ses yeux.
Prendre en compte les spécificités des espaces
La plupart des feux étant désormais maîtrisés et le risque d’incendie moindre à l’approche de l’automne, le plus fort de la crise estivale semble passé. Place, désormais, au temps long. A la reconstruction de ce qui peut l’être, effort qui nécessitera, au préalable, de « déterminer ce qui a été brûlé, avec quelle intensité et quelles techniques mettre en œuvre pour la reconstitution » des parcelles touchées, selon l’ONF (Office national des forêts). Pour ce faire, il faudra prendre en compte les spécificités des espaces concernés, et commencer par analyser les risques avant de reconstruire. Des risques pris en compte par les acteurs de terrain, comme le rappelle Philippe Caramelle, responsable DFCI (Défense des forêts contre les incendies) en Corse, selon qui « il s’agit d’abord d’apporter une expertise sur les risques liés à des éboulements, des glissements de terrain ou d’éventuelles inondations qui pourraient se déclencher en raison des amas de bois au sol, puis de faire des propositions de réhabilitation des espaces incendiés ».
De même, il conviendra de tenir compte de la résilience des forêts concernées, en fonction des peuplements dont elles disposent – ou disposaient. « Tout dépend du kit de végétation, d’arbres, d’espèces qui étaient présents avant l’incendie, ainsi que du type de sol », explique dans 20 Minutes Brigitte Musch, responsable du Conservatoire Génétique des Arbres Forestiers à l’ONF. Le pin, par exemple, particulièrement présent dans les massifs touchés par les incendies en Gironde, fait ainsi preuve d’une surprenante capacité de régénération naturelle. « On a la chance d’avoir une essence qui est le pin maritime et qui est adaptée aux sols sableux très acides et qui pousse très bien », confirme au micro de France Info Stéphan Viéban, directeur général d’Alliance Forêts Bois. Quant au pin d’Alep, il se distingue des autres conifères par une stratégie de survie consistant à faire éclater ses cônes sous l’effet de la chaleur en propageant ses graines aux alentours. Une belle illustration de la capacité de régénération naturelle de certaines essences qui ne suffira pas, à elle seule, à réparer les immenses dégâts causés par les derniers incendies, ni à adapter les forêts à la rapidité du réchauffement climatique.
Accompagner le repeuplement des espèces
Ce que confirme Brigitte Musch, selon qui en Gironde « si le système racinaire n’a pas brûlé, les arbres vont pouvoir repartir (…). Mais vu la surface touchée (…), il va falloir replanter dans les zones touchées ». L’ampleur de certains feux est telle qu’elle dépasse les capacités de résilience de certaines espèces, « ce qui rendra les choses plus compliquées vu la violence des flammes qui dépassaient par endroits les 100 mètres de haut », poursuit la responsable de l’ONF. Sans oublier les effets à moyen et long termes du changement climatique, un phénomène dont la vitesse ne laisse pas le temps à la nature de s’adapter. En effet, « les dérèglements et le réchauffement climatique sont violents et très rapides. Il est primordial d’intervenir dans les forêts pour les maintenir en bonne santé, stocker davantage de carbone et valoriser leur rôle dans la diminution des gaz à effet de serre » précise Bertrand Servois, Président de l’UCFF qui regroupe les coopératives forestières. L’intervention des professionnels forestiers apparaît nécessaire, notamment afin d’accompagner le repeuplement des espaces brûlés : il s’agira, entre autres, de « combattre le vent qui risque de balayer l’humus » indispensable à la repousse, poursuit Brigitte Musch, ou encore de « sortir les bois calcinés, couper, élever les plans… ». Autant d’efforts qui devraient s’étaler sur un ou deux ans, estime la spécialiste. Par ailleurs, « selon les massifs, les sols, les stations forestières, les microclimats…la résistance et l’adaptation des essences d’arbres ne seront pas les mêmes d’un territoire à un autre » conclut le Président des coopératives forestières.
Enfin, l’ampleur sans précédent des incendies de l’été 2022 invite à tirer les premières leçons de ce véritable drame collectif. Avec comme objectif prioritaire, celui de toujours mieux anticiper les crises à venir. C’est dans ce but qu’Antoine d’Amécourt, le président de la Fédération des syndicats de propriétaires forestiers privés, a annoncé son intention d’écrire aux ministres concernés par la gestion des massifs pour demander la tenue d’une « réunion à tous les échelons » afin, selon lui, de déterminer « pourquoi on s’est fait dépasser ». Les feux de forêts incitent aussi à planter différemment dans certains massifs, à faire preuve d’imagination, à ouvrir, qui sait, un nouveau chapitre de l’histoire forestière. Brigitte Musch suggère ainsi de mettre en valeur les terrains désertiques en expérimentant de nouvelles méthodes de sylviculture, en testant de nouvelles espèces… Pour nos forêts « sous pression », « en stress hydrique » et qui « ne supportent plus l’intensité accrue et la fréquence de ces feux », comme le rappelle Eglantine Goux-Cottin, présidente d’Ingénieure Conseils en Environnement et Foresterie (ICEF), une nouvelle ère, pleine de dangers, de défis… mais aussi de promesses, s’ouvre bel et bien.
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